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Malachy McAllister : «Les banques locales doivent se conformer aux sanctions à l’encontre de la Russie»

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Business Magazine 1535

Banquier chevronné, Malachy Mcallister a eu un riche parcours international. Avant de prendre ses fonctions en tant que CEO d’Afrasia Bank en décembre dernier, il a travaillé pendant cinq ans et demi à Moscou. Jetant un regard éclairé sur le conflit russoukrainien et l’impact des sanctions économiques qui frappent la Russie, il soutient que nous assistons fort probablement à une nouvelle configuration géostratégique du monde avec, d’une part, les états autoritaires et, de l’autre, les démocraties. Au passage, il met en garde les banques mauriciennes sur la nécessité d’être extrêmement attentives et de se conformer pleinement à toutes les nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie. Dans un autre volet de cet entretien exclusif qu’il a accordé à Business Magazine, le CEO d’Afrasia Bank évoque la fantastique fenêtre d’opportunités qui s’ouvre pour le secteur financier bancaire et non bancaire suivant la sortie de maurice de la liste noire de l’union européenne et l’inclusion de juridictions concurrentes comme Dubaï sur la liste grise du groupe d’action financière.

Avant de prendre vos fonctions à Maurice en décembre dernier, vous avez travaillé en Russie pour le compte de la HSBC. Vous avez certainement pu constater les tensions dans cette partie du monde. Cela dit, quel regard jetez-vous sur la crise russo-ukrainienne ?

Ayant vécu cinq ans et demi en Russie, c’est une chose très douloureuse et personnelle à voir. Cette situation de guerre n’est pas seulement une catastrophe pour l’Ukraine, mais aussi pour la Russie. L’impact sur la Russie pourrait, en fait, s’inscrire sur le plus long terme. Si l’Ukraine finit par renforcer ses liens avec l’Occident et rejoint l’Union européenne, tandis que la Russie s’isole davantage du monde, potentiellement pour de nombreuses années, cela pourrait être terrible pour toute une génération de jeunes en Russie. En prenant du recul, je dirais que j’ai observé deux choses assez frappantes depuis l’invasion militaire de l’Ukraine, le 24 février. Premièrement, la fermeté de la réponse concertée et robuste des États-Unis, de l’Union européenne et du RoyaumeUni, malgré la division entre les pays occidentaux, à l’invasion de la Russie. La réponse en termes de sanctions et de soutien à l’Ukraine a été assez spectaculaire. Cela peut, en effet, annoncer une sorte de nouvelle configuration géostratégique du monde entre les États autoritaires et les démocraties. C’est peut-être quelque chose qui nous accompagnera pendant un certain temps encore. L’autre élément que je trouve tout à fait remarquable est la résistance acharnée du peuple ukrainien et de l’armée, sous la direction charismatique du président Zelensky. Il semble donc qu’une forme d’accord sera trouvée pour que l’Ukraine conserve son indépendance, même si elle doit renoncer à certains des territoires occupés.

L’Europe vient d’adopter un quatrième train de sanctions à l’encontre de Moscou, ciblant les intérêts économiques russes et visant à exclure la Russie du système financier mondial. Quel impact aura la fragilisation du géant (12e économie au monde) sur l’ensemble de l’économie mondiale ?

Nous devons penser à la Russie à plusieurs niveaux. La Russie n’est pas seulement une très grande économie, mais aussi un très grand importateur et un très grand exportateur. Cette économie est maintenant soudainement coupée du monde. À ce jour, les sanctions permettent au commerce de l’énergie de se poursuivre, mais on peut se demander pour combien de temps encore. Il semble que l’Union européenne vient de gagner du temps pour réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie pour l’hiver prochain. En termes purement numériques, il s’agit d’une réduction spectaculaire de la demande dans l’économie mondiale, et cela aura un effet macroéconomique qui touchera principalement l’Europe, le principal partenaire commercial de la Russie, qui représente 37,3 % du commerce total de marchandises du pays avec le monde. Nous en voyons le résultat, en termes de taux de change de l’euro, et les marchés boursiers en Europe reflètent des perspectives de croissance plus faibles. D’un point de vue macroéconomique, Maurice, en étant simplement très éloigné de tout cela, ne sera pas beaucoup affecté. L’impact se situe à un niveau granulaire en termes de sanctions et là, bien que nous soyons loin de la Russie, les banques mauriciennes doivent être extrêmement attentives à ce qu’elles se conforment pleinement à toutes les nouvelles sanctions. Le non-respect de ces sanctions ne peut qu’avoir de graves répercussions sur notre image de centre financier international et donc, sur les banques correspondantes qui fournissent des services de paiement en euros et en dollars. Un autre impact concerne les prix des matières premières, en particulier l’énergie et les denrées alimentaires, car la Russie n’est pas seulement l’un des plus grands exportateurs d’énergie, mais la Russie et l’Ukraine combinées sont de très grands exportateurs de denrées alimentaires, notamment de blé. L’impact se fera sentir à Maurice et les consommateurs devront faire face à un coût plus élevé de l’énergie et de la nourriture. De même, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne seront affectés. Les difficultés et l’impact humain de cette situation peuvent devenir assez dramatiques dans de nombreux marchés africains proches de nos frontières.

«Il semble qu’une forme d’accord sera trouvée pour que l’Ukraine conserve son indépendance, même si elle doit renoncer à certains des territoires occupés»

Comment les sanctions pourraient-elles affecter les relations économiques et commerciales entre la Russie et Maurice ?

Maurice a signé deux protocoles d’accord en novembre 2018 pour renforcer les opportunités d’investissement et de commerce avec la Russie, mais en réalité, les investissements directs étrangers et le commerce sont très limités. Donc, l’impact est assez limité, dans un sens direct. Les investissements directs étrangers en provenance de Russie se sont élevés à 3,9 millions de dollars en 2017, les importations en provenance de Russie se sont élevées à 11,4 millions de dollars, tandis que les exportations se sont élevées à 2,1 millions de dollars. Les trois principaux produits d’importation étaient les pierres précieuses/semi-précieuses, les gaz de pétrole liquéfiés et la Vodka alors que les principales exportations de Maurice vers la Russie étaient le thon, le sucre spécial et les tee-shirts. En tant que telles, je ne pense pas que les sanctions affecteront spécifiquement les relations économiques et commerciales entre les deux pays, qui sont d’assez faible ampleur.

Au niveau d’AfrAsia, comment est-ce que vous traitez avec la clientèle russe dont les holdings offshore sont implantées à Maurice ?

Il est bien connu que les sociétés russes et les individus russes ont utilisé les centres financiers offshore à grande échelle, mais principalement des juridictions comme la Suisse et Chypre. Maurice a une activité très limitée de clients russes et nous pourrions dire la même chose pour AfrAsia. Cela dit, je voudrais réitérer l’importance, à un niveau technique, pour les banques d’être très prudentes, très attentives et très détaillées sur la façon dont elles appliquent les sanctions, car nous pourrions nous retrouver avec des situations où des détenteurs de capitaux russes – ils peuvent être légitimes mais probablement pas – qui, sur la base de sanctions strictes dans d’autres juridictions, pourraient vouloir transférer leur richesse à Maurice et entrer par d’autres moyens si les banques ne sont pas suffisamment prudentes.

Abordons le volet de la sortie de Maurice de la liste noire. Maurice pourra-t-il convaincre les investisseurs internationaux, qui pendant ces 18 derniers mois ont délaissé Maurice pour des juridictions concurrentes comme Singapour et Dubaï, de se tourner à nouveau vers notre juridiction pour leurs structurations financières ?

La sortie de Maurice de la liste grise du GAFI et de la liste noire de l’Union européenne est un développement vraiment positif. En fait, il s’agit d’une réussite remarquable des autorités mauriciennes, qui ont réussi à mener à bien une liste très complexe et technique de réformes dans un délai très court. Cela renforce la confiance et la réputation de l’environnement réglementaire du pays. Sans aucun doute, c’est un travail très bien fait et nous avons vu un impact très positif. Lorsque Maurice a été placé sur la liste noire, il n’y a pas eu de baisse particulière de l’activité relative au secteur global business, mais plutôt une pause. Aujourd’hui, la voie est à nouveau dégagée et nous pouvons déjà constater un nouvel élan. De même, on a constaté que certains centres de services financiers offshore qui, dans un certain sens, sont les concurrents de Maurice, notamment les îles Caïmans, Malte et Dubaï, sont passés sous la surveillance du Groupe d’action financière.

«Le non-respect de ces sanctions ne peut qu’avoir de graves répercussions sur notre image de centre financier international et donc, sur les banques correspondantes qui fournissent des services de paiement en euros et en dollars»

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