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Marché de l’emploi : les règles du jeu changent

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Marché de l’emploi : les règles du jeu changent | business-magazine.mu

Quand le vin est tiré, il faut le boire. Les employeurs l’ont bien compris : ils n’ont d’autre choix que de s’adapter à la législation du travail qui, quoiqu’on en dise, était une nécessité alors que nous abordons une nouvelle décennie où notre prospérité reposera sur l’engagement de tout un chacun. Dans ce contexte, il était devenu crucial de créer un cadre moderne, propice à l’épanouissement des collaborateurs dans les entreprises.

Longtemps confiné au stade d’économie à revenu intermédiaire, Maurice est sur le point d’intégrer le cercle des pays à haut élevé. C’est un accomplissement majeur pour ce petit État insulaire qui, dans les années 60, était encore dans un état de sousdéveloppement. Et le miracle mauricien tient à la vision de nos dirigeants politiques et économiques, mais aussi aux efforts de la classe ouvrière. Une culture de l’effort qui a porté tout un pays.

Il faut dire qu’en matière de relations industrielles, le pays a toujours été à l’avantgarde. En 1973, on a adopté l’Industrial Relations Act qui a introduit le droit de grève. Une loi certes contestée, mais qui a accompagné notre développement pendant l’industrialisation. En 2008, le gouvernement de Ramgoolam fait adopter deux nouveaux textes de loi : l’Employment Rights Act et l’Employment Relations Act. Cela, afin d’accompagner la stratégie d’ouverture du pays et les réformes fiscales et structurelles initiées par le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen, en vue de créer un climat favorable aux affaires et de favoriser la mobilité des entreprises. Au vu de la conjoncture de l’époque, cette politique s’imposait. Mais le revers de la médaille, c’était que les droits des salariés étaient amoindris.

Alors que Maurice amorçait sa transformation et que l’écart entre les plus nantis et la masse se creusait, il était clair qu’on se devait de changer de modèle économique. Un changement qui s’est fait dans la douleur et à un moment où le secteur manufacturier était en fâcheuse posture. Après l’impôt négatif, le salaire minimum entrait en vigueur en janvier 2018. C’était le prélude à l’adoption de la Workers’ Rights Act, qui est promulguée en octobre dernier. Une loi révolutionnaire qui vient réhabiliter le salarié dans ses droits et va dans le sens d’un approfondissement de la démocratie. À l’heure d’une nouvelle démocratie participative rendue possible par les réseaux sociaux et qui remet en question le libéralisme pur et dur et ses inégalités, clairement, il fallait instaurer un nouveau cadre légal qui s’aligne sur le modèle de développement auquel on aspire et où l’humain est placé au centre du progrès. 

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GRINCEMENTS DE DENTS

Si dans la philosophie, la réforme du marché de l’emploi vient instaurer un cadre de travail sur lequel on pourra bâtir l’île Maurice de demain, dans la pratique, son application ne s’est pas faite sans grincements de dents. D’abord, il y a eu la quasiabsence de consultation avec le secteur privé lors de l’élaboration du Workers’ Rights Act. Ensuite, il y a bien évidemment le coût économique associé à la mise en œuvre des dispositions de la loi, dont le point d’orgue demeure la portabilité de la retraite – l’employeur doit cotiser l’équivalent de 4,5 % du salaire de chaque employé dans un plan géré par la sécurité sociale – qui met l’employé du privé sur un pied d’égalité avec les fonctionnaires, dans le sens qu’ils seront assurés de toucher une pension à la fin de leur carrière.

Selon Thierry Goder, Chief Executive Officer (CEO) d’Alentaris, la Workers’ Rights Act a suscité pas mal d’inquiétudes chez les capitaines d’industries. Ainsi, depuis l’adoption de cette loi, il a été sollicité par plusieurs entreprises pour faire des représentations sur ses tenants et ses aboutissants. Et de préciser : «Jusqu’ici, il y a encore des zones d’ombre qui méritent d’être éclaircies. On n’a pas toutes les réponses ; il faut aller dans les détails. Prenons le cas du boni de fin d’année. La loi fait provision pour que le calcul se fasse sur les rémunérations totales et ce, sur une base pro rata. Donc, les commissions et les heures supplémentaires doivent être prises en considération. Mais qu’en est-il de la contribution des entreprises aux bénéfices non pécuniaires comme le paiement des places de parking ? Est-ce que ce sera comptabilisé. Certaines sociétés internationales comme celles de l’Afrique du Sud utilisent le principe de coût pour l’entreprise pour rémunérer leurs salariés. Somme toute, elles leur paient un montant global. Et les allocations, comme celles pour le transport, sont diluées dans le salaire. Ainsi, pour ces sociétés sud-africaines, c’est un changement radical».

Plus que jamais, la pérennité des activités des entreprises dépendra de leur capacité à gérer leurs coûts et à rester dans leur budget. Le nerf de la guerre, ce sera de contrôler leur flux de trésorerie et d’assurer leur rentabilité. «Généralement, les entreprises se sont montrées proactives. Les directeurs financiers se démènent pour évaluer l’impact de la nouvelle loi sur le cash-flow. Dans le secteur manufacturier en particulier, on suit de près la situation», argue Thierry Goder.

Il est rejoint par Ravish Pothegadoo, le directeur de Talent on Tap, qui fait ressortir que la Workers’ Right Act comprend un ensemble de mesures en faveur des salariés tout en offrant également plus de flexibilité : portabilité de la retraite, travail atypique, flexi-time, télétravail, congés payés additionnels et remboursement de ceux qui ne sont pas pris.

«D’un point de vue objectif et financier, certaines de ces mesures sont au détriment des compagnies. Je fais là référence à la portabilité de la retraite et aux nouvelles méthodes de calcul du boni de fin d’année. De même, la mise en place du Redundancy Board peut freiner certaines entreprises qui envisagent une restructuration ou abandonner certains services qui ne sont pas rentables», observe-t-il.

Et qu’en est-il des campagnes de recrutement en ce début d’année ? Serontelles impactées par les nouvelles dispositions de la législation du travail ? De l’avis de Ravish Pothegadoo, c’est définitivement le cas. Car les frais salariaux des entreprises sont en hausse. «Il y a un impact sur les recrutements. Stratégiquement, il faut s’attendre à une révision de la grille salariale pour les nouvelles recrues. L’impact devrait aussi se faire ressentir en termes de volume de recrutement», ajoute-t-il.

Une tendance qui est également observée par Aurélie Marie, Head of Communication and Recruitement à Myjob. Au niveau de la plus grosse plateforme de recrutement en ligne, on suit de près l’impact des nouvelles dispositions de la Workers’ Right Act. Au 15 janvier, 1 142 offres d’emploi étaient postées sur le site. On pense atteindre le chiffre de 1 400 offres d’emploi d’ici à la fin de janvier contre 1 534 en janvier 2019. «Nous constatons une croissance plus faible des recrutements en janvier 2020 par rapport à janvier 2019 et 2018 lorsque la croissance s’élevait à 24 % et 27 % respectivement. Les entreprises doivent anticiper et faire provision pour les coûts additionnels liés au calcul du boni de fin d’année, surtout pour les métiers dans le commerce et la vente, et les charges liées au Portable Gratuity Retirement Fund. Les campagnes de recrutement pour les grandes entreprises ne seront pas impactées. Ce sont surtout les recrutements ponctuels en début d’année, notamment, pour le compte des PME qui pourront être retardés, voire annulés», soutient-elle.

S’il y a un léger ralentissement sur le marché du recrutement, par contre, il y a des opportunités dans certains secteurs, notamment, dans le domaine de l’hospitalité, avec des postes à pourvoir dans l’hôtellerie et sur les croisières, indique Nadine Catherine, CEO de Task Consulting et de Task International Recruitment Services. Outre de dispenser de la formation pour les métiers liés à la restauration, elle s’occupe du placement de ses étudiants. Du reste, la formation est plus axée sur le côté pratique. Ainsi, l’apprenant passe un jour en classe et cinq jours dans un hôtel. «Il est vrai qu’il y a un certain désintérêt des jeunes dans l’hôtellerie, mais c’est un secteur porteur. Ainsi, un ‘Executive chef’ peut prétendre à un salaire de 5 000 euros par mois. Pour ce poste, on travaille pendant trois mois et les trois mois suivants, on est en congé payé. Pour tous les postes de manager, le salaire varie de Rs 90 000 à Rs 120 000. Alors qu’un directeur perçoit entre Rs 200 000 et Rs 250 000. Il y a aussi les bateaux de croisière qui recrutent beaucoup à partir de Maurice. Il y a environ 5 000 postes disponibles pour les Mauriciens sur les bateaux sur les croisières par an. En ce moment, on arrive à peine à remplir le tiers des postes à pourvoir. À noter qu’un serveur touche un salaire de base autour de Rs 48 000. Avec les pourboires et les suppléments, il peut sortir avec Rs 80 000», indique-t-elle.

Commentant la nouvelle législation du travail, elle estime que c’est un pas dans la bonne direction et qu’il était important qu’après leur carrière dans l’hôtellerie, les salariés touchent une rémunération pour leurs années de service. Et d’ajouter que depuis l’introduction du salaire minimum, les hôteliers ont joué le jeu.

La réforme du marché du travail favorise l’épanouissement du salarié. Idéalement, elle doit aussi déboucher sur un nouveau pacte social entre l’employeur et son collaborateur. Et une nouvelle culture du travail axée sur l’efficience, l’innovation et la productivité.

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