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Marché du jouet : La magie peine à s’opérer

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À quelques jours de noël, les gérants des magasins spécialisés dans la vente de jouets n’affichent pas une confiance démesurée. Un ensemble de facteurs risquent de perturber les ventes : la baisse du pouvoir d’achat du mauricien, les prix prohibitifs de certains jouets résultant autant de l’emballement du coût du fret que de la dépréciation de la roupie, les retards dans l’acheminement des produits et les restrictions sanitaires qui limitent l’affluence dans les galeries marchandes. Est-ce que la magie va s’opérer ?


15 HEURES vient de sonner quand nous foulons le seuil du Bagatelle Mall en ce jeudi 16 décembre. L’allée centrale du centre commercial, côté Flying Dodo et Burger King, est bondée de monde. Des familles déambulent, certaines avec des paquets ou sacs de shopping en main. Au Café LUX, des consommateurs sont attablés pour le goûter. Si cette allée concentre l’afflux de la fréquentation des lieux, les boutiques sont, a contrario, presque vides. Un vrai paradoxe !

En cette période d’emplettes et de tournée d’achats et de prospection pour les jouets de Noël, ce constat semble indiquer une nouvelle réalité dans le comportement d’achat.

La fréquentation chez King Jouet ce jour-là illustre peutêtre cet état de fait. Pour une visite de la franchise française, spécialiste des jouets, il faut traverser le magasin Orchestra, spécialisé dans l’univers des enfants. Ce jour-là, le magasin compte un peu plus de dix personnes, essentiellement des parents accompagnés de leurs nourrissons ou leurs jeunes enfants. Ils s’intéressent au rayon des vêtements, privilégiant l’utile. Par contre, dans la section réservée aux jouets, opérant sous la franchise King Jouet, moins de cinq personnes sont présentes. Et pourtant, ce n’est pas la variété de jouets qui manque. Quoi que les prix pratiqués ne soient pas dans la limite du budget consacré aux cadeaux de Noël de toutes les catégories socioprofessionnelles. La plupart des prix des jouets débutent à Rs 1 000. Dans tous les cas, les jouets qui attirent notre regard dans la variété de l’offre disponible incluent le Jenga de Hasbro Gaming (Rs 1 229), le sac de frappe de boxe de Nerf (Rs 1 799) et le lego Super Mario Set Créateur (Rs 4 649).

Détour par la suite à La City Trianon. Nous arrivons sur place vers 16 heures. Puisque l’aile centrale du Mall est à ciel ouvert, et moins compact par la configuration choisie pour les lieux, l’analyse de sa fréquentation est moins lisible. Mais le constat est le même pour Active Kids ou encore Lotus d’Or. On ne se rue pas dans ces magasins. Du moins, pas encore. Peut-être qu’avec le Late night shopping qui, à Bagatelle Mall, a démarré vendredi dernier, les choses vont évoluer.

Analysant les grandes dynamiques du marché du jouet, le Dr Takesh Luckho, économiste, est d’avis que le Late night shopping pourrait faire accélérer les ventes dans les derniers jours précédant Noël. «Les achats de jouets se faisant généralement une semaine avant Noël, et ce, jusqu’en janvier, et avec les restrictions sanitaires en vigueur, cela va perturber les ‘Last minute buying’ qui surviennent généralement avec le paiement du boni. Avec les magasins imposant un nombre limité de clients présents à la fois, ou ne permettant pas aux personnes pas vaccinées ou pas complètement vaccinées d’effectuer leurs achats chez eux, cela va représenter un manque à gagner pour les enseignes», argue-t-il.

Au-delà du paiement du boni et des salaires dans la fonction publique dès le 10 décembre, qui est un facteur devant influencer positivement la vente des jouets, le Late night shopping donnera l’opportunité aux parents qui travaillent jusqu’en fin de journée de pouvoir effectuer leurs achats de Noël avec bien moins de contraintes après les heures du travail.

«Définitivement, les parents vont débourser en cadeaux de Noël. La période festive en fin d’année est une période spéciale. Les consommateurs n’observent pas les règles normalement appliquées le reste de l’année en termes de dépenses. Lorsque nous observons la courbe de consommation en cette période, nous constatons qu’importe la situation qui prévaut, les gens observent cette tradition de consommer plus, que ce soit sur des vêtements neufs, des cadeaux, des jouets, de la nourriture, et je ne crois que cette année l’on va déroger à cette règle. Avant la crise, la période festive s’apparentait à une période faste propice à une explosion de la consommation. Cette consommation était alimentée par le paiement du boni de fin d’année et du boni de performance pour certains, sans compter les salaires.»

«Ce qui est tout à fait logique puisqu’en cette période, l’on reçoit proches, amis et famille, pour passer un moment privilégié et festoyer», souligne l’économiste Takesh Luckho.


VERS UNE CONTRACTION DE 20-25 %

Du marché du jouet en 2020, le marché du détail avait vu son chiffre d’affaires se contracter de 30 % pour la période des fêtes. Pour cette année, les experts anticipaient une contraction du marché du jouet de l’ordre de 20-25 % par rapport à la période pré-Covid-19. La reprise économique aura inévitablement un effet positif sur le marché du jouet. Mais il y a une série de facteurs qui vont faire le contre-poids. Parmi, la dépréciation de la roupie face aux devises étrangères, nommément le dollar américain, l’explosion des coûts de fret principalement en provenance d’Asie et la visibilité réduite avec l’apparition du variant Omicron.


L’IMPACT DU COÛT DU FRET

Comparativement à l’année dernière, quand l’économie était fonctionnelle à environ 85 % de sa capacité, dixit AXYS, en ce dernier trimestre, le tourisme a redémarré ses activités. Et les premiers signes de la reprise sont visibles. Malgré la présence des variants Delta et Omicron sur le territoire, nous ne sommes plus dans une situation d’urgence économique. Le principal frein â la croissance du marché du jouet demeure le coût du fret qui a fait grimper les prix.

«La hausse du fret est de l’ordre de 400 % pour les importations en provenance d’Asie, d’où les jouets sont principalement importés. Si en octobre, un conteneur de marchandises de 20 pieds coûtait 3 000 dollars, en ce mois de décembre, le prix tourne autour de 8 000 dollars, et l’on peut s’attendre à ce qu’en janvier 2022, le coût atteigne les 10 000-13 000 dollars, m’a partagé un des leaders du marché maritime», anticipe le Dr Takesh Luckhoo.

La conséquence en est que les importateurs et commerçants sont tentés de passer le coût aux consommateurs. Meenakshi, vendeuse au magasin de jouets Kids Club à Port-Louis, l’avoue de manière détournée. «Les prix des jouets que nous voulions faire venir pour Noël ont augmenté de presque 100 % par rapport à 2019, ce qui fait que nous n’avons pas fait venir beaucoup de nouveautés», dit-elle.

Qu’en est-il des prix des jouets d’anciens stocks ? «Les prix de tous les articles sont en train d’augmenter. Nous ne pouvons rien faire à part de majorer un peu les prix existants pour pouvoir continuer à faire rouler le magasin, surtout que le reste de l’année, la demande pour les jouets est faible», confie Meenakshi.

De son côté, Vanessa Cheng, responsable de ventes chez Play It, magasin de jouets qui a pignon sur rue à Venus, indique que la demande pour les jouets est là, mais certains produits ne sont pas disponibles sur le marché. Elle partage l’avis que, compte tenu de la situation économique actuelle, les Mauriciens disposent d’un budget limité. «Les parents penseront à deux fois avant d’acheter un jouet et bien sûr, cela aura un impact sur le chiffre d’affaires des commerces. Mais, d’un autre côté, il y a des parents qui n’hésiteront pas à débourser un budget plus élevé pour faire plaisir à leur progéniture», faitelle remarquer.

Par rapport à l’année dernière, Play It a importé la même quantité de jouets. Mais elle concède qu’avec «tous les problèmes qui arrivent, comme le fret ou le manque de matières premières, cela était difficile pour l’importation».

Pour rendre ses produits accessibles au plus grand nombre, Play IT propose un choix de jouets dans des marques internationalement connues (aussi bien européennes qu’américaines), mais aussi des marques asiatiques.

«Nos prix varient dépendant de la provenance du produit et du coût du fret. Cette année, nous avons mis l’accent sur les jeux d’apprentissage comme les puzzles, blocs de construction, poupées interactives et jeux de rôle», indique-t-elle.

Comme on l’a vu, le prix joue un rôle crucial dans le marché du jouet, surtout en cette période de crise. Il y a donc une vraie opportunité pour les fabricants locaux qui ne sont pas sujets aux contraintes liées aux coûts du fret. D’ailleurs, la gérante de L’Atelier de Lilou, Diane Maurel, note que depuis le début de la crise, il y a eu une vraie énergie prenant la forme d’une volonté individuelle d’acheter local et mauricien. Elle se dit satisfaite de la demande pour ses produits.

«Mes produits ne sont pas extrêmement chers, mais ils ne sont pas à l’échelle de tout le monde. Ce sont d’ailleurs les produits en dessous de Rs 1 000 qui remportent le plus de succès. Avec l’annulation de tous les marchés de Noël cependant, je craignais un peu un recul de la vente et de la demande pendant cette période. Ces marchés représentent quand même des opportunités de vente significatives. J’ai été donc surprise qu’il y ait un pick-up dans la demande pour les créations et même un boom par rapport à la période correspondante en 2020. Le stock constitué pour ces marchés est presque épuisé, et je suis très contente», affirme-t-elle.

Ces prochains jours seront déterminants pour le marché du jouet. Est-ce que les Mauriciens s’adonneront à ce que l’on appelle le «precautionary saving», théorie macroéconomique qui veut qu’en temps d’incertitudes, de crises ou de risques, la consommation est réduite dans l’optique d’épargner et garder de l’argent sous forme liquide comme une sorte d’auto-assurance, ou se laisseront-ils en fin de compte gagner par la frénésie d’achat ? Verdict dans quelques jours.

À liire en intégralité dans ce numéro

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