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Monnaie numérique : Le système d’échange du futur

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La Banque de Maurice planche actuellement sur la création de sa propre monnaie numérique. Ce qui devrait révolutionner le système d’échange lors des années à venir. D’un point de vue purement macroéconomique, cette monnaie numérique permettra à la banque centrale d’améliorer la transparence du cadre de politique monétaire.

Longtemps réfractaires à l’idée d’une monnaie numérique nationale, les pays développés ont compris qu’ils ne pouvaient plus aller à contre-courant de la révolution numérique et son impact sur les transactions monétaires. Avec la pandémie qui a fait s’envoler le commerce sans espèces, l’intérêt pour l’utilisation de monnaie numérique dans un cadre réglementé a pris une nouvelle dimension. La Chine a donné le coup d’envoi en lançant une phase de test sur son yuan numérique depuis mai 2020. La Réserve fédérale américaine est aussi à un stade avancé de son projet de Fedcoin, une version numérique du dollar. Deux prototypes seront présentés au troisième trimestre. Alors que l’euro numérique pourrait être lancé dans les quatre prochaines années. À Maurice également, l’on est également décidé à ne pas rater le train. Forte de l’assistance technique du Fonds monétaire international (FMI), la Banque de Maurice se penche sur la création de sa monnaie numérique (Central Bank Digital Currency – CBDC). Ce développement est un grand pas vers la modernité de notre économie. La CBDC est, en termes simples, la version numérique de la monnaie fiduciaire (fiat) que l’on utilise quotidiennement. Les avantages potentiels en sont considérables. Contrairement aux cryptomonnaies, comme le Bitcoin, fonctionnant via des réseaux blockchain de manière décentralisée, une CBDC est, par conception, un actif numérique émis et contrôlé par l’État. Ainsi, les transactions via la monnaie numérique de Banque centrale seront dûment réglementées. Selon Daniel Essoo, CEO de la Mauritius Bankers Association (MBA), il est essential de faire la distinction entre les monnaies numériques, qui sont effectivement comme des devises existantes, mais en format digital, et les autres formes de monnaies numériques, le Bitcoin par exemple.

Les CBDC sont comme du liquide, mais leur infrastructure informatique permet de surveiller les flux. En théorie, les paiements seront suivis et il y aurait un audit trail digital. «L’introduction de la CBDC est une mesure que nous accueillons avec beaucoup d’intérêt, et nous attendons de voir les modalités de celle-ci. La monétique est déjà dématérialisée, et les paiements digitaux de plus en plus courants. La pandémie de la Covid-19 est venue mettre en exergue les avantages pratiques des canaux digitaux : ils sont hygiéniques, plus simples et plus transparents ; et la CDBC est un autre pas dans cette direction», fait ressortir Daniel Essoo. Concrètement, une monnaie numérique nationale peut être de deux natures : de détail ou de gros. Elle est de détail quand elle est utilisée par des particuliers pour effectuer des paiements. Et de gros quand les institutions financières s’en servent pour régler des transactions sur les marches financiers. De l’avis de Manisha Dookhony, économiste, Senior Advisor et Mentor en Namibie, la monnaie numérique nationale peut bien être le moyen d’échange du futur. «En tant que moyen d’échange pratiquement sans coût, la CBDC améliorerait considérablement l’efficacité du système de paiement. Une étude du FMI souligne que l’introduction de la CBDC faciliterait un règlement plus rapide et plus sûr des transactions financières transfrontalières. Une CBDC à Maurice serait particulièrement bénéfique aux ménages à faible revenu, qui ont tendance à dépendre fortement de leurs liquidités ainsi qu’aux petites entreprises, qui supportent des coûts substantiels pour le traitement de la monnaie en espèces ou des frais d’interchange importants pour accepter des paiements par carte de débit et de crédit», soutient-elle. Ainsi, les banques centrales examinent si la CBDC pourrait les aider à atteindre leurs objectifs de bien public, tels que la sauvegarde de la confiance du public dans l’argent, le maintien de la stabilité des prix et la garantie de systèmes et d’infrastructures de paiement sûrs et résilients. En cas de succès, la CBDC pourrait garantir qu’à mesure que les économies passent au numérique, le grand public conserverait l’accès à la forme de monnaie la plus sûre ; une créance sur une Banque centrale. Cela pourrait promouvoir la diversité d’options de paiement, accroître l’inclusion financière et éventuellement faciliter les transferts fiscaux en période de crise économique.

De son côté, le Dr Chiragra Chakrabarty, directeur de Katic Consulting, fait remarquer que des recherches ont montré que le règlement des transactions interbancaires transfrontalières via une monnaie numérique nationale pourrait réduire les coûts de transaction de 51%.

«C’est une grosse économie. Il y a des avantages certains à avoir une CBDC en termes de système de paiement et l’un des plus importants est la facilité des paiements transfrontaliers. Les transactions transfrontalières instantanées à grande échelle, avec de faibles frais de transaction et de change, avec peu de risques car elles sont soutenues par le système bancaire central, modifieraient fondamentalement les paiements internationaux, les envois de fonds et le commerce électronique, entre autres industries», indique-t-il. Et d’ajouter que l’accélération des paiements interjuridictionnels réduit l’exposition des institutions financières au risque de crédit et de règlement, augmente la liquidité et la transparence des paiements, ainsi que la réduction de la surface d’attaque des cyberattaques et des menaces. Or, valeur du jour, on ne sait pas encore comment les transferts transfrontaliers se feront, concède Daniel Essoo. S’agissant des autres monnaies qui ne sont pas émises pas une banque centrale, il indique qu’il faudra voir comment se fait l’échange entre la devise ’fiat’ (monnaie décrétée par un État) et la monnaie digitale. Il s’agira aussi de savoir comment fonctionneront les mécanismes de surveillance disponibles, car beaucoup de ces devises sont aujourd’hui essentiellement anonymes. Mais ces risques sont techniquement gérables. Et la MBA suit avec intérêt ces développements afin de s’assurer que les banques peuvent honorer leurs obligations légales par rapport à la conformité.

Par ailleurs, une monnaie numérique nationale devrait offrir des fonctionnalités permettant de promouvoir des paiements plus résilients, sûrs, efficaces, inclusifs et innovants que le système bancaire actuel et d’autres formes de paiement numériques. Comme en Chine, la CBDC apportera la possibilité de soutenir les activités commerciales, que ce soit au niveau du détail que du gros. À ce propos, Manisha Dookhony fait ressortir que «rien que pour le bassin de l’océan Indien, les coûts pour acheter et vendre des produits et services sont énormes à cause des coûts des services bancaires. J’espère qu’il n’y aura pas d’autre pandémie, mais avec une monnaie numérique de banque centrale locale, nous n’aurons plus à envoyer des policiers et facteurs pour la distribution de pension et fonds de secours aux familles nécessiteuses». Elle est rejointe par Jaya Patten, directeur de Jaya Advisory – Financial Markets, Risks and Governance, qui soutient que la pandémie a accéléré la numérisation. Ainsi, la nécessité d’aider les plus vulnérables en urgence a suscité le besoin de moderniser les modalités de versement d’allocation au grand public. «Si les monnaies numériques nationales existaient au début de 2020, elles auraient été le choix de prédilection pour le versement des allocations d’aide contre la Covid-19, en particulier aux travailleurs indépendants. C’est l’occasion d’améliorer et de coordonner d’autres initiatives comme les technologies d’identité numérique, les registres sociaux et les interfaces reliant les infrastructures de règlement aux systèmes de gestion et d’information des services publics», recommande-t-il.

L’IMPACT DU PROCESSUS DE DÉSINTERMÉDIATION SUR LES BANQUES

L’un des risques associés à la monnaie numérique nationale réside dans le fait que les banques commerciales pourraient être laissées en bordure de route, estime Manisha Dookhony. À la base, le système blockchain est une réaction contre le système financier. Le concept de Bitcoin, qui utilise la technologie blockchain, a été présenté un mois après le début de la crise financière de 2008 car les gens n’avaient plus confiance dans le système financier. Et la technologie inhérente permet à deux personnes d’effectuer des transactions sans passer par les banques. Dans le système qui sera mis en place par les banques centrales, la question est de savoir s’il y aura toujours un rôle pour les banques commerciales. De plus, l’impact sur les banques commerciales dépend de la méthode et des règles de la monnaie numérique actuelle. Si la CBDC est émise directement au public, cela peut donner lieu à une désintermédiation complète des banques commerciales. Cela devrait être évité dans les premières phases de mise en œuvre de la CBDC pour éviter de faire chavirer le système bancaire. Le risque le plus immédiat pour les banques commerciales sera la perte potentielle de dépôts qui seront transférés vers les propres portefeuilles d’utilisateurs. Les banques commerciales peuvent ainsi faire face à une concurrence accrue sur les marges de change provenant des projets de Decentralized Finance (DeFi). Par exemple, Uniswap v2 a facilité plus de $ 135 milliards de volumes de trading crypto depuis son lancement. Cela en moins d’un an. Ces plateformes de conversion cryptographique pourraient concurrencer les banques pour convertir entre différents pays les CBDC fournissant essentiellement le service de conversion FX. Au vu de l’intérêt pour les monnaies numériques, les banques commerciales devraient peut-être envisager d’étendre leurs marchés dans le métavers pour attirer la nouvelle richesse émergente, où des entrepreneurs comme Metakovan (Vignesh Sundaresan, basé à Singapour) ont récemment battu le record de l’art numérique le plus cher en payant $ 69,3 millions de dollars pour un Beeple NFT. La technologie innove à un rythme incroyable et remodèlera le système financier actuel. Daniel Essoo dit espérer que cette situation engendrera une réduction de l’utilisation du liquide. Ce qui devrait rendre la vie des clients plus simple, avec notamment moins de queues aux guichets automatiques, et éventuellement réduire les coûts d’administration du liquide pour les banques. «Nous anticipons que les opérations en CBDC seront plus faciles à surveiller, et viendront en conséquence réduire les coûts de conformité tout en assurant une réduction de la criminalité financière. Il est cependant encore tôt pour avoir une idée complète de l’impact», soutient-il.

LES LEÇONS À TIRER DU MODÈLE CHINOIS

En Chine, les Digital wallets comme Alipay et WeChat Pay ont été largement adoptés. Ce qui a poussé la Banque populaire de Chine à s’associer à des entreprises du secteur privé pour tester une monnaie électronique sur laquelle elle travaille depuis plusieurs années. Les essais en Chine se sont accélérés suite à la tentative de Facebook d’introduire sa monnaie digitale Libra. Cela, alors que la Banque populaire de Chine menait des recherches sur une monnaie numérique depuis de nombreuses années. On sait que les régulateurs chinois sont en train de s’assurer que la firme de paiement digital Ant Group se restructure. Ce qui est sûr, c’est que les banquiers centraux ont la crainte que des entreprises privées ne les concurrencent à leur propre jeu. Il est intéressant de noter que l’accord de libreéchange entre Maurice et la Chine, qui est entré en vigueur récemment, ne concerne pas seulement le commerce, mais aussi le développement d’une facilité de compensation et de règlement en renminbi à Maurice. «Cela est crucial pour l’expansion des échanges entre l’Afrique et la Chine. Le commerce entre la Chine et l’Afrique ayant connu une croissance exponentielle au cours des dernières décennies, le RMB gagne en popularité dans le commerce mondial et la demande pour le RMB est en hausse. Des pays d’Afrique, notamment le Ghana, le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, utilisent le RMB dans le cadre du règlement et de leurs monnaies de réserve. De nombreuses banques centrales africaines demandent à la Banque populaire de Chine un échange de devises et le placement d’une part de leurs réserves en RMB. En vue de cette future facilité pour les règlements en RMB et le fait que la Banque populaire de Chine est un précurseur des CBDC, une collaboration avec celle-ci ne serait pas une mauvaise chose», préconise Manisha Dookhony. Quant au Dr Chiragra Chakrabarty, il est d’avis que la Banque de Maurice devrait travailler avec le secteur privé pour développer la monnaie numérique nationale. La technologie n’étant pas le principal domaine d’activité de la Banque centrale, celle-ci peut être sous-traitée au secteur privé.

IMPACT SUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Du point de vue de la politique monétaire, les avis divergent quant à savoir si l’introduction de la monnaie numérique de banque centrale sera avantageuse ou pas. Son utilisation généralisée et l’obsolescence du papier-monnaie contribueraient à décourager l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et d’autres activités illégales. De plus, elle pourrait favoriser une véritable stabilité des prix car sa valeur réelle resterait stable au fil du temps en termes d’un large indice des prix à la consommation. Ce qui faciliterait la conduite systématique et transparente de la politique monétaire. Mais les implications d’une CBDC sur la stabilité financière dépendent en grande partie de la conception, de l’échelle d’adoption et de la structure du système financier des pays concernés. Il y a aussi le risque de substitution de la CBDC avec la multiplicité de monnaies numériques ; chose qui pourrait fragiliser la politique monétaire d’un pays.

«Les monnaies numériques nationales pourraient donner aux gouvernements la capacité de surveiller les utilisateurs. Même si c’est bon pour traquer les criminels, ce sera un souci pour la vie privée des citoyens ordinaires. Il peut y avoir des implications pour la stabilité financière. Les modèles commerciaux des banques et des plateformes de paiement devraient changer si les gens utilisent la monnaie numérique fournie par le gouvernement. Et les banques centrales devraient considérablement renforcer leur capacité opérationnelle pour gérer une monnaie numérique, allant de la gestion des réserves et des dépôts à la protection de la vie privée des utilisateurs, à la prévention de la contrefaçon numérique et à l’atténuation des cyberattaques et autres risques opérationnels», souligne Manisha Dookhony. Par ailleurs, le Dr Chiragra Chakrabarty avance que d’un point de vue technique, la Banque centrale pourrait facilement payer des intérêts sur la CBDC. En effet, tous les fonds détenus à la Banque centrale porteraient le même taux d’intérêt nominal, indépendamment du fait que ces fonds appartiennent à un individu, une entreprise ou une institution financière. Cette approche résumerait l’analyse de Friedman (1960), qui a soutenu que dans un système monétaire efficace, la monnaie émise par l’État devrait produire le même rendement que les autres actifs sans risque. Ce raisonnement sous-tend les arrangements de nombreuses banques centrales à travers le monde, qui paient des intérêts sur les réserves des banques commerciales détenues électroniquement à la Banque centrale. Et le fait de payer des intérêts sur les monnaies numériques nationales pourrait fort bien améliorer la compétitivité du système bancaire. Les Depository institutions qui s’engagent dans du Relationship banking axé sur la clientèle ne seraient pas touchées, tandis que les déposants d’autres institutions moins compétitives auraient la possibilité de transférer des fonds dans des comptes en monnaie numérique nationale. Dans une économie en croissance avec un niveau de prix stable, le taux d’intérêt payé sur la CBDC serait généralement positif. Cependant, si l’économie subissait une grave perturbation défavorable qui exercerait une pression à la baisse sur le niveau général des prix, il devrait être possible pour la Banque centrale de réduire les taux d’intérêt au besoin pour favoriser la reprise économique et la stabilité des prix. À l’heure actuelle, le papier-monnaie constitue un obstacle important à la capacité de la Banque centrale de réduire son taux directeur en réponse à de graves chocs défavorables.

UNE MONNAIE NUMÉRIQUE NATIONALE EST UN ACTIF NUMÉRIQUE ÉMIS ET CONTRÔLÉ PAR L’ÉTAT

La trésorerie génère un intérêt nul et devient donc de plus en plus intéressante comme réserve de valeur lorsque les taux d’intérêt nominaux sont négatifs. En effet, si les taux des dépôts bancaires et autres actifs à court terme étaient poussés trop loin en dessous de zéro, le système financier pourrait subir une désintermédiation sévère en liquidités, semblable à ce qui s’est produit lors des paniques bancaires du début des années 1930. Cette contrainte sur la politique monétaire pourrait être éliminée en établissant un barème progressif de frais sur les transferts entre les espèces et les monnaies numériques nationales. En particulier, l’imposition de frais substantiels sur des transferts relativement importants ou fréquents constituerait un Wedge, ce qui rendrait peu rentable pour les investisseurs la désintermédiation en liquidités pendant une période de taux d’intérêt nominaux négatifs. Ces dernières années, un certain nombre de grandes banques centrales (dont la Banque centrale européenne et la Banque du Japon) ont payé des taux négatifs sur les réserves bancaires. Avec de tels arrangements en place, la politique monétaire ne serait plus contrainte par une borne inférieure effective des taux d’intérêt nominaux. Ainsi, le taux d’intérêt des monnaies numériques nationales pourrait servir de principal outil de politique monétaire, atténuant ainsi la nécessité de déployer des outils monétaires alternatifs tels que l’assouplissement quantitatif ou de s’appuyer sur des interventions fiscales pour restaurer la stabilité des prix. De plus, la borne inférieure des taux d’intérêt nominaux a été l’une des principales motivations du maintien d’un coussin d’inflation positif. Les principales banques centrales ont actuellement des objectifs d’inflation de 2 % et, à la suite de la crise financière, certains économistes ont préconisé de relever ces objectifs. Avec les monnaies numériques nationales dictant les taux d’intérêt, il n’y aurait plus besoin impérieux de maintenir un coussin d’inflation.

La valeur du marché de la cryptomonnaie grimpe

EN février 2020, un Bitcoin s’échangeait autour de $ 6 500. Au samedi 24 avril, sa valeur était à $ 49 900 sur Coinbase, alors que le 16 avril, la valeur avait atteint un nouveau record à $ 63 300. Il y a un an, Ethereum s’échangeait à $ 175. Aujourd’hui, il est à plus de $ 2 275. Au cours de la même période, XRP est passé de moins de 20 cents, à $ 1,81 à la mi-avril. Hormis les volatilités inhérentes aux cryptomonnaies sur le court terme, la crise a été un des facteurs clés qui ont engendré cette poussée continue des cryptomonnaies. Les banques centrales injectant de l’argent dans leur économie pour essayer de la maintenir à flot pendant la pandémie, il était inévitable que la valeur des monnaies traditionnelles commence à baisser. Alors que les monnaies traditionnelles fluctuent au gré de la situation macroéconomique et des annonces des Grands argentiers, les cryptomonnaies fluctuent suite aux annonces telles qu’Elon Musk annonçant l’achat de 1,5 milliard de dollars de Bitcoin par Tesla. D’ailleurs, cette multinationale a déjà commencé à accepter les paiements en cryptomonnaie. Il faut savoir que la valeur du marché de la cryptomonnaie a dépassé les $ 2 000 milliards pour la première fois en avril, portée par l’Ethereum, la deuxième plus grande pièce numérique. En un peu plus de deux mois, la capitalisation boursière du marché de la cryptomonnaie a doublé, selon le site Web de suivi des prix CoinGecko.

Le Bitcoin, la plus grande monnaie numérique, représente plus de 50% de l’ensemble de la capitalisation boursière de la cryptomonnaie. Sa valeur a augmenté de plus de 100% cette année seulement, ce qui a contribué à faire grimper le marché de la cryptomonnaie. «C’est un fait que la cryptomonnaie est devenue un actif de trading très célèbre. Mais je suis très sceptique à ce sujet car je pense que les cryptomonnaies privées sont échangées sans valeurs sous-jacentes majeures. Elles sont plus négociées d’un point de vue spéculatif. Donc, ma crainte est que lorsque ce marché commencera à s’effondrer, de nombreux investisseurs de ce marché perdront beaucoup d’argent. Je ne suis pas un très grand fan des cryptomonnaies privées en tant qu’actif qui peut être investi», analyse le Dr Chiragra Chakrabarty.

Jaya Patten (Directeur de Jaya Advisory Financial Markets, Risks and Governance) «L’impact de la monnaie numérique sur les banques dépendra de leur réactivité»

La Banque de Maurice travaille actuellement sur sa propre monnaie numérique. Comment accueillez-vous ce développement ?

La décision de la Banque de Maurice est louable. Elle va de pair avec l’initiative du gouvernement sur la FinTech. Selon une étude récente, plus de 85 % des banques centrales planchent sur le sujet. Au Royaume-Uni, le chancelier Rishi Sunak a annoncé, la semaine dernière, la création d’un groupe de travail sur la monnaie numérique. Cela démontre la volonté du Royaume-Uni postBrexit de consolider sa position en tant que centre financier mondial de premier plan. Les Bahamas ont déjà leur Sand dollar. La Chine a déjà commencé des essais à grande échelle sur le «e-Yuan». Alors que la Banque de France a conduit avec succès une transaction sur des fonds monétaires à l’aide de jetons (token) de CBDC en décembre 2020. Vu la cacophonie sur les cryptoactifs basés sur la blockchain et le matraquage médiatique sur l’exubérance du Bitcoin, il est compréhensible que les banques centrales s’impliquent. Elles sont déjà familières avec les monnaies numériques dites de gros en matière de transfert interbancaire. Certes, elles n’utilisent pas la blockchain. L’étape successive, bien que non triviale, consiste à concevoir des monnaies numériques de détail destinées au grand public. Il en existe plusieurs versions avec une panoplie de fonctionnalités intéressantes et innovantes. Selon certains officiels, la motivation première est de nature défensive. Pour préserver l’intégrité de leurs devises, les banques centrales espèrent offrir une alternative numérique. Le succès des plateformes privées offertes par les géants de la technologie tels que Facebook et Tencent a forcé la main des banques centrales. Le but est de garantir l’interconnectivité entre ces plateformes et de s’assurer que les cryptomonnaies n’empiètent pas le seigneuriage de la Banque centrale. Les monnaies numériques nationales offrent également plus de contrôle aux banques centrales grâce à leur transparence et leur traçabilité. Il y a manifestement un compromis entre la confidentialité et la nécessité de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités illégales.

Est-ce que la monnaie numérique comporte des avantages pour le développement d’un secteur financier inclusif ?

Les monnaies numériques nationales dans le cadre de la numérisation de la finance peuvent certainement contribuer à combattre l’exclusion financière. Il est intéressant de noter que certains pays d’Amérique latine envisagent les monnaies numériques avec ce motif particulier. L’exclusion présente un défi majeur. Dans le monde, environ un adulte sur trois n’est toujours pas bancarisé. Cela représente environ 1,7 milliard de personnes et, comme vous vous en doutez, elles se trouvent principalement dans les économies en développement. En fait, environ la moitié de cette population vit dans sept pays, principalement en Asie. Près de 56 % de ces personnes non bancarisées sont des femmes. Environ un quart des adultes non bancarisés appartiennent à la tranche des 20 % des ménages les plus pauvres dans leur économie respective. Cela représente environ le double des 20 % les plus riches. Plus de 60 % ont au mieux une éducation primaire. Un peu moins de la moitié sont exclus de la population active.

Avec la création de la monnaie numérique, la désintermédiation est l’un des risques qui guettent le système financier. Quel en sera l’impact sur les banques commerciales ?

Effectivement, un risque souvent cité est la désintermédiation. Les banques jouent un rôle important dans le processus de création de crédit. Elles empruntent court et prêtent long, selon le dicton. En outre, en cas de crise financière, si les gens ont la possibilité de convertir les fonds de leurs comptes bancaires en monnaie numérique, cela aggravera la panique et sapera le système financier. C’est l’équivalent d’un «bank run» numérique vers la Banque centrale. Cependant, ce ne sont pas des facteurs incontournables. La Bank for International Settlements a produit des recherches intéressantes pour définir un ensemble de mesures pouvant atténuer ces types de risques. Par ailleurs, l’impact sur les banques commerciales dépendra de leur réactivité. Les monnaies numériques nationales et les technologies associées offrent l’occasion de reconcevoir le système financier, y compris le rôle des banques commerciales et de la FinTech. L’innovation technologique est par définition darwinienne mais également riche en opportunités.

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