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Nikhil Treebhoohun: « Le secteur financier est prêt pour la restructuration »

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Nikhil Treebhoohun: « Le secteur financier est prêt pour la restructuration » | business-magazine.mu

L’incertitude plane toujours sur l’avenir du traité Inde-Maurice. Nikhil Treebhoohun, CEO de Global Finance Mauritius, explique que les Indiens ont une mauvaise perception de la façon dont opère le Global Business mauricien, tout en insistant sur le fait que notre secteur financier est très bien réglementé. Nous devons, par ailleurs, bouger vers des produits financiers à plus forte valeur ajoutée, insiste-t-il.

BUSINESSMAG. Comment doit-on interpréter la décision du gouvernement indien d’annuler la réunion du Joint Working Group (JWG), qui devait se tenir le 27 janvier ?

J’étais en Inde la semaine dernière. Je dois dire qu’il n’y a rien de dramatique derrière cette décision. Le chef de la délégation indienne devait se rendre au Sri Lanka le vendredi 31 janvier, alors que la délégation mauricienne allait arriver à Delhi le mercredi 29. Le chef de la délégation indienne n’aurait pas pu assister à la fin des discussions du JWG. Les autorités indiennes ont donc pris la décision de renvoyer les discussions. Ce renvoi n’a rien à voir avec la rencontre du Premier ministre avec le ministre Chidambaram à Davos.

BUSINESSMAG. S’il n’y a rien de dramatique comme vous le dites, comment interprétez-vous la réaction du Premier ministre ?

C’est bien qu’il ait réagi ainsi. Il a dit qu’il n’apprécie pas le fait que les discussions traînent en longueur. Nous aussi, au niveau des opérateurs, nous avons toujours dit qu’il faut conclure la discussion le plus vite possible. Mais, bien sûr, pas de n’importe quelle manière. Il faut sauvegarder les intérêts des deux pays, comme promis par les Indiens.

BUSINESSMAG. La décision des autorités indiennes de modifier les articles 11 et 13 est-elle justifiée ?

Dès le début des discussions sérieuses, trois ans de cela, l’Inde a voulu modifier les articles ayant trait aux intérêts et aux Capital Gains. Éliminer ces articles rendrait le traité caduc. Et si j’ai bien compris, cela explique pourquoi, dès le début, les autorités mauriciennes ont été récalcitrantes à négocier. Cela a été mal digéré par la partie indienne qui a interprété ce refus de notre part comme un aveu de la part de Maurice que nous avions des choses à cacher. Il ne faut pas oublier que les Indiens ont toujours officiellement avancé qu’ils veulent revoir le traité pour combattre la corruption et le blanchiment d’argent. De leur côté, les techniciens représentant le ministère des Finances indien ont toujours mentionné que leur objectif principal était d’augmenter les revenus de l’État indien.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il réellement ?

Au niveau de Global Finance Mauritius (GFM), nous estimons que nous avons un système avec un régulateur qui contrôle le round tripping. D’ailleurs, je le répète : il n’y a jamais eu de cas avéré de round tripping. En outre, il n’y a jamais eu de problème à partager les informations au niveau de la Financial Services Commission. Par ailleurs, l’Inde a même posté un officier du Central Board of Direct Taxes au Haut-commissariat indien à Maurice. Au niveau de GFM, nous avons joué le jeu et invité cet officier à visiter les Management Companies (MC) pour voir comment elles opèrent et ainsi se familiariser avec le concept des MC. Lors de mes rencontres avec les membres de la presse économique indienne, j’ai réalisé que le concept de MC, qui gère 100 à 300 entités, voire plus, n’est pas très bien compris par les Indiens. Ils pensaient qu’avoir 200 entités enregistrées à la même adresse était une preuve de l’existence de sociétés écrans (Shell Companies). Or, d’après la loi de Maurice, les Global Business Licencees doivent utiliser l’adresse de leur MC et toute correspondance doit être dirigée vers elle. Ce qui facilite la tâche du Registrar of Companies. Car, c’est la MC qui est responsable de la bonne gestion des entités opérant sous sa coupole. Nous opérons en toute légalité, même si cela peut donner l’impression, à la partie indienne, que nous avons des sociétés écrans.

BUSINESSMAG. Quels sont les changements qu’implique la clause de Limitation of Benefits que Maurice a acceptée ?

Effectivement, pour satisfaire les attentes des autorités indiennes, nous sommes tombés d’accord pour inclure une clause de Limitation of Benefits (LoB) dans le traité. Nous avons accepté cette clause pour donner l’assurance aux Indiens – qui ont prévu cette clause dans plus de 80 traités – que le traité avec Maurice sera sur un pied d’égalité avec les autres traités. Mais surtout, nous ne voulons pas d’un LoB qui menace la survie de notre secteur offshore. Quand on introduit un LoB, les bénéfices du traité sont limités aux opérateurs qui ont de la substance, ont des investissements crédibles et réels, et ne se servent pas de Maurice uniquement pour bénéficier du Double Taxation Avoidance Treaty. Du moment qu’on accepte d’introduire un LoB, cela veut dire que la Capital Gains Tax devra être payée par les opérateurs qui ne satisfont pas ces critères. Donc, indirectement, en introduisant un LoB, on est en train de modifier l’article 13 du traité. Dans le LoB, les Indiens veulent mettre des critères de dépenses, comme dans le traité avec Singapour. Dans ce traité, les opérateurs doivent, deux ans avant de vendre leurs actifs, avoir dépensé 200 000 dollars singapouriens par an. Mais nous ne pouvons pas comparer le coût de la vie de Singapour à celui de Maurice. Singapour est trois à quatre fois plus riche que nous. Donc, nous plaidons pour que l’on trouve un compromis, un chiffre réaliste pour Maurice.

En même temps, il faut se rendre compte que la structure du secteur financier à Maurice n’est pas la même qu’à Singapour. Sur les quelque 10 000 Global Business Licencees 1 éligibles pour bénéficier du traité, il y a environ 980 fonds, alors que le reste, ce sont des Investment holdings. En d’autres mots, la majorité des GBL1 sont des clients qui gardent leur argent à Maurice et qui attendent des opportunités d’investir. L‘argent reste à Maurice et, de temps en temps, leurs conseillers vont leur dire qu’il y a telle ou telle opportunité d’investir en Inde, au Nigeria, au Mozambique ou ailleurs. Sinon, il n’y a pas vraiment d’activité sur le plan des Investment holdings. Donc, leurs frais sont bien moindres.

Nous avons demandé, tout comme l’Asean Securities Industry and Financial Markets Association l’avait proposé au comité Shome, de faire la différence entre les différentes entités opérant dans notre centre offshore et de prévoir une différence en termes de montant de dépenses imposées dans le LoB. Nous disons que les fonds encourent des dépenses plus élevées que les Investment holdings.

BUSINESSMAG. Vu la situation actuelle, comment s’amorce la suite des négociations ? Ne risque-t-on pas d’aller vers un deadlock ?

ll n’y aura pas de deadlock. Nous serons obligés d’arriver à une solution, dans l’intérêt de l’Inde et de Maurice.C’est une question stratégique qui, je pense, doit être considérée dans le sens plus large des relations d’affaires entre nos deux pays. Si on pouvait, par exemple, aller vers la création du Comprehensive Economic Partnership Cooperation Agreement, ce serait une façon de trouver une solution dans un sens plus large. Il faut voir la solution dans sa globalité. Mais il n’y aura pas de deadlock. Peut-être pourrions-nous envisager – comme cela a été le cas pour les négociations de l’AGOA – d’avoir un représentant qui serait basé en Inde. C’est peut-être un modèle à suivre.

Quoi qu’il en soit, c’est sûr que nous n’aurons pas de solution immédiate, vu que nous sommes à deux mois des élections en Inde. Avec une telle échéance, aucun gouvernement ne prendra le risque de signer un traité. J’aurais souhaité qu’on arrive à une décision le plus vite possible pour mettre un terme à l’incertitude, mais je doute fort que ce sera le cas avant septembre. Il faudra voir comment le nouveau gouvernement indien se positionne.

BUSINESSMAG. En attendant, comment réagissent les investisseurs internationaux face à cette incertitude ?

C’est sûr que le nouveau business souffre, mais ce n’est pas le cas pour ceux qui travaillent avec nous depuis longtemps. Il semblerait que certains nouveaux investisseurs soient encouragés à passer par Singapour, mais parallèlement, certains retournent aussi vers Maurice, parce que nos coûts sont moins chers et que nous sommes bien classés dans l’Ease of Doing Business. Nous sommes condamnés à attendre la signature ou pas d’un nouveau traité. S’il y a un risque que le traité ne soit pas reconduit, effectivement, cela pourrait provoquer un exode en masse des investisseurs. Mais de ce qu’on a vu à ce jour, une solution pourra être trouvée, j’en suis convaincu.

BUSINESSMAG. L’Afrique représente-t-elle une alternative valable à moyen et long termes ?

Pour le secteur financier, c’est clair que n’importe quel pays ou région qui connaît un développement et une croissance soutenue a besoin de fonds pour son développement infrastructurel. Cela a été le cas pour l’Inde à partir de 1992. Elle s’est ouverte au monde pour recevoir des capitaux. L’Inde n’est pas un marché à délaisser.

D’ailleurs, dans une récente interview, le Gouverneur de la Reserve Bank of India a énoncé quatre priorités pour son développement infrastructurel. Pour cela, l’Inde aura besoin de capitaux massifs et cela ouvre de nouvelles possibilités pour Maurice. Pour en revenir à l’Afrique, c’est le prochain pôle de croissance. Le continent a un réservoir de ressources naturelles à développer et des infrastructures. Maurice a des opportunités à saisir, en puisant des atouts de ses accords sous le Comesa et la Sadc. Ces accords vont nous aider, mais nous devons bien nous positionner pour être aux avant-postes de ce grand développement africain.

BUSINESSMAG. N’est-il pas temps pour l’offshore de développer des attraits autres que la fiscalité pour attirer les investisseurs ?

Tout à fait ! Les traités fiscaux ne peuvent être le moteur du développement financier. Il faut développer davantage les services au niveau administratif notamment. Les traités ne sont pas à négliger, mais ils ne doivent pas être la raison principale pour attirer les investisseurs à utiliser la plate-forme financière mauricienne. En 2012, la FSC et GFM avaient tenu une session de brainstorming sur le thème Building the Competitiveness of the Mauritius IFC et Percy Mistry a récemment présenté des recommandations sur ce sujet. Nous avons mis l’accent sur la diversification des marchés et des produits et services. Et le Commonwealth Secretariat, suite à une requête de GFM, a préparé un rapport sur le marketing du secteur en
Afrique. Il faut nous diversifier dans l’Asset and Wealth Management, le Private Banking, les Mergers & Acquisitions et le Public Private Partnership. Notre principale contrainte pour développer le secteur financier, c’est le manque de ressources humaines qualifiées. Le secteur a besoin de Highly skilled manpower et d’attirer le maximum de talents. Il faut aussi attirer les professionnels étrangers à venir travailler et vivre à Maurice, et encourager la diaspora à revenir pour aider à développer le secteur financier et le porter à un autre palier de développement.

BUSINESSMAG. Le secteur financier est-il suffisamment attrayant du point de vue des salaires ?

Certainement, le secteur contribue à hauteur de plus de 25 % aux revenus directs de l’Income Tax. Il emploie 15 000 personnes dont 90 % sont hautement qualifiées, ayant un degré universitaire.

Le danger pour Maurice, c’est que si nous ne faisons pas attention et que nous ne donnons pas tous les moyens au secteur financier de se développer pleinement, nous risquons de ne pas pouvoir créer beaucoup d’emplois pour les jeunes dans les années à venir. Il faut développer ce secteur de manière optimale car il se positionne comme un générateur d’emplois bien rémunérés pour les jeunes.

BUSINESSMAG. Pourtant, la croissance du secteur financier ralentit depuis quelque temps. Est-ce un signe qui vous inquiète ?

Le taux de croissance ralentit, mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans un contexte de crise économique mondiale, et que c’est normal qu’il y ait un certain ralentissement. La crise dure depuis plus de six ans, mais le secteur financier a quand même réussi à bien se comporter. C’est à nous maintenant de saisir toutes les opportunités pour redynamiser la croissance des services financiers. Le secteur doit se repenser. Comme dans tous les secteurs économiques, au début, on offre des produits et services basiques, mais au fil des ans, il faut continuer à s’améliorer et anticiper les tendances et les besoins du marché. La réflexion a déjà commencé. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons eu des discussions avec le Board of Investment pour voir les moyens de faire la promotion de notre centre financier. Comme vous le savez, une somme de Rs 50 millions a été allouée à cet item dans le dernier Budget. Nous travaillons de concert pour voir comment utiliser cet argent à bon escient.

BUSINESSMAG. D’autant plus que Maurice a une image de destination touristique plutôt que de centre financier.

C’est vrai qu’il faut retravailler notre image et vendre Maurice comme une destination non seulement touristique, mais aussi comme une économie émergente diversifiée et dynamique. Parmi les touristes qui nous visitent, il y a beaucoup d’investisseurs potentiels. Il faudrait exploiter ce potentiel et voir comment les encourager à investir chez nous.

BUSINESSMAG. Il y a quelques années, on avait la Financial Services Promotion Agency. Pensez-vous qu’il nous faut remettre sur pied ce genre de structure pour mieux promouvoir le secteur financier, surtout que la croissance des secteurs traditionnels tend à plafonner ?

Idéalement, nous aurions souhaité la mise sur pied d’un organisme tel que la FSPA pour soutenir le secteur financier – comme cela a été le cas pour lesucre, le secteur manufacturier, le tourisme et les Tic. Toutefois, créer un tel organisme aura un coût. Sommes-nous prêt à digérer ce coût additionnel ? Et pourra-t-on trouver le personnel nécessaire ?

Je ne sais pas. Le plus important, c’est que les fonctions d’un tel organisme soient remplies par une entité. Pour le moment, c’est au Board of Investment qu’incombe la tâche de promouvoir le secteur. Et le budget alloué au BoI est un premier pas dans la bonne direction. Mais il y a aussi d’autres modèles, tels que Jersey Finance qui est financé à parité par le gouvernement et le secteur financier. Personnellement, je pense que cette dernière structure est la plus efficace.

BUSINESSMAG. La FSC a introduit des mesures pour développer plus de substance dans les opérations du secteur offshore, prévoyant notamment un minimum de deux directeurs qui doivent être des résidents de Maurice, la nécessité d’avoir des bureaux à Maurice, de recruter au moins un employé résident mauricien, etc. La mise en application de ces mesures, prévue pour 2015, représentera-t-elle des contraintes pour les opérateurs ?

Tout changement a un prix. Cette restructuration aura certes des casualties comme dans tous les secteurs économiques qui ont été restructurés : l’habillement, le tourisme, le sucre, etc. Mais, au final, les meilleurs vont rester. Le secteur financier est prêt pour la restructuration, en espérant que les coûts de cette réforme ne tuent pas le secteur. Dans toute restructuration, on peut choisir la méthode forte ou la méthode douce. La FSC a opté pour la méthode douce. Elle a eu de nombreuses consultations avec les opérateurs avant d’introduire ces nouvelles mesures et cela est très positif parce que nous avons eu notre mot à dire. Nous avons aussi une réflexion qui a été enclenchée depuis l’année dernière au niveau du Financial Services Consultative Council. Il y a une mouvance vers des changements en profondeur dans le secteur financier. Ces changements nous rendront plus solides pour affronter les défis à venir.

BUSINESSMAG. Avec le déchaînement de la presse indienne en 2012, on a véritablement pris conscience de l’impact de la communication dans le secteur du Global Business. Devra-t-on travailler davantage sur cet aspect dans les années à venir ?

Je pense que oui. D’ailleurs, GFM a été l’initiateur d’une campagne de communication en Inde en 2012. Nous avons engagé une entreprise de communication pour faire une étude sur l’image de Maurice, telle que perçu par la presse indienne.

Ces résultats nous ont permis de mieux comprendre leur fonctionnement et leur perception de notre centre financier. Par la suite, nous avons été en Inde et avons procédé à une campagne d’explication auprès de nombreux journalistes économiques.

Aujourd’hui, nous voyons les effets positifs de cette démarche car il y a moins de critiques acerbes sur Maurice dans la presse indienne. C’est sûr qu’il faut maintenir une communication régulière pour veiller à ce que l’image du pays ne soit pas inutilement ternie dans la presse internationale.

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