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Réouverture des frontières : le tourisme renaît de ses cendres

Après 18 mois de quasiparalysie, l’industrie touristique sera à nouveau pleinement opérationnelle à partir du 1er octobre. Au vu de la dégradation de l’économie, la réouverture complète de nos frontières est une nécessité absolue. Car nous sommes arrivés pratiquement au point de rupture. Il n’empêche qu’il faudra qu’on exerce un contrôle strict sur le plan sanitaire pour limiter au maximum la propagation de la Covid-19.

Bourse : L’optimisme reste de mise.

Quel impact la réouverture aura-t-elle sur la Bourse de Maurice ? C’est la grande question que se posent de nombreux investisseurs. Pour Bhavik Desai, l’optimisme est de mise. Ces derniers mois, une succession de bonnes nouvelles qui favorisent la confiance de ceux qui investissent sur la Stock Exchange of Mauritius. Parmi, la rapide progression de la campagne de vaccination. À ce jour, plus de 62 % de la population est doublement vaccinée. Aujourd’hui, les titres hôteliers recommencent peu à peu à susciter l’intérêt des investisseurs. «Entre fin février 2020 et l’annonce du premier vaccin (Pfizer), les compagnies hôtelières et les compagnies détentrices de biens hôteliers ont perdu 39 % de leur capitalisation boursière agrégée, passant de Rs 25,4 milliards à Rs 15,6 milliards. Depuis, leur capitalisation boursière agrégée est remontée à Rs 19,6 milliards. Même s’ils restent 13 % en dessous de leur niveau d’avant la pandémie, certaines entités comme LUX* Island Resorts (qui a généré des profits opérationnels aux Maldives durant la dernière année financière) ont même brièvement atteint des niveaux dépassant ceux de fin février 2020», souligne-t-il.

Tous les verrous sont enfin levés. Dès le 1er octobre, Maurice entamera la réouverture complète de ses frontières sans aucune restriction sanitaire. Après un chamboulement de près de deux années engendré par la pandémie, c’est tout un pan de l’économie national qui revit. Une manière de dire que les rouages commencent à s’emboîter pour un redémarrage optimal de la machinerie économique.

À n’en point douter, c’est un énorme défi qui guette Maurice. Pour cause : la fermeture des frontières, bien qu’elle ait été nécessaire, a mis le secteur touristique à genoux. D’ailleurs, il y a quelques semaines, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, estimait que la fermeture des frontières a coûté au pays près de Rs 82 milliards en devises étrangères. Si l’on couple cela avec la contribution totale du secteur touristique, avec un apport direct et indirect de 23 % du PIB et employant quelque 100 000 personnes, l’on comprend rapidement l’importance de la réouverture des frontières.

Selon l’économiste Kevin Teeroovengadum, depuis la paralysie du tourisme, l’économie mauricienne est semblable à un avion à quatre moteurs qui ne fonctionnait qu’avec trois moteurs. «L’avion peut voler pendant plusieurs heures avec trois moteurs, mais à un moment donné, il est important de faire redémarrer le quatrième. C’est exactement l’importance du secteur du tourisme, car nous ne pouvons pas continuer à rester fermés. C’est un contributeur important en termes de devises, mais aussi l’un des secteurs les plus importants en termes de création d’emplois. La bonne nouvelle est que nous avons vu des résultats positifs avec nos voisins comme les Seychelles, les Maldives et même Zanzibar. Il y a une bonne demande de touristes pour voyager et j’espère que nous réussirons notre réouverture à partir du 1er octobre», fait-il ressortir.

Dans la foulée, il jette un regard sur les enjeux macroéconomiques qui se cachent derrière la réouverture des frontières, notamment sur l’aspect du taux de change et celui des devises étrangères. «L’ouverture apportera les revenus indispensables en devises étrangères. En 2019, nous avions plus de Rs 60 milliards de devises étrangères qui provenaient du secteur touristique. Ces Rs 60 milliards par an équivalent au montant de devises que la Banque de Maurice a dû injecter d’avril 2020 à mars 2021 en puisant de ses réserves. Si on regarde les Seychelles, depuis l’ouverture de leurs frontières, la roupie seychelloise s’est appréciée de près de 40 % contre l’euro et 25 % contre le dollar américain pour revenir au niveau de 2019. Nous nous attendons donc à une appréciation de la roupie mauricienne une fois que nous aurons ouvert nos frontières si nous aurons une reprise rapide», observe-t-il. Mais il s’empresse de préciser que les estimations pour les devises étrangères sont davantage à prendre avec des pincettes, car il faudra comprendre le contexte dans lequel les visiteurs débarquent à Maurice. «Nous devons être prudents, car avant la crise de Covid-19, notre taux de change euro/roupie était d’environ 39, alors qu’aujourd’hui, il est d’environ 51. Pour une meilleure analyse, je dis toujours que nous devons analyser nos revenus touristiques en devises ; cela nous donne alors un meilleur sens de la performance du secteur», conseille-t-il.

«Il faut s’attendre à une appréciation de la roupie une fois que nous aurons ouvert nos frontières» – Kevin Teeroovengadum.

Le Head of Research and Development d’AXYS Investment Partners, Bhavik Desai, y va également de son analyse. Il précise que le touriste lambda dépense approximativement 1 100 euros pour son séjour. Alors qu’en moyenne, on a accueilli 1,3 million de touristes par an entre 2015 et 2019. Ainsi, au cours des 18 mois de quasi-fermeture de nos frontières, nous avons perdu un peu moins de 2 millions de touristes, ce qui représente un manque à gagner d’environ 2,1 milliards d’euros. «Notre roupie est une ‘managed float currency’. Cela signifie que c’est la Banque centrale qui dicte le taux de change visà-vis du dollar américain, à travers ses interventions sur le marché des devises. Cela dit, avec les recettes touristiques qui reviennent, la roupie devrait subir moins de pression vers le bas», anticipe-t-il.

Alors que le pays s’apprête à rouvrir ses frontières, l’une des questions pertinentes à se poser est : combien de touristes peut-on espérer accueillir cette année ? On sait que le gouvernement a fixé la barre haut en tablant sur 325 000 visiteurs d’ici fin décembre et des recettes de Rs 19,5 milliards d’ici décembre. Cet objectif est-il réalisable ?

«Au cours des 18 mois de quasifermeture de nos frontières, nous avons perdu un peu moins de 2 millions de touristes» – Bhavik Desai.

Pour répondre à cette question, il y a plusieurs points à prendre en considération, notamment la haute saison qui débute généralement en octobre. Si l’on s’attarde sur les données de Statistics Mauritius d’avant 2019, l’on constate que Maurice avait accueilli 424 537 touristes d’octobre à décembre 2019. Alors que pour le dernier trimestre de 2018, le pays avait accueilli 407 181 touristes. Ainsi, la prévision de 325 000 visiteurs semble supposer un impact modéré de la conjoncture internationale sur l’industrie touristique.

«Les recettes touristiques pourraient être de l’ordre de rs 7 milliards à rs 10 milliards pour 2021» – Sen Ramsamy.

Commentant ces chiffres, Kevin Teeroovengadum indique que «c’était une époque où tout était normal, les gens n’étaient pas obligés de se faire vacciner, et de nombreuses compagnies aériennes desservaient Maurice, dont Air Mauritius qui était pleinement opérationnelle». Selon lui, un objectif de 200 000 touristes serait plus réaliste.

Éviter la propagation du virus

Même analyse pour Bhavik Desai, qui indique qu’AXYS a effectué quelques projections. Pour ce faire, la compagnie s’est basée principalement sur les données de Statistics Mauritius. «Entre 2015 et 2019, Maurice a accueilli en moyenne 396 000 touristes pendant le dernier trimestre de l’année. L’objectif de 325 000 touristes semble être très optimiste, car ce chiffre correspond à environ 80 % du niveau pré-pandémique. Selon nos projections, nous devrions accueillir entre 135 000 et 215 000 visiteurs durant cette période, ce qui correspond à des recettes situées entre Rs 7 milliards et Rs 11 milliards», affirme-t-il.

Il est rejoint par Sen Ramsamy, le Managing Director de Tourism Business Intelligence, qui, tout en saluant la décision de rouvrir totalement les frontières, reste réaliste dans ses projections. «Depuis juin dernier, quand le ministre des Finances avait prononcé son discours budgétaire et au cours duquel il avait fixé un objectif de 325 000 visiteurs d’ici fin décembre 2021, plusieurs opérateurs soutenaient que ce serait jouable. J’étais parmi les rares à dire que ce serait faire l’impossible sur les trois derniers mois dans un contexte de grande incertitude économique et sanitaire. En d’autres mots, l’objectif était de trouver une moyenne autour de 100 000 visiteurs par mois, d’octobre à décembre, et ce avec un nombre limité de sièges d’avion. D’après mes analyses et compte tenu du nombre de vols prévus à partir du 1er octobre, les arrivées touristiques tourneraient entre 100 000 et 150 000 sur l’ensemble de l’année à condition que le virus ne se propage pas davantage. Avec une durée de séjours légèrement en hausse, estimée à 11 voire 12 nuitées, les recettes touristiques pourraient être de l’ordre de Rs 7 milliards à Rs 10 milliards pour 2021 comparé à Rs 64 milliards en 2018», estime-t-il.

«Les réservations augmentent de 20 % par semaine» – Jean-michel Pitot

Le président de l’Association des hôteliers et des restaurateurs à l’île Maurice (AHRIM), Jean-Michel Pitot, joue aussi la carte de la prudence par rapport aux objectifs fixés. D’ailleurs, il préfère voir à plus grande échelle en parlant d’un objectif de 650 000 visiteurs d’ici juin 2022. «La reprise est bien là, mais elle n’est pas aussi rapide que nous l’espérions. C’est tout à fait normal au vu de l’évolution de la situation. Mais les réservations se matérialisent et la tendance est bonne. Entre 16 % et 20 % de plus chaque semaine. Grosso modo, les réservations augmentent de 20 % par semaine. À ce jour, on estime raisonnablement que les arrivées du dernier trimestre de 2021 devraient atteindre les 250 000 dans le meilleur des cas, à condition bien entendu que les conditions soient réunies du côté de l’aérien», argue-t-il.

La relance du secteur touristique est également tributaire d’Air Mauritius, qui assure 42 % des sièges. Pour Jean-Michel Pitot, la restructuration de notre compagnie d’aviation nationale est clairement la carte maîtresse. Ainsi, nous avons besoin de sièges dans les avions pour répondre à la demande de chambres d’hôtels. Quinze des vingt lignes aériennes qui desservaient Maurice devraient recommencer à le faire à décembre, ce qui est de bon augure.

Alors que le pays rouvre à nouveau son économie, plus que jamais, nous devons réussir une bonne performance lors de la haute saison. Cela permettra de remettre en route la machine. Une fin 2021 et un début 2022 réussis amèneront encore plus de dynamisme au niveau des marchés, et, espérons-le, déclencheront ce sentiment de bien-être si cher aux vacanciers.

Un coût économique supérieur à Rs 100 MDS

Pour Sen Ramsamy, l’impact de la fermeture des frontières est plus important que les estimations du Trésor public. Pour le Managing Director de Tourism Business Intelligence, le coût économique tournerait autour de Rs 100 milliards. «Le coût de la fermeture de nos frontières a été bien plus important que ça. Il faut compter un manque à gagner en termes de recettes touristiques de plus de Rs 90 milliards en devises étrangères sur les 18 mois de fermeture. Il faut ajouter à cela, l’apport de plus de Rs 10 milliards du Wage Assistance Scheme et du Self-Employed Assistance Scheme du gouvernement pour garder le secteur sous perfusion, sans compter plusieurs milliards de roupies octroyées par la MIC aux gros opérateurs touristiques. Donc, d’après mes estimations, le coût de la fermeture de nos frontières peut être estimé à bien plus que Rs 100 milliards pour le seul secteur touristique», évalue-t-il. Cela ne manque pas de faire réagir Kevin Teeroovengadum qui indique que l’un des enjeux principaux de cette relance doit être aussi les dépenses effectuées par les vacanciers. Prenant l’exemple des Seychelles, il indique que ce pays se concentre davantage sur les recettes apportées par les touristes que par le nombre d’arrivées. Et de faire ressortir que Maurice doit travailler pour que la dépense moyenne par touriste augmente à 1 500, voire 2 000 euros.

 

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