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Samade Jhummun (CEO de Mauritius Finance) «Aucun exode des dépôts en devises de notre système bancaire»

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Samade Jhummun (CEO de Mauritius Finance)

Samade Jhummun «Aucun exode des dépôts en devises de notre système bancaire»

Après trois décennies d’existence, le secteur du Global Business a acquis beaucoup de maturité. Constamment, les acteurs de la finance ont évolué et se sont adaptés à une conjoncture qui change en permanence tout en adoptant les meilleures pratiques et normes établies par les agences internationales, observe Samade Jhummun, le CEO de Mauritius Finance, qui est une fusion de l’association of Trust and Management Companies et de Global Finance Mauritius. – Samade Jhummun.

L’ATMC et Global Finance Mauritius ont fusionné pour donner naissance à Mauritius Finance, qui sera désormais le seul interlocuteur du secteur du global business. Pourquoi cette transition était-elle  nécessaire ?

Les deux organisations collaboraient déjà sur un grand nombre de sujets techniques. C’est donc assez naturellement qu’elles ont aligné leurs positions jusqu’à arriver à la conclusion que la fusion était la prochaine étape naturelle. Mauritius Finance regroupe désormais les acteurs de toute l’industrie de la finance, pas seulement du secteur du global business. Ce faisant, nous avons davantage de ressources et pouvons soutenir nos membres plus efficacement. Tout comme nous pouvons aussi défendre les intérêts de l’industrie et du pays d’une seule voix.

Créé au début des années 90, l’offshore s’est beaucoup développé au fil de ces trois dernières décennies. Aujourd’hui, il est impératif qu’on franchisse un cap et que le centre financier se positionne comme une plateforme pour l’offre de services à forte valeur ajoutée comme la gestion patrimoniale ou le capital-investissement. Est-ce qu’on a acquis la maturité et le savoir-faire nécessaires pour nous affirmer comme une plateforme financière internationale ?

Le secteur a démontré et acquis beaucoup de maturité durant trois décennies. Il contribue à hauteur de 13 % à la création de richesse à Maurice. Pour en arriver là, les acteurs de la finance ont évolué et se sont adaptés à une conjoncture qui change en permanence. Tout en adoptant les meilleures pratiques et normes établies par les agences internationales. Cela dit, il nous faut absolument monter en gamme, en diversifiant notamment la palette d’offres de services et de produits financiers sur notre sol. Pour cela, il est important que nous renforcions nos capacités. Car il faut aussi admettre qu’il nous manque des compétences pointues dans certains secteurs. C’est pourquoi nous travaillons étroitement avec nos membres pour pallier cette faiblesse en multipliant les formations. Avec le soutien des autorités publiques et des régulateurs, nous souhaitons aussi développer tout l’écosystème et les infrastructures liées aux services financiers à Maurice. Cela ne peut se faire qu’à travers un partenariat étroit public-privé. Comme avec le Blueprint de 2018, dont l’objectif est de doubler la contribution des services financiers au produit intérieur brut. Nous pouvons atteindre cet objectif.

«Le Global Business contribue à hauteur de 13 % à la création de richesse à Maurice» – Samade Jhummun.

Le secteur du global business emploie quelque 15 000 professionnels. Un capital humain qui est susceptible de nous porter vers de nouveaux sommets. La Mauritius Finance a-t-elle élaboré une stratégie de formation pour permettre à ces professionnels de répondre aux défis qu’aura à relever le secteur financier dans un contexte de plus en plus concurrentiel ?

À l’heure actuelle, le secteur emploie plus de 15 000 professionnels de la finance. Indirectement, les cabinets de comptables et d’avocats ainsi que les divers autres prestataires de services emploient encore davantage de collaborateurs. C’est dire le capital humain sur lequel repose l’industrie des services financiers. Développer et enrichir notre capital humain est justement une des missions cruciales de Mauritius Finance. Nous faisons cela à travers des formations pointues, lesquelles sont dispensées dans le cadre de partenariats avec des institutions internationales reconnues comme CLT International, CISI, STEP et d’autres. Ces formations débouchent sur des certifications reconnues et recherchées dans notre industrie. Mauritius Finance collabore aussi avec les universités locales et le Financial Services Institute pour élaborer de nouvelles formations. Nous proposons ainsi des formations en ligne en Fund Accounting, AML/CFT (blanchiment d’argent et lutte contre le financement du terrorisme) et Ethics and Integrity. Nous organisons également des formations et ateliers de travail durant lesquels des professionnels étrangers de renommée internationale partagent leurs savoirs avec nos collègues.

Le principal challenge pour le secteur du global business sera de sortir au plus vite de la liste noire de l’Union européenne. Jusqu’ici, quel est l’impact du «blacklisting» sur le secteur ?

Il faut admettre que l’image du pays a été affectée et que le Cost of compliance est plus élevé. Il est, par exemple, plus compliqué d’attirer de nouveaux clients parce que le Cost of doing business a augmenté à cause d’étapes supplémentaires de contrôle et de vérification qu’impose cette classification. Mais nous voulons aussi voir dans ces désagréments une opportunité pour l’industrie d’innover et de proposer de nouveaux services et produits.Nous allons faire la démonstration à tous nos partenaires que nous pouvons adopter et appliquer des pratiques de classe mondiale en matière de blanchiment de capitaux.

« Tous nos membres son ten communication régulière avec leurs clients » – Samade Jhummun.

Ces derniers mois, le gouvernement a renforcé le mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en suivant à la lettre le plan d’action du GAFI. Or, il semblerait que l’organisme veut avancer pas à pas. Dans le meilleur des cas, quand peut-on espérer sortir d’abord de la liste grise du GAFI, puis de la liste noire ?

Le GAFI nous a donné deux ans pour appliquer le plan d’action à suivre afin de sortir de la liste des juridictions à hauts risques. Mais le gouvernement multiplie les initiatives pour que Maurice sorte de ce classement rapidement et quitte par conséquent la liste dite «noire» de l’Union européenne. Je peux vous confirmer que nous avons beaucoup progressé depuis la dernière session plénière du GAFI. Dans un premier temps, nous devons démontrer que nous avons appliqué le plan d’action et prouver l’efficacité de notre cadre AML/CFT. Une fois cette démonstration faite, le GAFI enverra alors une équipe d’inspection à Maurice pour vérifier et confirmer les progrès accomplis. Cette étape franchie, le GAFI pourra alors recommander que Maurice sorte de la liste des juridictions à hauts risques. Nous espérons franchir ce cap bien avant la limite des deux ans. Environ six semaines après notre reclassification par le GAFI, nous pourrons aussi espérer sortir de la liste «noire » de l’UE.

Au niveau de Mauritius Finance, comment se fait la collaboration avec les autorités sur l’épineux dossier du «blacklisting» ?

Nous collaborons activement avec le gouvernement pour faciliter l’application des lois et règlements concernant notre industrie mais aussi pour nous assurer que les «on-site inspections» diligentées par la FSC (Financial Services Commission) se déroulent dans les meilleurs conditions. Pour cela, nous bénéficions du soutien de tous nos membres pour nous assurer que le plan d’action du GAFI est respecté. À notre niveau, nous avons d’ailleurs formé 1 000 professionnels du global business, mais aussi du secteur financier bancaire et non bancaire en matière d’AML/CFT.

«Nous constatons, avec regret que la liste noire ne concerne que les pays Non Européens» – Samade Jhummun.

Le global business joue un rôle majeur dans l’équilibre du système financier et monétaire. Du reste, les dépôts du segment B représentent plus de 40 % des passifs des banques. D’aucuns craignent qu’un éventuel exode des capitaux étrangers pourrait faire dérailler tout le système. Ce risque est-il réel ?

Le secteur a été très résilient face aussi bien à la pandémie de Covid-19 qu’à l’inclusion sur la liste «noire». Nous n’avons assisté à aucun exode des dépôts en devises de notre système bancaire. Toutefois, nous restons réalistes ; avec la compétition accrue de nos compétiteurs basés dans d’autres juridictions, à terme, nous courons le risque de voir une petite partie de ces dépôts partir ailleurs. C’est pourquoi nous travaillons étroitement avec le gouvernement et les autorités publiques afin d’améliorer la compétitivité de Maurice. Notamment en réduisant le coût de faire des affaires dans le pays, ce qui nous permettra de retenir notre base de clientèle actuelle tout en attirant de nouveaux clients. L’un dans l’autre, cela nous permettra de maintenir l’équilibre de notre écosystème financier.

En cette période d’incertitude, quelle sera la stratégie de communication de Mauritius Finance auprès des  investisseurs ?

Notre approche est claire : tous nos membres sont en communication régulière avec leurs clients. Il s’agit de les rassurer, en leur expliquant les efforts entrepris par le pays, le gouvernement et les acteurs de l’industrie des services financiers pour sortir des listes du GAFI et de l’UE. Nous devons maintenir la confiance de nos clients en nos services et dans la juridiction. Nous faisons aussi cela, en nous assurant de la meilleure qualité de service pour nos clients.

Dans une récente enquête, Le Monde pointe du doigt le Luxembourg, qui est décrit comme un paradis fiscal qui attire les holdings financières n’ayant pas d’ancrage dans l’économie réelle. D’aucuns disent que Bruxelles devrait davantage s’intéresser à ce qui se passe au cœur de l’Union européenne plutôt que d’aller faire la police ailleurs ?

Le pays ne lésine pas sur les efforts pour améliorer son cadre légal et ses règles en matière de fiscalité et d’AML/ CFT afin de s’aligner sur les standards préconisés par les agences internationales. Toutefois, nous sommes aussi en droit de nous attendre à un traitement équitable et que les règles que nous devons respecter ici, le soient également par d’autres, qu’ils soient membres de l’UE ou pas. Or, nous constatons avec regret que la liste noire ne concerne que les pays non européens, alors qu’il y aurait beaucoup à redire sur ce qui se pratique à l’intérieur de l’UE. Sans que cela ne soit répertorié dans une quelconque liste.

Les investisseurs institutionnels optant pour les Émirats arabes unis jouiront du statut de Catégorie 1 pour les «Foreign Portfolio Investment». Ainsi, par voie de notes participatives, les hedge funds pourront investir sur le marché indien. Cette mesure pourrait-elle contribuer à éroder davantage de Maurice sur le marché indien ?

Nous maintenons notre confiance dans la relation privilégiée entre l’Inde et Maurice. Depuis plusieurs années, plusieurs hommes politiques indiens de premier plan ont réitéré l’engagement selon lequel l’Inde ne prendra aucune mesure qui nuirait aux intérêts de Maurice sur le long terme. Nous sommes certains que, plus que jamais, l’Inde sera sensible à notre situation. La visite du ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, à Maurice sera une nouvelle occasion de raffermir ce lien et de renouveler cette promesse de soutien.

«Maurice est, pour l’heure, le seul International Finance centre de catégorie a en Afrique» – Samade Jhummun.

Le salut pour le secteur financier mauricien passera-t-il par son repositionnement sur l’Afrique ?

Singapour et Dubaï sont déjà des compétiteurs. Le Gujarat International Finance Tec City se positionne aussi pour potentiellement attirer les mêmes clients. C’est pourquoi il est essentiel de consolider la facilité de faire des affaires à Maurice. Il y a un double intérêt à cela : maintenir notre compétitivité vis-à-vis d’autres juridictions mais aussi diversifier nos marchés. Pour revenir à l’Afrique, nous devons davantage tabler sur le fait que nous faisons partie du continent et que nous sommes les mieux classés dans plusieurs indicateurs liés au business et à la gouvernance en Afrique. Nous devons également mettre en avant le fait que nous avons le bon écosystème financier, juridique et social pour attirer les  investisseurs. Tout comme nous l’avons fait avec l’Inde, nous devons aussi construire de solides relations diplomatiques avec nos partenaires du continent. C’est essentiel pour le développement de notre industrie des services financiers.

Du 16e au 19e siècles, Maurice a été un comptoir commercial régional. A-t-on les moyens de retrouver notre lustre d’antan et de devenir une plateforme financière par laquelle transiteraient les investissements à destination de l’Afrique et  de l’Asie ?

Nous sommes déjà la principale plateforme d’investissement vers l’Afrique. Notamment parce que Maurice entretient d’excellentes relations économiques avec deux principales économies mondiales : l’Inde et la Chine. L’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange entre Maurice et la Chine, la signature du Comprehensive Economic Partnership Agreement avec l’Inde, ainsi que notre appartenance à la SADC et au COMESA assurent à Maurice un rôle majeur comme un Investment hub entre l’Asie et l’Afrique. D’ailleurs, Maurice est, pour l’heure, le seul International Finance Centre de catégorie A en Afrique. – Samade Jhummun.

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