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Vaccination : le remède pour guérir une économie aux soins intensifs.

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Un an après l’éclatement de la crise, l’on arrive enfin à entrevoir la lumière au bout du tunnel grâce à la campagne de vaccination. Aujourd’hui, l’on est engagé dans une véritable course contre la montre pour vacciner 60 %, voire plus de la population pour atteindre l’immunité collective. Si l’on y arrive, on sera en mesure d’accélérer la réouverture de l’économie.

Depuis le 15 mars, la campagne de vaccination se fait à un rythme soutenu. On n’est pas loin de l’objectif des 10 000 vaccinés par jour. Actuellement, pas moins de 100 000 de nos compatriotes se sont fait inoculer le précieux sésame. Clairement, il y a une réelle volonté des pouvoirs publics, du secteur privé, mais aussi de toute la population de gagner une fois pour toutes la guerre contre la Covid19 qui a coûté à l’économie mauricienne 15,2 % de son PIB en 2020.

Après l’AstraZeneca, les Mauriciens reçoivent depuis le début de la semaine le vaccin Covaxin développé par le laboratoire indien Bharat Biotech. Le High Level Committee présidé par le Premier ministre a également donné son aval au vaccin russe Sputnik V.

Clairement, la vaccination est la solution qui nous permettra de revenir à la normalité pré-Covid à travers l’immunité collective. Selon Ali Mansoor, ancien haut cadre du Fonds monétaire international (FMI), pour atteindre l’immunité collective, il faut vacciner 60 % à 70 % de la population. L’immunité collective ne signifie pas que le virus ne se propagera plus, mais que la propagation du virus sera limitée et que le nombre de personnes tombant malades sera suffisamment faible pour que le système de santé puisse y faire face sans stress. De plus, selon la souche et le vaccin, seuls 50% à 80 % de ceux vaccinés seront protégés contre la maladie. Mais les vaccinés qui tombent malades auront des symptômes moins graves. La vaccination signifie encore beaucoup moins de citoyens qui auront besoin de soins médicaux même s’ils tombent malades. Par conséquent, avec l’immunité collective, le pays pourra être ouvert comme avant la Covid-19.

«Aujourd’hui, les solutions techniques sont claires : il faut vacciner 60 % à 70 % de la population d’ici à fin juin. Maurice a été un projet pilote réussi pour éradiquer le paludisme et donner aux femmes le choix par la contraception. Nous avons surmonté de nombreuses crises pour sortir plus forts. Nous avons d’excellents services de santé qui ont gardé le pays à l’abri de diverses maladies grâce à la vaccination. Nous avons donc une histoire et des moyens techniques pour atteindre cet objectif. La seule question est de savoir si, en tant que société, nous avons la volonté de le faire et si cette génération sera à la hauteur du défi comme les générations précédentes», observe Ali Mansoor.

Manisha Dookhony, économiste et Senior Advisor et Mentor en Namibie, abonde dans le même sens et rappelle que l’une des solutions pour combattre la Covid-19 est la vaccination. Développer l’immunité permettra à la population mauricienne d’être mieux parée en cas de résurgence de la pandémie comme on le voit maintenant. L’ouverture de notre économie permettra l’arrivée des touristes étrangers, mais cela dépendra aussi de la campagne de vaccination dans les pays où les touristes se trouvent.

«Si nous considérons nos marchés touristiques, même si le Royaume-Uni est en avance sur sa campagne de vaccination avec plus de 26 millions de doses administrés, il n’y a que 2,5 % de la population qui a eu une immunité complète (les deux doses). La campagne de vaccination est encore très lente et en pleine confusion dans les pays de l’Union européenne. Et la situation n’est guère plus reluisante en Afrique du Sud, en particulier avec les variants. Il faut aussi se rappeler que même si on est tous vaccinés, il y a des chances qu’on attrape quand même le virus, car, par exemple, le vaccin AstraZeneca Covidshield n’est efficace qu’à 70 %», fait remarquer Manisha Dookhony.

Elle est rejointe par l’économiste Kevin Teeroovengadum qui observe que l’économie mauricienne a, depuis des siècles, été ouverte vers d’autres marchés. Cela remonte à l’époque où Maurice était utilisé comme plaque tournante du transit entre l’Europe et l’Asie. Soit au temps de la route des épices.

«Au cours des dernières décennies, l’économie mauricienne s’est diversifiée. Aujourd’hui, nous dépendons fortement d’autres marchés. Notre marché intérieur, contrairement à la Chine ou à l’Inde ou même à l’Afrique du Sud, est trop petit pour que nous puissions survivre, et malheureusement, nos marchés régionaux comme La Réunion, Madagascar, les Seychelles sont également trop petits. Nous sommes condamnés à de plus grands marchés extérieurs et, par conséquent, la campagne de vaccination est une priorité. Cela nous permettra d’ouvrir nos frontières, ce qui est une condition préalable à notre secteur touristique mais aussi à d’autres secteurs comme l’immobilier qui dépend, entre autres, d’investissements étrangers», fait-il ressortir.

UN DOUBLE ENJEU

Qu’on se le dise, la vaccination contre la Covid-19 répond à un double enjeu sanitaire et économique. Atteindre l’immunité collective, c’est accélérer la réouverture de l’économie. Mais il nous faudra accélérer la cadence, insiste Ali Mansoor. Ainsi, estime-t-il, si nous voulons sauver la période des vacances d’été dans l’hémisphère Nord (juillet à septembre), nous avons besoin d’un plan qui nous permettra de vacciner environ 700 000 citoyens d’ici à fin juin. Il s’agira de mettre au point une stratégie de marketing afin d’être en mesure d’accueillir les visiteurs potentiels, et ainsi éviter qu’ils ne se tournent vers d’autres alternatives.

«Une semaine de consultations avec les principales parties concernées devrait suffire pour développer un plan en bonne et due forme. Si la campagne commence sérieusement au début du mois d’avril, nous devrons vacciner sur une base 7/7. En outre, nous devrons réduire l’écart entre les deux doses, au minimum de 28 jours recommandé par AstraZeneca», recommande Ali Mansoor.

Kevin Teeroovengadum est d’accord avec Ali Manssor sur le fait qu’il est important que nous nous fixions comme objectif d’ici fin juin 2021 de vacciner la population, car cela contribuera à l’ouverture de l’économie locale et, surtout, à la relance de notre industrie touristique. Mais, compte tenu de l’ampleur des dommages que nous subissons depuis la crise de la Covid-19 et du nombre de défis structurels et de réformes que nous devons entreprendre très prochainement, il craint que la reprise ne soit lente car, selon lui, nous avons trop de problèmes que nous porterons sur nos épaules pendant cette nouvelle décennie. Deux exemples sont : le niveau actuel de la dette qui augmente à une vitesse accélérée et le vieillissement de la population. Ce sont deux problématiques auxquelles nous devons nous attaquer de toute urgence.

COLLABORATION PUBLIC-PRIVÉ

Si la campagne de vaccination progresse ces jours-ci à une vitesse satisfaisante, c’est surtout parce que le secteur privé prête main-forte au gouvernement. C’est un très bon signal, estime Ali Mansoor, qui rappelle que le dialogue est à l’origine du succès de Maurice qui, grâce à l’entente entre le secteur public et le privé, a pu jusqu’ici sortir plus fort de différentes crises depuis l’Indépendance. Pour l’économiste, nous devons nous appuyer sur la collaboration autour de la vaccination pour renforcer et élargir cette collaboration. Ainsi, dans un monde en évolution rapide, nous devons étendre la collaboration au-delà du gouvernement et du secteur privé pour inclure les universités et la société civile, conformément aux Objectifs de développement durable (ODD) de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Pour Manisha Dookhony, nous aurions dû avoir cette collaboration depuis bien avant. «Je sais qu’il y a des cliniques qui demandent depuis un certain temps de pouvoir participer à cet élan. Mais ce n’est que depuis le début de l’année que nous avons commencé à recevoir des vaccins», soutient-elle. Et d’ajouter qu’elle a remarqué que beaucoup de Mauriciens sont encore sceptiques concernant les vaccins, notamment en raison des fake news qui circulent et peuvent effrayer. Toutefois, elle pense que le fait qu’il y ait des chefs d’entreprises qui se font vacciner publiquement a permis de rassurer certains.

«Cette collaboration va sans dire», renchérit Kevin Teeroovengadum. «Encore une fois, nous avons perdu trop de temps en 2020 et nous avons vu le secteur public et le privé incapables de travailler ensemble. Je l’ai répété à plusieurs reprises et je suis heureux de voir que les secteurs public et privé se sont maintenant mis d’accord sur un plan de déploiement concernant le programme de vaccination. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons toujours trouver des solutions meilleures, plus efficaces et plus intelligentes au profit de Maurice en tant que nation», argumente-t-il. Il espère maintenant que les secteurs public et privé pourront également travailler main dans la main pour réinventer l’économie de Maurice, car nous en avons besoin. «Je propose qu’à l’avenir, le Premier ministre puisse rencontrer des capitaines de divers secteurs sur une base mensuelle. Cela contribuerait à consolider ce partenariat public-privé (PPP). Nous devons également inclure la société civile dans ce partenariat public-privé. Il nous faut prendre exemple sur les pays nordiques dans lesquels des organisations de la société civile se sont associées à des partenariats public-privé pour réduire la pauvreté et promouvoir le développement local», recommande Kevin Teeroovengadum.

Cette collaboration public-privé dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 se matérialise par l’entrée en scène des cliniques privées qui sont activement impliquées dans le programme de vaccination. Ainsi, au-delà des 14 centres de vaccination gouvernementaux, des cliniques privées, dont pour l’instant C-Care (Clinique Darné, Wellkin Hospital, C-Care La Croisette et C-Care Cap Tamarin) et City Clinic (Grand-Baie et Port-Louis) ont été accréditées pour aider au déploiement de la campagne de vaccination.

Hélène Echevin, Executive Chairperson de C-Care, souligne qu’il était primordial pour le groupe de participer à l’effort national pour la vaccination, car il est urgent qu’un maximum de personnes soient vaccinées, non seulement pour leur propre protection, mais aussi pour celle de leurs familles, leurs amis et la population en général. Elle estime que la vaccination est un geste citoyen. Par ailleurs, à travers C-Lab, C-Care poursuit le dépistage en proposant les tests PCR avant les opérations chirurgicales, à ceux qui ont des doutes par rapport à leur état de santé et enfin à ceux qui veulent voyager.

«Le dépistage est un outil majeur dans la lutte contre la Covid-19. C-Lab a investi au total Rs 4 millions dans l’achat et l’installation de plusieurs équipements importés de l’étranger. Nous réalisons entre 2 500 et 3 000 tests mensuellement. Depuis que nous avons aménagé des structures dédiées, nous sommes capables d’en réaliser plus de 600 par jour, soit le double de ce que nous faisions avant» souligne-t-elle.

À noter que C-Care peut actuellement réaliser environ 1 000 vaccinations par jour dans l’ensemble de ses quatre centres. Son objectif est d’atteindre les 1 500 vaccinations par jour à terme. Pour cela, elle devra employer du personnel additionnel. En dépit des inquiétudes et du stress engendrés par le reconfinement, l’espoir est de retour. Les semaines à venir seront cruciales. Il ne faudra pas faire de faux pas.

FORTE MOBILISATION DU SECTEUR PRIVÉ

Au niveau de Business Mauritius, on a répondu positivement à une collaboration sur la vaccination des frontliners du secteur privé. Pour ce faire, l’organisation a sollicité le concours de neuf ‘partner members’, à savoir l’Association des hôteliers et des restaurateurs de l’île Maurice, l’Association of Mauritian Manufacturers, la Building and Civil Engineering Contractors Association, l’Insurers’ Association of Mauritius, la Mauritius Chamber of Agriculture, la Mauritius Chamber of Commerce and Industry, la Mauritius Export Association, la Mauritius Bankers Association et l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius. «L’objectif est de vacciner entre 8 000 personnes pour commencer et aller rapidement jusqu’à 10 000 personnes par jour. Pour cela, nous sommes en coordination avec les quatorze centres de vaccination alors que les prises de rendez-vous pour les cliniques privées se font directement, à part les sociétés avec les frontliners. C’est un combat que nous devons mener ensemble pour pouvoir atteindre l’immunité collective et ainsi vaincre la Covid-19 dans le pays», explique Kevin Ramkaloan, CEO de Business Mauritius.

 

ÉVITER UN DÉCLIN RELATIF DE LA SOCIÉTÉ À CAUSE DE LA COVID-19

La Covid-19 a accéléré les tendances dans le monde et plus fortement séparé les sociétés qui s’organisent pour le succès de ceux qui ne le font pas. Nous avons le choix, en tant que société, de revenir à être parmi les meilleurs comme nous l’étions de 1980 à 2010 ou de prendre de plus en plus de retard, observe Ali Mansoor.

Ainsi, le déclin relatif peut être graduel et de longue durée. «Ce déclin peut durer pour plus d’une génération : l’Argentine est l’exemple le plus dramatique. Grâce au populisme, ce pays se déclasse d’être le 4e plus riche au début du 20e siècle pour être au 72e rang aujourd’hui», souligne Ali Mansoor. Il ajoute qu’un déclin relatif est accepté «de la même manière qu’une grenouille se permet d’être bouillie à mort parce que la température de l’eau augmente très progressivement. Nous pouvons éviter ce sort et retrouver le succès compte tenu de notre histoire et de notre ADN». Pour lui, la clé réside dans un dialogue constructif, ouvert et transparent dirigé par le gouvernement et comprenant le secteur privé, les universités et la société civile. «Le temps est court, mais nous pouvons toujours agir pour sauver la saison des vacances d’été du Nord. Notre échec profitera aux Maldives, aux Seychelles et à d’autres pays qui agissent plus rapidement que nous», fait-il ressortir.

 

LA VACCINATION COÛTE L’ÉQUIVALENT DE 5 À 6 JOURS D’INACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

 

Le coût de vacciner toute la population est l’équivalent de cinq ou six jours d’inactivité économique. Certains observateurs ont le sentiment que nous avons perdu du temps et qu’il aurait fallu débloquer au plus vite des fonds pour commander les premières doses de vaccins.

Loin de vouloir s’engager dans un «blame game», l’économiste Ali Mansoor préfère laisser le passé derrière nous. L’essentiel est de se fixer un objectif ambitieux, mais réalisable par rapport à la réouverture de l’économie. Celle-ci pourrait intervenir début juillet sur la base qu’on puisse atteindre l’immunité collective. «Les avantages économiques sont si importants et l’effort organisationnel si faible que la population peut et doit se rallier derrière cela», insiste-t-il.

Manisha Dookhony est, elle, d’avis que Maurice est un pays qui a les fonds et les moyens d’acheter les vaccins, ce qui fait «que nous aurions dû passer des commandes et payer les vaccins dès le début, au lieu de dépendre des dons des pays amis».

Dépendant des vaccins, le coût de chaque dose varie de 3 à 37 dollars, selon le vaccin. Le vaccin Moderna, qui est à deux doses, coûterait entre 32 et 37 dollars chaque dose. Le vaccin Pfizer, également administré en deux doses, devrait coûter 19,50 dollars la dose. Le vaccin de Johnson & Johnson se présente sous la forme d’une injection à dose unique et devrait coûter environ 10 dollars par dose. Le vaccin à deux doses d’AstraZeneca coûte entre 3 et 4 dollars par dose. Alors que le vaccin à deux doses de Novavax est estimé à 16 dollars la dose.

«Si on commandait 750 000 vaccins – comme il semble que nous aurons 200 000 personnes immunisées avec les vaccins AstraZeneca et Covax – de Johnson and Johnson à USD 10 pour protéger une grande majorité de la population résidente à Maurice, cela nous coûterait Rs 300 millions. En comparaison, nous avons acheté des respirateurs qui ne marchent pas à Rs 318 millions. En coût d’achat, cela reviendrait à beaucoup moins que 5 à 6 jours d’activités. Il y a des pays comme le Canada qui ont même commandé plus de cinq fois le besoin de leur population pour s’assurer que toute la population soit bien protégée», fait ressortir Manisha Dookhony.

Kevin Teeroovengadum ajoute qu’une fois de plus, malheureusement, il semble que les autorités n’ont pas réussi à planifier correctement le programme de vaccination dès le départ. Il rappelle que nous avons eu neuf mois depuis la dernière fois que nous sommes sortis du premier confinement en juin 2020, et que nous aurions pu adopter une approche comme nous l’avons vu en Israël, à Gibraltar et aux Seychelles qui ont commencé leur programme de vaccination tôt et ont été très rapides pour atteindre les 60 % à 70 % de leur population. Et maintenant, on constate que ces pays commencent à rouvrir leurs économies. «Il est important que nous apprenions de nos erreurs à l’avenir. Ma préoccupation est que nous perdons du temps et des opportunités, car tout a tendance à être politisé à Maurice. Par exemple, avec la technologie et une étroite collaboration entre les secteurs public et privé, ce programme de vaccination aurait pu être planifié correctement, efficacement en vue de le terminer d’ici fin mars 2021, ce qui n’a pas été le cas. Alors maintenant, espérons simplement qu’ils le feront au plus tard fin juin 2021», observe-t-il.

 

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