Business Magazine

Yannick Applasamy : «La réindustrialisation ne se fera pas du jour au lendemain»

Depuis le mois d’avril, vous êtes le nouveau président de l’Association of Mauritian Manufacturers. Votre prise de fonction cadre avec la reprise dans le secteur manufacturier. Peut-on parler de «feel good factor» ?

Après la levée des restrictions sanitaires et l’ouverture de nos frontières, nous étions tous, notamment les indus[1]triels et autres chefs d’entreprises, dans l’attente d’une reprise. On ne peut pas encore parler de feel good factor car entre-temps, trois contraintes se sont ajoutées. Nous avons toujours des problématiques de logistique. L’approvisionnement en matières premières auprès de grands pays producteurs comme la Chine et l’Inde est toujours difficile. Ces pays n’ont pas encore rattrapé leur retard post-Covid-19. Et pour finir, la guerre a éclaté en Ukraine. Nous avons tout simplement eu le temps de pousser un ouf de soulagement car la pandémie est derrière nous. Le conflit en Ukraine est venu rajouter une problématique géopolitique. Nous n’avons pas eu le temps de redémarrer l’industrie.

La demande a augmenté dans tous les secteurs, mais nous faisons face, aujourd’hui, à des problématiques opérationnelles : avoir des matières premières, avoir ces matières premières en temps et en heure et le manque de devises pour les acheter afin de les transformer ici. Nous observons aussi un phénomène assez inquiétant : le Quiet quitting. Nous avons du mal à trouver de la main-d’œuvre pour travailler sur l’accélération de la reprise. La reprise est là en termes de demandes et de besoins pour l’hôtellerie et l’aérien. Nous n’avions pas ces demandes pendant la pandémie. Cependant, ces quatre éléments affectent toute l’industrie. Aujourd’hui à l’AMM, nous devons travailler sur deux fronts. D’abord, il s’agit d’accompagner nos membres sur des problématiques à court terme comme l’approvisionnement ou la main-d’œuvre. Ensuite, nous préparons des sujets en temps long comme l’innovation industrielle, l’économie circulaire, la gestion des déchets, la transformation de l’industrie locale et le Made in Moris Pledge. On pourrait presque dire que nous sommes en gestion de crise.

Depuis des années, l’on parle de la nécessité pour Maurice de se réindustrialiser, mais les progrès étaient lents. Il semble que la crise a été un catalyseur et a donné un coup de boost à la production locale. Vos commentaires ?

Avec du recul, on peut dire que la crise n’a pas directement donné de coup de boost à la production locale. La crise a surtout permis de poser une question fondamentale sur la production locale : jusqu’où irons-nous dans notre décision de trouver du sourcing à l’extérieur ? Jusqu’où pousserons-nous cette quête de l’optimisation de notre sourcing ? Le politologue français Thomas Guénolé appelle cette optimisation à tout prix la mondialisation malheureuse. On souhaite toujours trouver le moins cher dans un monde devenu un gros sourcing hub. Cette question s’est posée non seulement pour nous, mais aussi dans le monde entier. Il y a des questionnements en termes de sécurité nutritionnelle, de sécurité d’approvisionnement et aussi du modèle de société dans lequel nous voulons vivre. Cela nous ramène vers ces sujets de temps long. Et la réindustrialisation en est un. Cela ne peut se faire du jour au lendemain. L’industrie est d’une complexité incroyable. On n’est pas près de la réindustrialisation, mais nous avons passé un cap. On est dans une prise de conscience. Et cela me rassure. Nous sommes passés de la défense de petits clusters à une vraie réflexion globale. C’est illusoire de croire que l’on pourra tout produire à Maurice et c’est important d’être rationnel. Que peut-on substituer ici ?

C’EST ILLUSOIRE DE CROIRE QUE

L’ON POURRA TOUT PRODUIRE

À MAURICE

Aujourd’hui, on ajoute à la logique économique des éléments comme la sustainability, les circuits courts et l’empreinte carbone. Tout en répondant aux besoins du marché en termes de qualité et de diversité d’offres. On a passé un cap. On n’est plus dans un combat binaire mais dans une approche plus rationnelle. Identifions ensemble ce qui fait sens aujourd’hui quand on parle d’approvisionnement ou de production locale. Et défendons cela. «What makes sense today is not only economical but what is also good for our planet». Cela rajoute une complexité intéressante pour nous les industriels.

L’un des objectifs de l’AMM est de porter la contribution de l’industrie locale à 25 % du PIB d’ici à 2030. Cet objectif est-il réalisable ? D’abord, précisons que c’est un objectif énoncé en 2016 par le défunt sir Anerood Jugnauth, invité d’honneur aux 20 ans de l’AMM. Aujourd’hui, il serait intéressant de voir cet objectif très ambitieux en relation avec le contexte actuel. L’industrie aurait voulu arriver à cette contribution de 25 % du PIB. Progresser en pourcentage dans le PIB, surtout pour l’industrie, cela nécessiterait des investissements colossaux en termes de finances, de main-d’œuvre et de surfaces disponibles.

Exit mobile version