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Les perturbations des chaînes d’approvisionnement font grimper les tarifs de fret

Port

Le prix du fret a pris l’ascenseur suivant les perturbations des chaînes d’approvisionnement, affectant du coup les prix des commodités, qu’ils soient importés ou pas, la plupart des matières premières venant de l’étranger. Et la guerre entre la Russie et L’Ukraine est loin d’arranger les choses en compliquant les liaisons aériennes et maritimes.

Après la Covid-19, la guerre entre la Russie et l’Ukraine vient mettre son grain de sable dans les rouages des chaînes d’approvisionnement mondiales. Comme le met en exergue le dernier rapport du FMI (mars 2022), depuis le second semestre 2020, les frais de port ont grimpé en flèche. Jusqu’en octobre 2021, les indicateurs du coût d’expédition de conteneurs par voie maritime avaient grimpé de plus de 500 % par rapport à leur niveau d’avant la pandémie, alors que le coût du transport maritime de marchandises en vrac avait triplé.

Floriane Fabien, Sales and Marketing Manager de Somatrans, explique cette hausse du fret par le fait que les lignes maritimes ont modifié la capacité de leurs navires dans plusieurs régions. Cela a engendré une demande bien plus élevée que l’offre quand les flux globaux ont repris. Les capacités et les containers vides n’étaient plus disponibles, créant un débalancement global et provoquant une hausse vertigineuse des taux surtout sur les marchés asiatiques. Concernant les entreprises, les contraintes du secteur du fret ont augmenté. Pour Floriane Fabien, le défi pour le secteur du fret était principalement de fournir un service cohérent et régulier à la clientèle, «cela étant très complexe, car nous dépendons de lignes maritimes et aériennes qui n’arrêtent pas de changer leurs rotations/services».

Pour Shane Ramburn de la MFD, les disparités commerciales sont les principales raisons qui poussent les taux de fret maritime à la hausse de manière substantielle. «Lorsque la pandémie a commencé à se propager dans le monde, la production s’est arrêtée dans de nombreux États. Les nations du monde entier se sont bloquées et ont rouvert à différents moments. Cela a provoqué une inégalité entre l’offre et la demande de biens. De plus, les compagnies maritimes ont dû réduire la capacité sur les routes principales pour rester en activité. Des retards et des fermetures de ports se sont produits dans plusieurs parties du monde, ce qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement et créé une énorme congestion de navires et de conteneurs. La congestion a entraîné une raréfaction de conteneurs vides dans le circuit et créé un déséquilibre de l’offre de conteneurs dans le monde», explique Shane Ramburn.

Au dernier trimestre de 2021, pour retenir la demande florissante des consommateurs, les détaillants se sont empressés de réapprovisionner leurs stocks, en particulier pour la période de pointe des achats dans le cadre des fêtes de fin d’année. Néanmoins, avec divers retards de fabrication et la fermeture de différents ports du monde, de nombreux fournisseurs ont dû passer des commandes de haute saison d’août à octobre 2021 plus tôt que d’habitude pour éviter les goulots d’étranglement. Par conséquent, il y a eu une autre hausse de la demande et les frais d’expédition ont grimpé sur la plupart des itinéraires, certains transporteurs ayant ajouté des surtaxes de pointe aux tarifs d’expédition déjà élevés.

Hausse de 400 %

Vishal Nunkoo, CEO de Velogic, chiffre la hausse du fret maritime dans certains cas, surtout de l’Asie, à bien plus de 400 %. L’explication principale, c’est que les lignes maritimes ont augmenté leurs taux suite aux perturbations dues à la Covid, notamment une baisse des exportations de la Chine au début de la pandémie, qui a créé un mauvais positionnement des conteneurs dans le monde. Il faut dire qu’avant la Covid, l’organisation des flux de marchandises était très efficiente avec un fret maritime en flux tendu.

<<Les disparités commerciales sont les principales raisons qui poussent les taux de fret maritime à la hausse>>

Avec le confinement en Europe et aux États-Unis, il y a aussi eu une hausse considérable de la consommation. Des consommateurs qui en travaillant (ou pas) de la maison touchaient toujours des revenus (salaires et autres), mais ne pouvaient pas dépenser dans des voyages, restaurants et autres, étant confinés. Ils ont donc beaucoup acheté en ligne, surtout des produits importés d’Asie. Un contexte où les ports et les transporteurs ne fonctionnaient plus comme il fallait suite aux confinements, causant des congestions portuaires. Dans cette situation d’offre perturbée et de demande forte d’Asie, les lignes maritimes en ont pleinement profité en augmentant leur taux mondialement, faisant des bénéfices jamais vus dans l’industrie, même indécents dans certains cas. Il y a aujourd’hui des doutes de collusions qui sont sous enquête dans divers pays, incluant les États-Unis. Malheureusement pour nous les Mauriciens, notre petite économie ne peut que subir cette situation sur laquelle nous n’avons aucun contrôle.

Le Managing Director de Cargotech, Kishore Beegoo, explique qu’en 2020, «quand la plupart de nos concurrents dormaient par force des fermetures obligatoires des frontières, par contre nous avons eu notre année la plus folle en termes de business hours et en termes d’innovation dans le transport et le métier lui même. Nous avons été le seul transitaire qui avait pu louer une vingtaine d’avions pour transporter les marchandises de nos clients. J’ai récemment rencontré un de nos clients qui est basé à Dubaï et Singapour et il me confiait que grâce à nous, son business a prospéré pendant la Covid et que nous avions fait mieux que Dubaï et Singapour. En 2021, nous avons eu la meilleure année de nos 20 ans d’existence. Je le dis régulièrement : celui qui sait travailler en ce moment va être plus que rempli tandis que ceux qui ont l’habitude de faire dans le traditionnel vont mourir à petit feu

Guerre Russie-Ukraine

Concernant la guerre Russie-Ukraine, Vishal Nunkoo observe que pour le moment, il n’y a qu’une partie de la mer Noire qui est perturbée, ce qui ne devrait pas impacter la grande majorité du transport maritime. «Il n’y a pas de raisons, sauf peut-être le prix du carburant (Bunker Adjustment Factor). Aujourd’hui, les lignes maritimes ont la capacité d’absorber ces coûts suite à des profits mirobolants. Il se peut qu’il y ait des augmentations de fret aérien avec le besoin de contourner la Russie, mais cela ne devrait pas nous impacter, à Maurice», dit-il. Néanmoins, il ajoute que des spéculations boursières et de possibles collusions peuvent faire basculer les prix. Les délais de livraison ne devraient pas être touchés sauf pour les produits qui viennent de cette région. La raison serait beaucoup plus un problème d’approvisionnement que de fret. Cela dit, les problèmes de coûts de fret et les délais suite à la crise Covid n’ont toujours pas été résolus, particulièrement dans notre région.

Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les experts maritimes mondiaux avaient prédit une baisse des taux de fret par voie maritime de plus de 30 % dans les 12 prochains mois. «Je ne vois pas un retour à des taux pré-Covid de sitôt et sûrement jamais en roupies mauriciennes. C’est peut-être une bonne opportunité pour le Made in Moris», dit-il. Les contraintes ont été principalement une baisse de volume suite à des taux insupportables et aussi la gestion du mécontentement de ses clients avec des délais de livraison longs et impossibles à prédire.

Shane Ramburn de la MFD fait, lui, ressortir que la mer Noire est un commerce mineur pour le transport par conteneurs. Mais les effets plus larges de l’invasion russe créent une ombre sur le secteur. Les compagnies maritimes telles que les vraquiers sont les principales victimes de cette guerre car elles ne pourront pas transporter le blé, l’orge et le maïs, l’huile de tournesol et le GNL.

Délai d’approvisionnement plus long

La dernière flambée des prix du pétrole brut et les hausses des frais d’assurance vont gonfler les coûts de transport mondiaux et avoir un impact en particulier sur les expéditions de cargaisons sèches. Toutes les compagnies maritimes seront concernées et augmenteront potentiellement leur prix de fret. «Les prix internationaux du pétrole brut Brent ont dépassé 134 dollars le baril, le plus élevé depuis 2014. À Maurice, nous connaîtrons un délai d’approvisionnement plus long car les navires quittent notre région en raison des volumes d’échanges, de la productivité de notre port et des charges qui leur sont implicites», dit-il.

Il ajoute que la perturbation de la chaîne d’approvisionnement se poursuivra beaucoup plus longtemps car il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande dans le monde. En Chine, Shanghai a récemment été bloquée, ce qui brisera la chaîne déjà brisée. Pour atténuer le problème logistique, la Chine envisage d’utiliser la route de la soie, une ancienne route commerciale qui reliait le monde occidental au Moyen-Orient et à l’Asie. C’était un canal majeur pour le commerce entre l’Empire romain et la Chine et plus tard, entre les royaumes européens médiévaux et la Chine. Cette route contribuera à alléger la chaîne d’approvisionnement et la pression sur le transport maritime.

«Le secteur du transport par conteneurs peut sembler beaucoup moins exposé à l’impact de la crise russo-ukrainienne que le transport par pétrolier et le transport de vrac sec. Cependant, le fret aérien et le transport terrestre ont été gravement touchés et ont affecté le commerce en Europe, aux États-Unis et en Chine. L’île Maurice, pour l’instant, est moins exposée car nous importons principalement d’Extrême-Orient», explique-t-il.

Selon Floriane Fabien, il faudra prévoir d’autres augmentations du fret dans les mois qui viennent. «Cela affectera principalement l’Europe mais aussi les autres secteurs dans le long terme. Le marché européen, tarifaire est resté comparativement stable versus l’Asie, cela malgré la guerre en Ukraine ! Il faudra quand même prévoir des augmentations futures !» Quant aux délais, nous faisons face depuis quelques mois à des délais plus longs. Par exemple, le transit de l’Europe sur Maurice était de 30 jours en 2021, maintenant nous notons pour certains navires 60 jours de transit. Cela est dû à des changements de rotation des lignes maritimes. Concernant les perturbations, elle estime qu’il est difficile d’y répondre, «mais certainement pas d’amélioration avant mi-2023, voire début 2024. Nous tenons nos clients informés de la situation régulièrement et essayons d’anticiper leurs besoins. Nous privilégions une communication étroite afin de gérer au mieux leurs flux».

 Gestion de stock

Avec le récent panic-buying, la question est de savoir comment éviter les pénuries. Un stock prolongé augmente-t-il le risque de commercialiser des produits aux courtes dates d’expiration ? Clarel Michaud, CEO de MC Easy Freight, constate que certains importateurs préfèrent ne pas bloquer leur trésorerie sous forme de stock. Ils craignent des changements dans le comportement d’achat des Mauriciens ou de ne pas pouvoir écouler la totalité de leur stock avant l’échéance de la date d’expiration, surtout quand ce sont des produits périssables.
Auparavant, précise Clarel Michaud, la gestion de la supply chain était plus facile à réaliser car les départs et arrivées des navires étaient plus fréquents et les délais moins longs. Aujourd’hui, il y a un allongement des temps d’acheminement des marchandises. Certains porte-conteneurs font du slow steaming afin d’abaisser la consommation de fuel en réduisant la vitesse de 20-24 nœuds en mer à 12-19 nœuds. De plus, plusieurs usines à l’étranger produisent en priorité pour leur marché intérieur, une des conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ce qui fait que le sourcing des produits est devenu plus difficile et aléatoire, d’où les ruptures de stock.
«Par mesure de précaution, étant donné que l’Ukraine et la Russie sont de gros producteurs de tournesol, de blé et de céréales, d’autres pays comme l’Egypte ont pris comme mesure de précaution d’imposer depuis la fin de mars, une interdiction de trois mois sur les exportations d’huile comestible. Nous pouvons aussi nous attendre à une flambée des prix de vente des produits à base de céréales. D’ailleurs, la Russie a suspendu jusqu’au 31 août 2022 ses exportations de blé, d’orge et de maïs vers les pays de l’espace économique eurasiatique», explique Clarel Michaud. «J’invite les autorités locales à élaborer, en consultation avec les PME mauriciennes, une stratégie pour encourager et soutenir la fabrication des produits de substitution dans notre pays. Une telle initiative pourrait contribuer à créer de nouveaux emplois pérennes, réduire notre dépendance sur les produits importés et MC Easy Freight Co Ltd est partante pour apporter sa pierre à l’édifice en acheminant leurs matières premières et les autres intrants dont ces PME auront besoin

Les mesures envisageables pour soulager les mauriciens

LA chaîne s’est rompue et il est urgent de la raccommoder, avance Shane Ramburn. Comment ? Premièrement, les gouvernements doivent rendre les échanges plus faciles et moins coûteux en mettant en œuvre des réformes. Il est grand temps de moderniser les procédures commerciales et d’éliminer la bureaucratie. L’utilisation de la technologie est un must plutôt qu’un luxe aujourd’hui. Le gouvernement doit assouplir les processus pour faciliter le commerce à Maurice.

Deuxièmement, avec le Budget 2022 en préparation, les décideurs politiques doivent envisager d’étendre les subventions à une plus large gamme de produits autres que les biens essentiels. Cela contribuera à réduire le problème socioéconomique du pays.

Troisièmement, Maurice doit améliorer sa connectivité dans l’océan Indien, avec les ports africains, l’Extrême-Orient et l’extrême Ouest. Le problème aujourd’hui est que de nombreuses compagnies maritimes choisissent de sauter l’île Maurice en raison du peu d’attractivité de notre commerce. Maurice doit attirer de nouveaux cargos comme Yang Ming Marine Transport, China Cosco, One (Ocean Network Express), Evergreen, Pacific International Lines, Hyundai Merchant Marine, entre autres. Cependant, pour développer la connectivité, Maurice doit se réorganiser et devenir un hub de transbordement attractif. Le gouvernement doit transformer notre port en un moteur productif en investissant massivement dans l’équipement pour charges lourdes, les camions et la formation des personnes.

Quatrièmement, Maurice doit investir dans un cargo régional de 3 000 à 5 000 EVP et développer notre modèle économique de hub de transbordement. Cette mesure réduira considérablement le délai d’acheminement des conteneurs à Maurice et développera une stratégie de livraison rapide sur le marché africain. En investissant dans un navire régional, les importateurs et les exportateurs seront servis plus rapidement et atteindront le marché dans les délais impartis.

Enfin, les instances internationales et réglementaires doivent contrôler les tarifs pratiqués par l’industrie maritime. Les compagnies maritimes ont enregistré des profits record. Un cadre approprié devrait être établi pour contrôler le secteur des transports à l’échelle mondiale

Vishal Nunkoo estime, pour sa part, qu’il n’y a pas de solutions à court terme, «mais dans le moyen-long terme, il faut vraiment réindustrialiser le pays, pour faire plus du Made in Moris, pas que pour la consommation locale, mais aussi pour l’exportation. Il faut aussi se rendre à l’évidence que nous avons un problème de main-d’œuvre qu’il faudra résoudre rapidement en rendant le recrutement d’expatriés plus simple et mieux encadré».

Du côté de Somatrans, Floriane Fabien indique que cette situation est totalement hors de leur contrôle. «S’il y avait plus de lignes maritimes qui desserviraient Port-Louis, cela aurait certainement aidé à avoir une compétition plus saine», dit-elle.

Le Managing Director de Cargotech, en regardant les chiffres d’affaires des transitaires à Maurice, constate que ceux qui ne cessent d’innover prospèrent. «Nous avons su trouver les opportunités dans l’adversité. Nous sommes profitables parce que nous avons une maîtrise absolu des coûts. Nous négocions très serré et nous avons innové par des accords avec les entreprises les plus performantes dans le monde du fret pour offrir des coûts bas», précise-t-il.

Chercher des solutions novatrices

Le dernier rapport qui résume la situation de 2021 le souligne : ‘The shipping Bonanza continues’. Les dix premières compagnies maritimes ont fait USD 95 milliards de profit net avec une marge de profit de 57,1 %. Pour Kishore Beegoo, des questions doivent être posées : quel business a ce type de marge ? Or, avez-vous vu un gouvernement faire une enquête de collusion / collusive practices ?
«Techniquement avec la guerre en Ukraine, l’embargo sur la Russie devrait faire baisser les prix car tous les navires qui sont dans la région de la mer Noire et la Russie doivent être redéployés sur d’autres secteurs. Or, au lieu d’entendre qu’il y a maintenant trop de navires en inactivité ou sous-utilisés, on entend que les prix augmenteront encore. Ce n’est pas à nous les transitaires de mettre de l’ordre mais aux gouvernements surtout européens car les plus grosses compagnies maritimes mondiales MSC/Maersk/ CGM sont européennes. Pourquoi ces gouvernements ferment-ils les yeux aux collusions probables ? Est-ce que parce qu’une partie des profits rentrent dans leurs caisses ? Aussi en cas de guerre mondiale, les pays qui ont les plus grandes flottes auront la possibilité de bouger leurs troupes/équipements et importer leurs besoins. Donc c’est une décision stratégique de les protéger

Baisse des importations

Neerish Chooramun, Corporate Manager – Marketing & Communication de Velogic, indique que jusqu’à présent, il n’y a pas eu de diminution dans le volume d’importation chez certains de ses clients qui sont dans la grande distribution et la consommation. Au niveau de la MFD, Shane Ramburn, Transport and Depot Manager, note une diminution de l’importation car les frais de transport sont très élevés vers Maurice et le prix final des produits devient peu attrayant pour les consommateurs finaux. De plus, l’appréciation des devises étrangères est un autre coup dur porté à nos importations sans oublier le fait que les navires quittent notre région et se dirigent vers d’autres ports en raison de plus de volume et de productivité. Un autre point soulevé : le pouvoir d’achat des Mauriciens qui ne cesse de baisser. «Les trois principales compagnies maritimes qui desservent Port-Louis ont réduit le nombre de leurs escales depuis un certain temps. Cependant, avec la crise économique qui sévit au Sri Lanka, Maurice a l’opportunité de concrétiser son projet d’être une plaque tournante de transbordement pour les pays africains et la région», évoque-t-il. «Bien sûr, nous n’avons pas de stock d’un an, mais Maurice a un stock tampon pour les biens de consommation à rotation rapide (FMCG) pour les prochains mois. Nous pourrions être confrontés à un manque de certains articles de luxe pour les raisons mentionnées ci-dessus, mais les produits de base seront disponibles pour les clients finaux
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