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Fruits et légumes : importation en hausse, production locale en baisse

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L’Assemblée générale des Nations Unies a déclaré 2021, année internationale des fruits et légumes afin de sensibiliser les populations à leur rôle important dans la nutrition et la sécurité alimentaire. Les données de Statistics Mauritius font ressortir une croissance de l’importation sur le marché des fruits et légumes depuis un certain nombre d’années. Toutefois, les données sur la production locale sont plus inquiétantes.

Globalement, entre 2014 et 2020, la production agricole de fruits et légumes a baissé d’un peu plus de 15 %. Par contre, l’offre de fruits et légumes a beaucoup évolué ces dernières années pour s’orienter vers plus de valeur ajoutée. Yan Mayer, Managing Director de Proxifresh, est d’avis que le Mauricien ne regarde plus uniquement le prix comme facteur d’achat, mais a aussi d’autres considérations comme la facilité d’utilisation et la qualité disponible. Ce qui fait augmenter la valeur du marché, mais pas forcément le volume. Toutefois, Yan Mayer fait remarquer que c’est compliqué de trouver des données statistiques fiables aujourd’hui à Maurice pour suivre l’évolution de la consommation des fruits et légumes.

L’équipe ENL Agri abonde dans le même sens. Elle souligne qu’il n’y a aucune donnée qui permet à ce jour d’affirmer que, de manière générale, la consommation de fruits et de légumes est en progression à Maurice. Il y a, par contre, des changements indéniables au niveau des habitudes de consommation. Le volume de fruit et légumes passant par la grande distribution a connu une croissance régulière au fil de ces dernières années. C’est à travers ce circuit que la part de marché des fruits et légumes ‘branded’ est en constante augmentation, de même que celle des produits transformés/prêts à consommer.

La première question serait effectivement de savoir si sous l’effet de l’intérêt croissant porté à la santé, de la montée du ‘véganisme’ et du vieillissement de la population – les seniors consomment plus de fruits et de légumes– la consommation de fruits et légumes locale est en augmentation ? Samla Dijoux, Farm Manager de Top Nature, dit avoir noté, de son côté, une hausse de consommation des fruits et légumes qui, à son avis, n’est pas juste le fait de compter plus de vegans et de seniors. Elle est d’avis que les consommateurs sont de plus en plus conscients de leur santé car le nombre de personnes affectées par le diabète et des maladies cardiovasculaire ne cesse de croître.     Les parents habituent également leurs enfants à consommer des fruits et des légumes dès le plus jeune âge. Il y a aussi l’influence des réseaux sociaux et des blogs de cuisine ainsi que des régimes qui motivent les consommateurs à découvrir d’autres cuisines.

De son côté, Didier Charoux, Managing Director du département Agriculture de Medine, constate ces dernières années une montée en puissance du véganisme et un désir de consommer davantage de produits sains. Il explique que si la production et la consommation de fruits et de légumes est malgré tout restée quasi stable à Maurice, Medine a constaté, lors des confinements de 2020 et de cette année, une hausse de la consommation, due au fait que les personnes ont davantage de temps pour cuisiner chez elles. « Si l’achat de fruits et de légumes en supermarché a donc augmenté pendant ces périodes, nous avons également vu émerger une nouvelle tendance de ‘jardin à domicile’. Beaucoup de Mauriciens se sont, en effet, lancés dans l’aménagement de leur propre potager à la maison pour s’assurer d’avoir toujours des légumes frais en cas de difficulté à s’en procurer dans les commerces», souligne Didier Charoux.

 

Depuis plusieurs années, tous les experts s’accordent à dire qu’il faut augmenter la part des légumes dans notre assiette tant pour des raisons de santé que par rapport aux enjeux du réchauffement climatique. Selon Steeward Presley, Brand Manager de Panagora, ce contexte et divers autres facteurs peuvent expliquer cet intérêt croissant des consommateurs pour les fruits et légumes. Toutefois, il ajoute qu’on ne peut directement en conclure que la consommation de fruits et légumes va automatiquement augmenter. «En 2020, les importations de légumes ont crû de 6,5 % comparé à 2019, ce qui pourrait laisser penser que la crise sanitaire a un effet sur la consommation. Or, lorsque l’on analyse de plus près les chiffres, on note, au contraire, que Maurice a importé bien moins de légumes après juin 2020. Dans le même temps, la production agricole locale n’a connu qu’une croissance minime de 0,7 %. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces chiffres. Il faut rester prudents au niveau des interprétations et éviter les raccourcis hâtifs», prévient Steeward Presley.

Sur ce marché, la part du bio est croissante. Il faut dire que de nombreux consommateurs prêtent attention à la présence de pesticides dans les fruits et légumes frais qu’ils achètent. Comme l’indique Samla Dijoux, ce marché commence à prendre de l’ampleur à Maurice, les consommateurs étant de plus en plus conscients des dangers des pesticides sur la santé. Les personnes atteintes de maladies telles que le cancer, les problèmes nerveux sont également à la recherche de légumes sans pesticides. Chose que confirme Yan Mayer. «Il y a un intérêt certain de la population mauricienne à manger des fruits et légumes sains, et je pense que cette tendance est en croissance. Toutefois, la production biologique est limitée à Maurice, principalement pour des raisons de pression phytosanitaire inhérente à notre climat tropical et insulaire. Cela implique que l’offre de fruits et légumes bio sur le marché est très limitée et pas à la portée de toutes les bourses. Une alternative reste l’agriculture raisonnée.»

De son côté, ENL Agri ne produit pas, pour le moment, des fruits et légumes issus de l’agriculture biologique. Cependant, elle pratique l’agriculture raisonnée qui est, pour elle, la meilleure alternative en prenant en compte les contraintes climatiques et sanitaires que nous avons à Maurice, surtout en période estivale. La part du bio dans les circuits traditionnels reste ainsi très faible. Nous retrouvons le bio surtout au niveau des canaux de distribution courts. Mais ENL Agri constate qu’elle est en croissance même si le taux de pénétration en supermarché reste très faible.

«Il est clair que de plus en plus de Mauriciens sont davantage conscients de ce qu’il y a dans leur assiette et sont aussi plus soucieux de leur santé. Raison pour laquelle le consommateur mauricien se tourne de plus en plus vers des producteurs responsables, et notamment vers l’agriculture raisonnée que nous pratiquons à Medine et qui permet de produire des fruits et légumes sains. C’est un marché qui se développe d’année en année», précise Didier Charoux.  Steeward Presley note qu’il y a aujourd’hui un grand engouement sur les réseaux sociaux notamment pour le bio, mais la réalité du terrain semble un peu différente. Il n’y a pas de chiffres officiels concernant le bio à Maurice ; donc il est difficile d’apporter une réponse plus précise. Plus largement, il ajoute que Panagora suit de près les tendances de consommation et toutes ses études indiquent que les consommateurs sont très sensibilisés à la question des pesticides. C’est d’ailleurs ce qui a poussé l’entreprise à ne proposer que des légumes frais issus de l’agriculture raisonnée dans les marques Field Good et Bonduelle. «Cependant, nous constatons également un décalage entre sensibilisation et action en rayon. Le facteur prix reste important, surtout lorsqu’il s’agit de produits de base et essentiels comme les fruits et légumes.»

Par ailleurs, le marché des fruits et légumes est une filière en mouvement. Celui-ci est confronté à plusieurs enjeux sur le marché local. Comme le fait ressortir Yan Mayer, ce marché est une filière complexe et très peu organisée. Elle est basée sur plus de 9 000 petits planteurs, quelques agriculteurs plus importants, de nombreux petits marchands, des intermédiaires encanteurs qui font le lien entre l’offre et la demande et quelques entreprises organisées qui assurent la distribution sur les marchés formel et informel. «Le principal enjeu dans ce domaine est la fluctuation de la production qui entraîne une fluctuation des prix importante et des impacts sur toute la chaîne. Tant que cette filière ne sera pas mieux organisée, le problème restera le même. Nous constatons des périodes de forte production avec des prix très bas qui impactent négativement les agriculteurs et par la suite des périodes de faible production avec des prix en forte hausse qui impactent les consommateurs.  Ces fluctuations sont néfastes

Samla Dijoux abonde dans le même sens et souligne qu’à Maurice, la filière des fruits et légumes est très mal structurée. «Les aléas climatiques impactent la production, ce qui explique une surproduction suivie d’une pénurie. Il y a peu de diversité puisque la tendance à Maurice est de copier sur son voisin : on va cultiver la même culture et la même variété que son voisin. Aussi, nous devons faire face à l’importation, surtout de légumes qu’on ne peut produire localement sous notre climat tropical.»  L’enjeu à ce jour demeure aussi la conscientisation des consommateurs mauriciens quant aux bienfaits d’une alimentation saine, strictement contrôlée en termes de pesticides. Il y a aussi la nécessité de pallier les produits importés dont aujourd’hui nous ne pouvons nous passer car soit ces aliments ne poussent pas sur une île tropicale, soit ils sont saisonniers. «En changeant les modes et habitudes de consommation et en éduquant et incitant à consommer des fruits et légumes  alternatifs produits localement, nous  pourrions améliorer la production locale  et être moins dépendants de l’importation», suggère Didier Charoux. Il cite l’exemple de la pomme de terre qui ne peut être cultivée que pendant une période de l’année, celle-ci pouvant être remplacée par la patate douce. Toutefois pour que cela fonctionne, il faut  que l’offre et la demande s’accordent.  «Nous constatons également un intérêt décroissant des jeunes pour les métiers de la terre. Il est de plus en plus difficile de trouver de la main-d’œuvre pour travailler dans les champs. L’agri culture locale connaîtra de grandes difficultés sans la relève des jeunes», relève Didier Charoux.

Pour ENL Agri, le principal enjeu reste la gestion de la saisonnalité et la régularité d’approvisionnement. C’est un vrai casse-tête, surtout en période estivale quand les rendements de production chutent drastiquement alors que la demande explose. C’est exactement l’opposé qui se produit en hiver.  Cela demande une grande rigueur au niveau de la planification.

 

L’agriculture bio toujours au stade embryonnaire à Maurice

Pour Samla Dijoux, l’agriculture bio est toujours au stade embryonnaire à Maurice. Il n’y a toujours pas de charte bio à Maurice et aucune réglementation par les autorités. Elle est d’avis que l’agriculture biologique est comme la cerise sur le gâteau ; il faudrait tout d’abord promouvoir l’agroécologie et l’agriculture raisonnée. «Il faut déjà apprendre à marcher avant de courir. Il faut tout d’abord professionnaliser l’agriculture à Maurice, avec des formations permettant aux agriculteurs de comprendre l’agronomie et les besoins de la plante. Ainsi, on pourra éventuellement pratiquer l’agriculture raisonnée et l’agroécologie. Avec la petite superficie de l’île, notre altitude et notre climat tropical, l’agriculture biologique est effectivement la cerise sur le gâteau.»

La consommation déficitaire de fruits et de légumes accroît le risque de mortalité infantile

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, jusqu’à 1,7 million de vies pourraient être épargnées chaque année moyennant une consommation suffisante de fruits et légumes. La faible consommation de fruits et légumes figure parmi les dix principaux facteurs de risque de la mortalité mondiale. À l’échelle de la planète, on estime que la consommation insuffisante de fruits et légumes est responsable de près de 19 % des cancers gastro-intestinaux, 31 % des cardiopathies ischémiques et 11 % des accidents vasculaires cérébraux.

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