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Localisme relever le pari de l’Autosuffisance Alimentaire

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Contraints de remettre en question de nombreux aspects de notre organisation sociale après avoir fait face à une crise sanitaire sans précédent, nous devons maintenant recentrer notre consommation et revoir nos habitudes alimentaires afin de miser davantage sur l’agriculture locale. Et, pourquoi pas, alors viser une île Maurice autosuffisante ?

SI l’on revient sur les deux derniers confinements qu’on a vécus, on est forcé de se rappeler cette ruée vers les supermarchés de l’île dès qu’il était permis de le faire. Même si les ministres intervenant à la télévision soutenaient qu’une pénurie alimentaire n’était pas d’actualité, cela n’a pas empêché les achats paniques dans les magasins d’alimentation, les Mauriciens faisant du stock pour ne pas manquer de vivres. Ils craignaient, en effet, que les conteneurs n’arrivent pas à temps, entraînant une pénurie de certaines denrées, alimentaires notamment. Et qu’en conséquence ils n’obtiennent plus leurs produits habituels.

D’ailleurs, quand on regarde les chiffres de Statistics Mauritius, la note d’importations totales du pays pour le premier trimestre de 2021 s’élève à Rs 44,39 milliards. De ce montant, environ 20,1 % a trait à l’importation de ‘food and live animals’, pour environ Rs 8,943 milliards. Ce chiffre est révélateur de notre forte dépendance sur les produits alimentaires importés. Or, depuis des années maintenant, la question d’autosuffisance alimentaire reste au cœur des débats. En effet, nombre d’observateurs s’accordent à dire que Maurice a tous les atouts pour devenir autosuffisant, que ce soit en matière d’agriculture, dans le domaine de l’élevage de poulet et de bovin ou encore au niveau de la production aquacole. Cela dit, la crise sanitaire n’a été qu’un catalyseur, faisant resurgir chez beaucoup l’envie de cultiver et de devenir autosuffisants, même si ce n’est que pour satisfaire leur propre faim.

Thierry de Spéville, Managing Director d’Avipro«Être autosuffisant en production de poulet est une vraie force pour Maurice et offre une sécurité alimentaire aux mauriciens».

Thierry de Spéville

 D’ailleurs, il faut bien le dire : le Budget 2021-22 a mis l’accent sur la nécessité d’un retour à la terre. Le ministre des Finances, du Plan et du Développement économique, Renganaden Padayachy, l’a souligné le 11 juin dernier : «La production animale et l’élevage présentent un potentiel important de croissance, d’investissement et de création d’emplois». De nombreuses aides financières, à destination, entre autres, des maraîchers, des petits planteurs, des pêcheurs et des éleveurs, ont été énoncées en vue de stimuler davantage la production agricole locale ; sucrière et non sucrière. Mais encore, le Grand argentier a aussi mis en relief que la Banque africaine de développement offre son assistance au gouvernement dans la mise en place d’une zone agroalimentaire à Wooton. Cette zone inclura des infrastructures et des équipements nécessaires à la transformation, aux tests alimentaires et à l’entreposage. Ces facilités seront d’ailleurs mises à la disposition des PME, des coopératives et des entreprises.Business Files Ferme de poulet

PRÉPARER LA TRANSITION VERS L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE

«Pour un pays, l’autosuffisance alimentaire est atteinte lorsqu’il arrive à répondre aux besoins alimentaires de sa population uniquement à travers sa propre production nationale», définit Alban De Speville, General Manager de Field Good Fresh Foods (FGFF). Celui-ci souligne que les répercussions de la pandémie sur la logistique au niveau mondial et, en particulier, sur les transferts transfrontaliers par voie maritime, ont entraîné une certaine instabilité sur le plan du commerce international. D’importantes variations de prix des denrées agricoles ont d’ailleurs mis en exergue notre dépendance à ce niveau. Il est donc important aujourd’hui de se focaliser sur une transition vers l’autosuffisance alimentaire. «Nous sommes d’avis que cette transition devrait devenir une priorité pour Maurice, non seulement pour assurer au mieux notre propre sécurité alimentaire durant cette période d’instabilité ambiante, mais aussi dans l’optique de réserver les devises pour l’achat d’autres marchandises vitales pour le pays et qui ne sont pas substituables ou qui ne pourraient être produites sur place comme, par exemple, le pétrole et les médicaments, entre autres», suggère-t-il.

De son côté, Thierry de Spéville, le Managing Director d’Avipro, fait valoir que le focus sur l’autosuffisance alimentaire ne date pas d’hier. Elle est, dit-il, à l’origine même de la création du groupe : «Michel de Spéville est parti de ce constat en 1966, que produire localement éviterait au pays d’être dans les turbulences de l’importation. Elle permettrait plutôt à Maurice de faire face aux crises alimentaires». Et d’ajouter que cette pandémie n’a fait que renforcer ce constat. «Elle a mis en lumière le rôle des acteurs locaux dans la chaîne alimentaire. Elle nous a clairement montré à quel point il était essentiel de produire localement. Par exemple, être autosuffisant en production de poulet est une vraie force pour Maurice et offre une sécurité alimentaire aux Mauriciens», renchérit-il.

Bruno Dubarry, le CEO de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), indique, pour sa part, que la crise de la Covid-19 a remis sur le tapis l’urgence d’assurer notre autosuffisance alimentaire. «Les producteurs locaux ont été en première ligne pour fournir au pays des produits de première nécessité suivant l’apparition de la pandémie en 2020. Non seulement, ils ont assuré la production et la livraison des denrées alimentaires dans les supermarchés mais ils ont été solidaires et ont soutenu des familles démunies», se souvient-il.

Il fait cependant remarquer que nous sommes toujours dans une position vulnérable et que nous ne sommes pas à l’abri d’une crise alimentaire. «Nous sommes aujourd’hui dans une situation que l’on craignait depuis longtemps. Depuis 2016, nous rappelons l’urgence d’avoir des mécanismes d’intervention publics, afin d’anticiper et de résister à des épisodes perturbateurs pour la sécurité d’approvisionnement de notre territoire. Il y a eu certes une prise de conscience sur l’importance de produire et de consommer local, notamment dans un contexte de sécurité alimentaire. Nous pouvons ainsi être optimistes car nous avons des exemples d’autosuffisance alimentaire qui ont marché, comme la filière aviaire. Cela dit, il est quand même temps de réformer le secteur privé avec une approche de filières car sans cela, notre sécurité alimentaire ne sera pas assurée, mais nous nous couperons aussi d’opportunités de coopération régionale notamment pour l’export», avertit-il.

LOCAVORE : CONSOMMER CE QUE L’ON PRODUIT

Il faut, selon lui, se concentrer sur les efforts et initiatives à prendre, comme capitaliser sur les réussites et les échecs dans l’agroalimentaire. «Il est urgent pour le secteur privé de s’engager dans une approche interprofessionnelle pour un maillage de l’agriculture, l’élevage, l’alimentation animale, l’industrie de transformation et la grande distribution. Nous réitérons qu’il est essentiel d’organiser régulièrement des assises nationales de la production. Ces assises engageraient tous les acteurs concernés : industriels, agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, acteurs de la grande distribution et commerçants, services à l’industrie (énergie, transport, technologies, etc.), syndicats, salariés, associations de consommateurs, ONG. Ensemble, l’on planifierait la feuille de route de production locale et notamment des items vitaux : produits alimentaires, hygiène, santé, tout ce qui est consommable au quotidien sur un territoire insulaire. C’est une question de fond, de réformes structurelles, de choix de société qui nécessite un consensus national. Nous devons créer les conditions d’équilibre entre les importations, l’import substitution et la production locale ; c’est vital !», lance-t-il.

ALBAN DE SPEVILLE« Nous devrions consommer ce que nous pouvons produire au lieu de chercher à produire ce que nous consommons».

Alban de Speville

 Alban De Speville, quant à lui, avance que nous nous trompons souvent dans ce débat. Pour lui, on cherche à produire ce que nous consommons alors que nous devrions plutôt consommer ce que nous pouvons produire. «Ce sont nos propres habitudes de consommation que nous devons changer. Les meilleurs exemples pour illustrer ce paradigme sont le riz et la pomme de terre, que nous importons massivement. Il est très difficile de produire localement, à un prix accessible, du riz qui soit de qualité acceptable. Alors pourquoi ne pas consommer moins de riz en mettant en avant des substituts qui pourraient être produits localement et à un prix correct», suggère-t-il.

Nous pourrions, donne-t-il en exemple, encourager la population à consommer plus de pomme de terre et moins de riz pendant la période de récolte locale, qui s’étend de juillet à décembre. Et hors période de récolte, entre janvier et juin, nous devrions importer moins de pomme de terre et consommer plus de fruits à pain, de manioc, de patate douce et d’autres types de tubercules adaptés à notre environnement tropical. «Nous devons soutenir toutes les formes d’économie circulaire et travailler selon notre climat et notre terroir», conseille-t-il.

Business Files ALIMENTAIREMais encore, il enchaîne qu’il faut avoir la même approche par rapport aux fruits importés et encourager de plus en plus la production et la consommation locales. «Il y a un gros travail de sensibilisation à faire et cela, dès le plus jeune âge. Nous devons devenir locavores, c’est-à-dire se nourrir avec ce qui peut être produit localement. Ce ne sont pas les ressources qui manquent. Le pays dispose de suffisamment de terres arables et d’expertise. S’il y a une réelle volonté politique, une stratégie bien pensée et un partenariat solide entre le public, le privé et la communauté des planteurs, ensemble nous y arriverons. Nous en n’avons aucun doute», conclut le General Manager de FGFF

LA MENACE DU DUMPING DES PAYS ÉTRANGERS

Le poulet reste la chair la moins chère à Maurice et la plus consommée par les Mauriciens. C’est une des rares industries agroalimentaires autosuf¾santes à Maurice. Thierry de Spéville note toutefois que la production locale n’est pas l’abri de dumping de pays étrangers, qui produisent en très grande quantité, à une qualité moindre et surtout à moins cher. Cela menacerait durablement la production locale, garante d’emplois et de valeur

LA PRODUCTION LOCALE SOUS PRESSION

Montida Poultry Entre la baisse de la demande, celle de la consommation et les coûts de production en hausse, les fermes d’élevage ont été durement impactées par les deux con¾nements. Thierry de Spéville confirme que c’est bien le cas pour Avipro, l’un des plus gros producteurs avicoles de Maurice. «Le premier confinement nous a grandement perturbés ; nous nous sommes retrouvés avec un stock important dû à la cessation des activités des hôtels et restaurants et à la fermeture temporaire des supermarchés pendant le lockdown. Or, le second con¾nement a été mieux maîtrisé car les procédures étaient déjà mises en place», commente-t-il.

Toutefois, la baisse dans la production aura quand même été au rendez-vous malgré les derniers chiffres de Statistics Mauritius soulignant que la production de volaille a augmenté de 6,9 %. Ce chiffre de 6,9 % date d’avant la crise de la Covid-19, indique notre interlocuteur, qui fait ressortir que depuis, c’est plutôt une baisse de production de plus de 15 % qui a été notée. Dans cette période dif¾cile, la préoccupation principale d’Avipro est de garantir le meilleur prix aux consommateurs.

ENCOURAGER LA PRODUCTION DE VIANDE PORCINE ET DE CERF

Encourager la production de viande porcine et miser le potentiel que représente la production de viande de cerf peuvent se révéler judicieux selon Alban de Speville. Il faudrait, lance-t-il, simplement s’inspirer de la production de la volaille qui est déjà autosuffisante – sante et qui a une chaîne de valeur bien développée. «Il faut encadrer et encourager ce secteur même s’il faut admettre que la viande porcine n’est consommée que par une section de la population», dit-il, ajoutant que «nous gagnerions à regrouper tous les éleveurs sur un même site et mettre en place un système intégré avec accent sur la valorisation des déchets, comme la production d’électricité à travers le méthane par exemple. Tout est simplement une question de masse critique à obtenir sur un même site.»

Quant à la production de viande bovine, il anticipe que cela reste un grand défi . «Notre climat n’y est pas vraiment propice et le «food conversion ratio» est même négatif dans certains cas. Il serait plus judicieux d’axer tous nos efforts sur le potentiel que représente la production de viande de cerf. Il semble que les autorités en ont bien conscience. Il faut maintenant autoriser l’utilisation d’abattoirs mobiles afin de faciliter le processus de transformation et de mise sur le marché», propose-t-il.

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