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Formation tertiaire : tailler les programmes pour les besoins des industries

Rear view of a college graduate girl

La disponibilité d’une masse de diplômés et de professionnels hautement qualifiés est nécessaire pour alimenter et soutenir la croissance et le développement. L’enjeu aujourd’hui reste la réduction de l’inadéquation entre l’offre et la demande de diplômés sur le marché du travail, de minimiser l’ampleur du chômage, du sous-emploi des diplômés et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de pénurie de compétences dans les domaines jugés d’importance vitale pour le développement socio-économique et culturel du pays.

MAURICE, en tant que petit pays aux ressources relativement limitées, ne peut compter que sur son capital humain sous la forme d’une main-d’œuvre correctement formée pour prospérer. Dans un tel contexte, pour garantir l’utilisation judicieuse des ressources humaines disponibles et pour s’assurer que l’enseignement supérieur sert mieux le développement national, la planification des ressources humaines est essentielle. Mais le fossé entre les compétences dont les employeurs ont besoin et celles que les diplômés ont obtenues se creuse. Les besoins nouveaux et émergents, centrés principalement sur la technologie, interpellent les universités et mobilisent leur capacité à préparer les futures forces de travail. Pour combler ces manques, la liste des domaines d’études prioritaires indicatifs (LIPFS) publiée par la Higher Education Commission (HEC) informe les étudiants sur les domaines pour lesquels le pays aura besoin d’une main-d’œuvre qualifiée de haut niveau à l’avenir. La liste des domaines d’études prioritaires indicatifs 2021/2023 révèle que les métiers liés à l’informatique et la technologie sont en grande demande. L’intelligence artificielle, la science des données, la technologie blockchain, la cybersécurité / la criminalistique numérique, le développement de logiciels, la technologie de l’information avec spécialisation en transformation numérique, l’innovation et ingénierie de la conception, l’apprentissage automatique sont parmi les compétences les plus recherchées.

Le fossé se creuse entre les compétences dont les employeurs ont besoin et celles des diplômés

Prenons pour exemple le secteur de la cybersécurité ; ce marché continuera à exiger de nouvelles compétences, non seulement d’un point de vue technologique. La pénurie de compétences en cybersécurité à Maurice se fait cruellement sentir. Actuellement, ce secteur devient de plus en plus dépendant d’entreprises ou de ressources internationales pour les aider ; ces services sont alors coûteux.

Alors que la demande pour les services de cybersécurité ne fera qu’augmenter dans les années à venir, la pénurie de compétences restera un facteur limitant pour cette industrie si des mesures ne sont pas prises. Les défis et répercussions peuvent inclure l’incapacité des fournisseurs de services à respecter les délais du projet en l’absence d’une main-d’œuvre adéquate. Et bien qu’il existe une abondance de technologies avancées et émergentes telles que l’Intelligence artificielle, le cloud et la cybersécurité, cette pénurie de main-d’œuvre pour mettre en œuvre et gérer ces technologies ne fera qu’accentuer l’exposition aux risques des organisations, ce qui entraînera une guerre mondiale de talents.

Vina Ballgobin, Senior Lecturer à l’Université de Maurice, souligne que les gouvernements successifs continuent de promouvoir le secteur de l’éducation tertiaire afin d’assurer le développement du capital humain. «C’est incontournable dans un monde dominé par la technologie.

Puis, le monde devient plus instable à cause des catastrophes naturelles récurrentes et des conséquences financières. Un exemple : la Covid-19. Ce problème requiert des ressources humaines qui ont la capacité de trouver des solutions nouvelles. Le Strategic Plan 2022-2025 de la Higher Education Commission (HEC) fait aussi un appel aux institutions tertiaires ou aux Higher Education Institutions (HEI) pour que les ressources humaines soient plus autonomes et plus créatives dans le monde de la connaissance et de l’innovation. Comme d’habitude, les décideurs expriment le souhait que les têtes pensantes se réinventent pour que le pays devienne plus résilient ; je pense que c’est louable.»

Problème de mismatch

Maintenant, qu’en est-il de la réalité du terrain ? Pour Vina Ballgobin, il faut se poser trois questions. Est-ce que les HEI sont réactives et œuvrent dans le sens de satisfaire les besoins contemporains – éducatifs et professionnels ? Quelle est la capacité réelle des institutions à s’adapter pour tailler des programmes innovants ? Et les parents suivront-ils et inscriront-ils leurs enfants pour suivre ce genre de programmes ? «À Maurice, une poignée croit dans l’innovation. La société prend beaucoup de temps pour accepter de tout petits changements. Certains programmes ne sont pas offerts, faute d’inscrits… Y a-t-il des recherches pertinentes qui auront un impact sur la société ? Il est urgent de développer non seulement la curiosité, mais aussi le sens de l’éthique au sein de toutes les instances de la société mauricienne. Étant donné les réalités mauriciennes, la fuite des cerveaux (brain drain) est très élevée», explique Vina Ballgobin.

Toriden Chellapermal, CEO de la MCCI Business School, concède que nous faisons effectivement face à un problème de mismatch comme beaucoup d’autres pays dans le monde, mais selon lui, ce serait une erreur de tout mettre sur le dos des institutions de formation. «Ne devrions-nous pas plutôt avoir une concertation nationale pour une politique structurée qui définirait mieux les besoins pour que les institutions de formation puissent adapter les offres en fonction du marché de l’emploi à Maurice et surtout en anticipant sur les changements futurs.» Il ajoute qu’avec les outils technologiques qui sont aujourd’hui à disposition et au vu de la taille de notre population, nous devrions assez facilement recenser les étudiants et leurs niveaux de qualifications et les orienter vers les besoins du monde professionnel. «Malheureusement, nous sommes en train de multiplier les offres de formation sans tenir compte de la finalité d’une telle politique.»

Toriden Chellapermal souligne que la MCCI Business School essaie, pour sa part, d’être flexible et à l’écoute de ses interlocuteurs. Elle essaie donc d’adapter ses formations afin d’accueillir à la fois les étudiants à temps plein, en alternance ou en formation continue, ce qui permet aux professionnels de différents secteurs qui souhaitent progresser dans leur carrière, de parfaire leur formation académique par l’obtention d’un diplôme à l’international. C’est pour cela également que l’institution propose que le pays développe des pôles d’excellence dans des secteurs spécifiques, ce qui garantirait la qualité des offres de formation et éviter ainsi une redondance de formations qui ne seraient pas conformes au marché de l’emploi local.

Pour le Dr Jeremy Charoux, Executive Director du Charles Telfair Campus, la pénurie de main-d’œuvre est un problème complexe auquel il n’existe pas de solution rapide. Selon lui, de nombreux facteurs y contribuent, notamment le vieillissement de la population, l’immigration de Mauriciens à l’étranger et certaines industries qui n’ont pas fait assez d’efforts pour s’assurer qu’elles sont suffisamment attrayantes pour les jeunes qui sortent de l’école et les diplômés. «Je pense que chaque secteur devrait être examiné individuellement, les facteurs contributifs identifiés et des solutions viables mises en place par tous les acteurs concernés.»

Comme le précise Tasneem Jaumally, Operations Manager de Honoris Educational Network, malgré les efforts du gouvernement et d’autres parties prenantes, le déficit de compétences à Maurice reste un défi pour les entreprises. Elle est d’avis qu’il est nécessaire d’avoir une approche ciblée entre les institutions de formation et le secteur privé pour s’assurer que les compétences enseignées correspondent aux besoins des entreprises. «Les institutions de formation privées travaillent sur de nouvelles formations agiles non seulement pour les étudiants, mais aussi pour le monde de l’entreprise afin que le déficit de compétences soit comblé pour favoriser la croissance et l’expansion économiques.»

Brain drain

Madhavi Ramdin-Clark, Head d’ACCA Mauritius & New Markets, précise qu’il y a en général une situation de brain drain à Maurice. Cet exode des personnes qualifiées et compétentes est devenu un vrai problème. Pour Madhavi Ramdin-Clark, il faudrait sans doute que les autorités et les acteurs économiques arrivent à créer et maintenir les conditions qui pourraient ralentir cette tendance. «De jeunes – et moins jeunes – Mauriciens ne trouvent malheureusement peut-être pas dans notre pays les conditions sociales, culturelles, économiques et professionnelles qu’ils souhaitent pour s’épanouir. Ce, alors que le marché du travail est de plus en plus international grâce à l’ouverture que permettent les technologies et à la force de qualifications reconnues mondialement.» L’ACCA propose elle-même un cursus de formation de haut niveau, qui répond aux besoins du monde professionnel en comptabilité et finance, aussi bien à Maurice qu’à l’étranger. Ce curriculum est utilisé par des instituts de formation reconnus, et en self study par les étudiants. De plus, l’obligation de formation professionnelle continue (CPD) pour les membres est une motivation pour qu’ils mettent à jour chaque année leur formation et leurs connaissances dans des sujets particuliers liés à leur domaine d’expertise.

«Notre cursus est tout à fait pertinent pour répondre aux besoins du marché du travail, car il est mis à jour régulièrement en tenant compte de l’évolution des besoins des entreprises et des organisations, des avancées technologiques, des perspectives économiques et sociales, et des amendements aux cadres légaux et aux normes internationales. Le choix des personnes qualifiées, de rester ou de partir, est quant à lui très personnel, et dépend de divers facteurs», souligne Madhavi Ramdin-Clark.

De son côté, Ekaley Joulia, Directrice Exécutive de l’Université Paris-Panthéon-Assas (Campus de Maurice), est d’avis qu’il est possible que les institutions de formation ne répondent pas toujours aux besoins spécifiques du marché du travail, ce qui peut contribuer au manque de main-d’œuvre qualifiée dans le pays. Cependant, elle précise qu’il est également important de noter que les besoins du marché du travail évoluent rapidement, en parallèle avec les avancées technologiques exponentielles dans le monde. Il est donc nécessaire que les institutions soient suffisamment agiles et réactives pour développer des programmes de formation innovants qui permettent aux étudiants d’acquérir les compétences nécessaires pour répondre aux nouveaux défis du marché.

«En plus de cela, il est important de prendre en compte le phénomène de la fuite des cerveaux, ou brain drain. De nombreux jeunes professionnels mauriciens partent à l’étranger en quête d’opportunités, soit pour exploiter de nouvelles filières soit pour poursuivre leur carrière.

Les propositions de Business Mauritius

La reprise post-pandémique et une nouvelle compréhension de l’impact de la technologie offrent une excellente occasion de repenser le rôle de l’éducation en tant que catalyseur du développement des talents et pilier de la croissance. À ce titre, dans son Budget Memo, Business Mauritius souhaite le développement d’une stratégie nationale ou d’une feuille de route pour le secteur de l’enseignement supérieur afin de faire connaître, construire et commercialiser Maurice comme une destination de choix pour les étudiants d’Afrique, de l’océan Indien et d’Asie qui veulent profiter d’une expérience éducative de classe mondiale. Cela avec un budget dédié à la stratégie de marketing ; un écosystème centré sur l’étudiant avec la demande de visa, le style de vie et les activités des étudiants, l’accès aux transports publics et aux institutions de santé, les options d’hébergement et la connectivité ; un cadre réglementaire favorable aux entreprises et des conseils clairs sur le bureau des étudiants internationaux, les changements de visas d’étudiants – traitement, allocations de travail à temps partiel de 20 heures par semaine et le 10-Year Renewable Young Professional Occupation Permit poststudy work visa – ainsi que Mauritius Africa Scholarship Scheme. Business Mauritius propose également de permettre aux établissements d’enseignement post-secondaire enregistrés par la HEC d’être détaxés aux fins de la TVA. L’organisation suggère aussi la remise ou déduction fiscale pour tous les investissements dans les technologies facilitant l’enseignement en ligne / à distance (développement de programmes, mise en place de plates-formes d’apprentissage, équipement, logiciels), la conception d’un programme pour attirer les doctorants internationaux qui souhaitent faire de la recherche dans les domaines prioritaires, avec une aide pour déposer des brevets localement, un forfait spécial d’accès à Internet pour tous les campus d’éducation et les étudiants inscrits. Business Mauritius demande également de revoir le programme d’études aux niveaux primaire et secondaire afin de doter les prochaines générations des compétences nécessaires au Future of Work et de répondre à la demande locale.

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