Business Magazine

2021 : l’Île Maurice entame sa conquête de l’espace

Dans quelques jours, la station au sol du Mauritius Research and Innovation Council (MRIC) devrait commencer à recevoir les premières images prises par le nanosatellite MIR-SAT 1 après que les premiers signaux ont été interceptés. Ce qui amorcerait en quelque sorte la dernière phase d’application de ce projet ambitieux et historique pour l’Île Maurice : envoi dans l’espace du premier satellite, assorti d’un renforcement de capacités et de connaissances dans les technologies satellitaires pour les ingénieurs du MRIC mais aussi une centaine d’étudiants mauriciens. Une odyssée spatiale qui augure des opportunités et bénéfices socio-économiques futurs pour Maurice, à l’instar d’une gestion efficace et durable de notre zone économique exclusive, et l’usage de nos propres données satellitaires dans l’élaboration de policy decisions.

Le déploiement de MIR-SAT 1 dans l’espace, le 22 juin dernier, a été un petit pas pour UNOOSA /JAXA, et un grand pas pour le MRIC et la République de Maurice. Trois ans, presque jour pour jour, après avoir été les gagnants du programme KIBO, le MRIC et ses chercheurs ont récolté ce jour-là les fruits d’une expérience enrichissante et exceptionnelle en tout point. En concevant, assemblant, testant, déployant dans l’espace ce satellite mauricien, les cinq chercheurs du MRIC et le spécialiste de radio amateur de la Mauritius Amateur Radio Society ont gagné en capacité empirique dans les technologies spatiales.

C’est après une tentative infructueuse en 2017 que l’exercice de rafler le prix pour bénéficier du programme KIBO est réactivé en 2018. Gagnante lors du troisième round à l’obtention de ce prix en juin 2018, l’équipe est depuis en apesanteur. Rencontrés à quelques jours de l’envoi du satellite mauricien MIR-SAT 1 dans l’espace, Faraaz Shamutally et Ziyaad Soreefan, ingénieurs aérospatiaux, Vickram Bissonauth, Project Manager, Koushul Narrain, Ground Station Implementation Specialist, et Kiran Tatoree, Satellite Antenna Training Manager, étaient partagés entre excitation et stress à l’idée de passer à la seconde étape de ce projet.

Après avoir travaillé sur le nanosatellite de dix mètres cubes, avec Jean Marc Momplé, technicien et membre de la Mauritius Amateur Radio Society, en collaboration avec Clyde Space (de Glasgow), et l’UNOOSA et JAXA, l’équipe a remis l’engin à cette dernière. Du centre spatial Kennedy (en Californie), l’engin a été transporté à bord de SpaceX Falcon 9 Rocket vers la station spatiale internationale. Déploiement du module Kibo le 22 juin, en orbite basse, par l’astronaute japonais Akihiko Hoshide. Le reste, c’est l’histoire.

Promouvoir l’innovation

«Je ne dis pas qu’avec ce satellite, on révolutionne la technologie satellitaire ; cela n’est d’ailleurs pas notre but. Nous ambitionnons plutôt d’utiliser ce projet à but éducationnel, et de promouvoir l’innovation à Maurice. Ce serait un tremplin pour développer un programme de travail dans le domaine spatial. Par exemple, mettre en place une space unit et puis également attirer des chercheurs dans ce domaine à Maurice pour qu’on puisse développer à des fins économiques», évoque le directeur exécutif du MRIC, le professeur Theeshan Bahorun.

À titre éducationnel, le premier axe du projet MIR-SAT 1 a été d’éveiller l’intérêt et la curiosité des jeunes sur les possibilités qu’offre la conquête de l’espace et des technologies permettant d’explorer les mille et un lieux de l’atmosphère terrestre. «Le but du programme KIBO est de s’y appuyer pour transférer la technologie et le savoir afin d’inciter les jeunes à intégrer des filières d’études que sont l’ingénierie, la science, les mathématiques», comme le rappelle Ziyaad Soreefan, chercheur et ingénieur aérospatial au MRIC. Rares sont les filières naissantes ou en prospection qui, dès le départ, créent ce pont entre l’académie et la recherche pour former la prochaine génération.

Comme l’explique Kiran Tatoree, chercheur au MRIC et responsable de la formation pour le projet MIR-SAT 1, en novembre et décembre 2020, environ une centaine d’élèves du cycle secondaire ont été formés aux spécificités du captage et de l’interprétation des données satellitaires. «On a aussi formé 15 professeurs et des étudiants de cinq universités à la construction d’une antenne satellitaire assez simple et le procédé pour capter avec des signaux des low orbiting satellites qui passent sur notre région.» Comme MIR-SAT 1 est un projet national, le MRIC envisage, nous dit Faraaz Shamutally, chercheur au MRIC et ingénieur aérospatial de formation, de partager des données : images, télémétrie, etc. au public et aux étudiants sur le site dédié au projet ;
spacemauritius.com.

Comme l’explique le Dr Vickram Bissonauth, Project Manager, des satellites de plus en plus petits sont fabriqués aujourd’hui en s’appuyant sur plus de logiciels et «des charges montées qui requièrent beaucoup d’ingénierie, de simulation par ordinateur, ce qui fait que nous n’avons pas besoin de gros laboratoires pour faire cela. D’ailleurs, à travers la simulation, mes collègues ingénieurs ont pu concevoir le design de notre nanosatellite».

Bien que centré sur les débouchés et aptitudes professionnelles qu’impulsent les nouvelles capacités spatiales et satellitaires, le projet MIR-SAT 1 affiche d’autres visées utilitaires. Certes, Maurice n’est pas le premier pays d’Afrique subsaharienne à tenter une percée dans l’espace et à sonder ses potentiels bénéfices socio-économiques. Le Kenya, le Ghana, le Rwanda, l’Ethiopie ou encore l’Afrique en Sud ont ouvert la voie pour le continent. N’empêche, terre à terre et passionnés, la bande de geeks derrière le projet ont fait le tour des opportunités et des enjeux, et se sont investis à mener à bien cette mission extra-terrestre.

De meilleures prévisions

«On a une zone économique exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés et pour faire un ‘sustainable management’ de cette zone, les technologies satellitaires aident. Souvent, on a des calamités naturelles : cyclones, vagues de froid… Elles peuvent aider à mieux établir les prévisions, nous préparer, et faire peut-être la mitigation des changements climatiques. Et aussi pour notre île même : les observations de l’espace nous permettent de faire du ‘sustainable planning’. Par exemple, nos régions côtières, le planning des constructions, de l’agriculture», explique le chef du projet MIR-SAT 1.

Bien qu’évènement exceptionnel, après 53 ans d’indépendance, MIR-SAT 1 n’est qu’un premier objet dans l’espace, nous dit le chef du projet MIR-SAT 1 et chercheur au MRIC. De par sa petite taille (10 mètres cubes) et sa simplicité, le nanosatellite ne pourra fournir des données qu’à «basse résolution». Après sa mise en orbite basse le 22 juin, MIR-SAT 1 émettra ses premières images en ce mois d‘août. Encore faut-il que MIR-SAT 1 ne rencontre aucune avarie au cours de cette phase du projet ! «L’espace est un endroit très hostile, il y a des extrêmes en termes de température et de radiation», rappelle Ziyaad Soreefan.

Que cette phase se solde comme prévu ou pas, le succès pour le MRIC et le pays est d’avoir fabriqué et lâché dans l’espace un engin spatial, pensent nos chercheurs. Ce qui a permis au MRIC et à Maurice d’ouvrir ses horizons. «En bénéficiant de l’aide de grandes agences comme l’UNOOSA et le JAXA, nous avons développé un space programme que nous déclinons sous quatre grands axes, à commencer, le capacity-building initié avec les écoles. On souhaiterait éventuellement qu’une de nos universités lance une faculté qui fournirait de la formation en space and satellite technologies. Deuxièmement, on pense consolider la collaboration avec les pays amis : Inde, Japon… qui souhaitent nous donner un coup de main pour continuer à apprendre. Troisièmement, pourquoi ne pas commencer à s’appesantir à attirer des start-up évoluant dans ces domaines – il y a des start-up à travers le monde dont le cœur de métier est le captage, l’interprétation et la vente des données obtenus en s’appuyant sur les systèmes satellitaires. L’on pourrait créer un business autour, et promouvoir des filières innovantes. Le dernier axe de notre projet spatial à long terme, et non des moindres, serait d’interpréter les données satellitaires pour mieux orienter les policy decisions. Il y a en ce moment beaucoup de satellites qui passent sur notre zone économique exclusive. On pense déjà à voir les possibilités de télécharger ces données, et les interpréter, pour aider le pays et son gouvernement à élaborer une gestion actuelle et plus efficace de notre territoire maritime», détaille le Dr Vickram Bissonauth.

 

FARAAZ SHAMUTALLY, ZIYAAD SOREEFAN, VICKRAM BISSONAUTH, KIRAN TATOREE, et KOUSHUL NARRAIN (de droite à gauche) LES CINQ CHERCHEURS DU MRIC, QUI EN COMPAGNIE DE JEAN MARC MOMPLÉ DE LA MAURITIUS AMATEUR RADIO SOCIETY, FIGURENT PARMI LES MAURICIENS À AVOIR TRAVAILLÉ SUR LE MIR-SAT 1.

 

Un œil dans l’espace

De 10 mètres cubes, pesant un kilo, MIR-SAT 1 orbite «à une altitude variante entre 410 et 420 kilomètres de la Terre». Doté d’une caméra de 1,3 mégapixel, il ne pourra cependant pas prendre des «cristal-clear images» à interpréter. «Mais à titre éducationnel, we are going to learn a lot from this. On va pouvoir, quand il passe sur notre région, communiquer avec lui. Pas seulement nous mais aussi les écoles que nous avons formées à cette fin», relèvent les chercheurs du MRIC.

 

Commandé à partir d’Ébène

Installée dans les locaux du MRIC, à la Cybercité d’Ébène, la station au sol assurera la communication avec le satellite, au moyen d’un logiciel spécifiquement conçu à cet effet. La réception des premières images du MIR-SAT 1 dans quelques jours sera l’occasion d’inaugurer officiellement cette station au sol. «Toutes les commandes : images, et télémétrie… se feront ici. Les deux fonctions principales de la station seront de réaliser des photos de 200 mètres carrés par 200 mètres carrés et l’’island to island communication’. Cette fonction va nous permettre d’envoyer des messages au satellite et le satellite relaie l’information à la terre, et ce, as and when scheduled. Tout radioamateur détenant une licence en bonne et due forme du régulateur concerné à Maurice ou ailleurs peut communiquer avec le satellite. Grâce aux données fournies par JAXA, on saura à quel moment le satellite passera sur Maurice, le taux d’ensoleillement en cours. Nous pourrions de ce fait aller encore plus loin dans notre démarche en faisant un planning pour une utilisation distincte du satellite au jour le jour : quand faire les photos, quand permettre aux autres de se connecter à au satellite», explique Faraaz Shamutally, qui avec son collègue, Ziyaad Soreefan également ingénieur aérospatial, seront en charge de la station au sol.

 

 

Dinesh Somanah (astrophysicien et directeur général, Université des Mascareignes)

«Le satellite pourra nous fournir des données utilisables pour un meilleur planning de notre territoire»

Comment accueillez-vous la mise en orbite réussie de MIR-SAT1 ?

C’est une excellente nouvelle pour l’île Maurice et félicitations à l’équipe, dont les jeunes ingénieurs du MRIC ainsi que son directeur, le professeur Theesan Bahorun.

Que représente pour Maurice cette première aventure dans l’espace ?

Le lancement du premier satellite mauricien en orbite est une série de mesures pour que l’île Maurice puisse suivre les tendances d’implémentation de technologies de pointe.

L’aventure de l’espace avait commencé avec le projet de construction d’un radiotélescope à Maurice entre 1990 et 2000, où on a fait une carte radio à 150 MHz du ciel visible de l’hémisphère Sud, ce qui n’avait jamais été fait avant (un radiotélescope observant l’univers en onde radio).

Avec le satellite mauricien, on pourra observer la terre du ciel, qui sera à l’opposé du fonctionnement du radiotélescope, qui fait l’inverse.

Quels pourraient être les bénéfices socio-économiques de maîtriser les technologies spatiales et satellitaires pour une petite économie insulaire comme Maurice ?

Le satellite mauricien pourra nous fournir des données qu’on pourra utiliser pour un meilleur planning de notre territoire (terre et mer).

Les nanosatellites peuvent être utilisés dans la communication, comme la surveillance des signaux radio émis de la Terre, et la télédétection, où les applications comprennent la cartographie de l’utilisation des terres, les prévisions météorologiques, l’étude de l’environnement, l’étude des risques naturels et l’exploration des ressources, parmi tant d’autres.

 

Joanna Seenayen

Exit mobile version