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Lapin blanc lapin rouge : Le grand saut de Rachel de Spéville-Mamet

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Lapin blanc lapin rouge : Le grand saut de Rachel de Spéville-Mamet | business-magazine.mu

On en parle

Par Martine Luchmun

Photos posées : Gilliane Soupe

Photos scène : Jean-Patrick Mamet

Une enveloppe scellée qu’elle ouvre sur scène, face au public. Dedans, un texte jamais publié d’un jeune auteur de Téhéran, Nassim Soleimanpour. C’est tout ce que sait le public venu nombreux et curieux. C’est tout ce que sait Rachel de Spéville-Mamet à ce moment-là.

Ses mains tremblent un peu. Elle est seule sur scène, baignée de lumière. À sa droite, une table avec deux verres d’eau et une fiole. À sa gauche, une échelle. Le décor est minimaliste. Il n’y a pas de metteur.e en scène. L’expérience peut commencer.

Lapin blanc lapin rouge est un texte faussement léger. Depuis le personnage du lapin blanc de Lewis Caroll consacré dans Alice aux pays des merveilles, le lapin est un héros ambivalent et surprenant. Ici, il est au cœur d’une intrigue aux résonnances contemporaines où liberté et conformisme se jouent de «l’actrice» autant que des spectateurs.

L’auteur, qui a refusé d’accomplir son service militaire, est privé de passeport, de liberté et de voyages. Pour voyager malgré tout, il écrit cette œuvre magistrale, traduite en vingt langues. Il impose lentement mais sûrement, son rythme, son univers, ses vrais/faux délires et prend le contrôle sur le temps, les personnages, «l’actrice» et les spectateurs.

 

Cette toute-puissance subie par la comédienne ainsi que par les spectateurs rend cette œuvre unique en son genre. Elle déstabilise, déclenche l’hilarité, joue avec les nerfs, ironise et évoque des émotions faussement banales. «Parfois, j’ai l’impression d’être en train de construire une arme à feu avec cette pièce, dit l’auteur absent, et ce n’est pas de ma faute si quelqu’un finit par se faire vraiment mal avec elle. A-t-on poursuivi l’inventeur de l’arme à feu ?»


Sur scène, Rachel de Spéville-Mamet n’est plus vraiment comédienne. Elle lit un texte. Ce texte n’exige aucune prouesse d’actrice, aucune esbroufe. Rachel ne joue pas. Elle s’incarne. Elle est elle-même, pieds nus, naturelle, désarmante. L’exercice est casse-gueule. Or, sans forcer, sans fioritures, sans filet, l’artiste fait de son immersion dans l’inconnu, une expérience vivante, surréaliste et vraie.

Tout au long, elle raconte une condition humaine consciente de sa finitude. Lapin blanc lapin rouge est aussi un texte philosophique puisque «vivre c’est choisir la voie la plus longue pour mourir».

Pendant

Rachel se confie

Sur son art : «Pendant longtemps, j’ai entretenu cet amour de loin, comme un rêve inaccessible, par peur, je crois. Peur de me lancer et de me fracasser contre un mur, peur de faire voler en éclats ce rêve bien protégé au fond de moi. Il m’aura fallu 25 ans pour avoir le courage de mes rêves de théâtre.»

Sur la scène : «J’aime la scène, j’aime le trac d’avant la scène, mais surtout ce que j’aime c’est tout le processus de création, les répétitions, la recherche du personnage, la découverte du texte, le partage qui s’opère dans les coulisses. (…) Pour moi être sur scène c’est vivre l’instant dans sa sincérité : on part de soi, on devient autre pour transmettre aux spectateurs les émotions d’un personnage, d’une histoire, d’un texte. Ce qui se joue, je ne sais pas, tout s’arrête pour laisser place à une nouvelle énergie.»

Sur Lapin blanc lapin rouge : «C’est une chance incroyable qui m’est offerte parce que l’exercice m’interpelle, que l’inconnu est attirant et qu’il faut toujours prendre des risques, se mettre en danger, vivre ! Je trouve le concept du flou artiste complètement génial ! C’est du théâtre expérimental, c’est une première pour moi.»

Sur la technique : «Malgré l’amour que j’ai pour le théâtre, je manquais cruellement de techniques. Jouer à parler et à se déplacer naturellement sur scène exige un travail corporel : c’est un exercice vocal et gestuel qui requiert de la pratique. Depuis ma rencontre avec Miselaine Duval dans Fami pa kontan, je n’ai jamais arrêté de jouer.

Un rôle rêvé : «Je n’ai pas un rôle ultime, mais j’aimerais bien tenter le théâtre de l’Absurde, registre que je connais moins.»

L’écriture et la mise en scène la tenteraient-elle ? «Oui absolument ! Pour ‘aller voir’ encore et toujours, essayer, quitte à me tromper mais toujours ‘aller voir’, comme le disait Jacques Brel. Je pense qu’il faut constamment se mettre en danger, avoir peur, avoir le trac ! Je déteste et j’adore avoir le trac.»


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