Business Magazine

Alexandre Sanchini – (CEO de Blue Ship Capital) – «Les Credit Linked Notes sont destinés aux investisseurs professionnels»

Quelle analyse portez-vous sur Maurice en matière d’investissement en ce moment ?

En période normale, l’économie mauricienne a une très forte croissance. C’est une économie qui s’est construite sur l’ouverture à travers le tourisme, l’exportation et qui fonctionne très bien lorsqu’elle est ouverte. Or, tout est fermé. En ce moment, ce n’est pas le meilleur endroit pour investir car on est dans une situa-tion qui est à l’opposée de celle dans laquelle l’économie mauricienne est supposée être. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, il est important pour les investisseurs de considérer les investissements en dehors de Maurice, dans des marchés plus ouverts et plus «normaux».

Que conseilleriez-vous aux investisseurs qui sont tentés de se tourner vers des solutions financières alternatives et parfois complexes en cette période de faible taux d’intérêt?

Nous sommes dans une période assez difficile à négocier pour les investisseurs, avec trois caractéristiques particulières : des taux d’intérêts très bas, un afflux de liquidités sur le marché et la crise sanitaire qui a pour conséquence une crise économique grave.

Les investissements sans risques tels les savings et les obligations de l’État ne rapportent presque plus rien. Il faut donc augmenter son niveau de risque pour être rémunéré. 

Néanmoins, si l’on n’est pas à l’aise avec le risque, on peut toujours conserver son argent sans l’investir. Une possibilité dans ces temps troubles est d’accepter de ne rien faire : au moins on est sûr de ne pas perdre, en attendant une période plus simple et éventuellement acheter des actifs à meilleur prix. Enfin, une solution consiste à acheter des actifs «protecteurs» contre l’inflation ou la faiblesse de la devise mauricienne. Une bonne option est de simplement détenir des dollars américains. Typiquement, les devises fortes comme le dollar américain protégeront l’investisseur mauricien contre la dépréciation de la roupie et éventuellement il pourra trouver des investissements plus intéressants en dollar. C’est aussi la même chose avec l’or qui est un actif ne rapportant rien en matière de rendement, mais le seul fait d’en détenir protège des taux d’intérêt bas et de la hausse de l’inflation. 

Pourtant, certains marchés semblent à la hausse même si l’économie est au ralenti. Qu’est-ce qui explique cela ?

Certains pensent que les marchés sont déconnectés de la vie réelle : c’est faux ! Les marchés sont un mécanisme simple d’offre et de demande. L’injection massive de capitaux dans les marchés financiers par les banques centrales fait monter les prix. La demande, de par la masse monétaire qui cherche à s’investir, est très forte en ce moment et se concentre sur quelques actifs, qui voient leurs prix monter même si, dans certains cas, leur qualité baisse. Vous payez en fait plus cher pour des entreprises qui sont en moins bonne santé qu’il y a quelques mois. Et pire, la forte création monétaire se traduira par de l’inflation ; la seule façon de se protéger de cette inflation est de détenir des actifs recherchés et des devises fortes. 

Cette situation est peut-être en train de créer une bulle sur les actions. D’ailleurs, depuis nous vivons dans une économie faite de diverses bulles un peu partout et il faut savoir naviguer entre. 

Qu’en est-il du marché obligataire comme stratégie d’investissement ?

Les obligations ont pendant longtemps été un investissement très défensif, avec un rendement fixe : un investissement simple et compréhensible, en particulier les obligations d’État. De nos jours, une obligation à 10 ans du gouvernement mauricien rapporte à peine plus de 2 % par an, ce qui est probablement plus faible que le niveau de l’inflation à long terme. En plus, qui pourra dire combien vaudra la roupie dans 10 ans ? Pour avoir des rendements, il faut donc choisir des obligations de sociétés, par essence plus risquées.

On prend certes plus de risques mais on peut avoir un rendement plus intéressant. L’investisseur mauricien peut soit choisir de prêter à des compagnies mauriciennes, soit changer ses roupies en d’autres devises et prêter à des entreprises internationales à travers des obligations étrangères. D’ailleurs, je pense qu’en ce moment prêter à des entreprises étrangères en dollars reste le meilleur choix.

Comment faire le bon choix ?

Chez Blue Ship Capital, nous choisissons pour nos clients des obligations de sociétés américaines de qualité correcte (notation B à BBB par exemple). Il est important de choisir des sociétés saines, dans un secteur porteur, qui ne feront pas faillite dans les prochaines années. Il est possible d’obtenir un rendement de 4 à 5 % par an, mais la sélection de ces obligations n’est pas simple : il est très important de se faire conseiller par un professionnel. Nous déconseillons fortement les obligations dans des devises qui ne sont pas solides, ainsi que les obligations de sociétés de pays émergents, ou actifs dans des secteurs risqués comme le pétrole.

Il faut en tout temps être à l’aise avec ses investissements, et éviter ce qu’on ne connaît pas ou ne comprend pas.

Dans l’actualité, il a été question de Credit Linked Note. Techniquement, qu’est-ce qui différencie une obligation d’entreprise d’un Credit Linked Note?

Une obligation est un simple titre de dette qu’une entreprise a envers l’investisseur. Elle est compréhensible, liquide, et en cas de problème (faillite), on peut toujours récupérer une partie de son investissement.

Une Credit Linked Note (CLN) est un instrument structuré complexe, à plusieurs niveaux de risques, qui est difficile à appréhender. Les Credit Linked Notes sont destinés aux investisseurs professionnels ou vraiment très expérimentés.

Au-delà de l’actualité, il serait bien d’encourager une notion de responsabilité ou de durabilité (sustainablilty) dans le milieu financier. Il convient pour les professionnels d’agir avec leur conscience, pour des services financiers constructifs à long terme, éthiques et positifs, tant en termes de retour sur investissement que d’alignement avec ses convictions plus profondes.

Il est important de choisir des sociétés saines, dans un secteur porteur, qui ne feront pas faillite dans les prochaines années.

Exit mobile version