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Interview Rencontre

Ashraf Esmael (Acting CEO de la Bramer Bank) – « Plus de 60 % des profits des banques proviennent de l’offshore »

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\Fraîchement nommé au poste d’Acting CEO, Ashraf Esmael ne cache pas son intention de hisser la Bramer Bank jusque dans le Top 5 du secteur bancaire en misant sur la diversification de ses prestations. Il répond, par ailleurs, aux récentes critiques émises contre les banquiers par la Banque de Maurice et la Competition Commission.

BUSINESSMAG. Le secteur bancaire local a jusqu’ici fait preuve de résilience en dépit de la crise économique. Quels sont les facteurs qui ont joué en notre faveur et serons-nous en mesure de faire montre de la même solidité si la situation ne se décantait pas dans la zone Euro ?

La grande dépendance des industries d’exportation mauriciennes des marchés européens nous place certainement dans une situation assez compliquée. Deux tiers de nos produits manufacturiers sont expédiés vers l’Europe. Une proportion similaire de nos touristes vient du Vieux Continent. La crise souveraine dans la zone Euro et le climat d’austérité qui en découle ne sont pas sans conséquence sur la confiance et le pouvoir d’achat du consommateur européen qui fait l’acquisition de nos produits et services.

L’économie mauricienne a, jusqu’ici, bien négocié la crise économique mondiale. Malgré une décélération de l’activité, nous n’avons pas connu des pertes d’emploi massives. La plupart des secteurs ont pu garder la tête hors de l’eau et ont généré des taux de croissance positifs. Malheureusement, la crise européenne ne donne pas de signe d’apaisement. Sans être pessimiste, je dirais qu’il faut toujours faire très attention.

BUSINESSMAG. La forte profitabilité des banques est jugée indécente par le Gouverneur de la Banque de Maurice qui juge qu’elles réalisent des profits exagérés sur les commissions et autres frais bancaires et rechignent à prendre des risques en accordant, comme elles auraient dû le faire, du crédit aux entreprises. Dans quelle mesure ces attaques sont-elles justifiées ?

Il faut comprendre le concept du retour sur le capital, les investissements ou les actifs que pratiquent toutes les entreprises. Le profit des banques est égal aux risques qu’elles prennent dans leurs opérations. Grosso modo, nos risques et nos profits sont dans la même proportion. Nous devons réaliser des profits pour sécuriser nos dépositaires qui nous apportent le capital nécessaire pour pouvoir prêter.

Plus de 60 % de ces profits proviennent de l’offshore. Si le secteur bancaire n’est pas profitable, nous pourrons faire face aux mêmes problèmes que ceux survenus en Angleterre ou aux États-Unis, où l’argent des contribuables a été utilisé pour aider les banques. Pour notre économie, il est préférable d’avoir des banques profitables que le contraire.

« Si le secteur bancaire n’est pas profitable, nous pourrons faire face aux mêmes problèmes que ceux survenus en Angleterre ou aux États- Unis, où l’argent des contribuables a été utilisé pour aider les banques. »

Cela dit, il y a une perception que le spread pratiqué à Maurice est très élevé. Nous pensons nous qu’à Maurice, le spread est très compétitif. Nous avons 20 banques dans le pays et le marché est compétitif. Le taux que nous avons et qui est publié tous les mois par la Banque de Maurice, est comparable à beaucoup de pays similaires. Nous ne pensons pas que le spread soit élevé à Maurice. Il est compétitif et similaire à d’autres pays.

Les PME ont souvent évoqué leurs difficultés à accéder au financement. Il faut savoir que le secteur bancaire a prêté environ Rs 20 milliards aux PME. Et il faut reconnaître aussi l’effort consenti par les banques pour l’introduction du SME Scheme. Pour bénéficier de ce plan, les conditions doivent être respectées. Un des plus gros problèmes rencontrés est la garantie car certaines petites entreprises arrivent difficilement à trouver les garanties nécessaires pour être éligibles à ce type de financement.

BUSINESSMAG. Le secteur bancaire local, du moins dans le «retail banking», est dominé par deux banques. La Bramer s’est fixé l’objectif de percer à terme dans le Top 5 du secteur bancaire. N’est-ce pas placer la barre un peu trop haut ?

Figurer dans le Top 5 des banques locales dans ce secteur n’est pas un pari impossible. Nous avons des ambitions et nous croyons fermement qu’avec nos collaborateurs, nous pouvons répondre à ce défi que nous nous sommes fixé. Nous avons déjà connu un développement important au fil des trois à quatre dernières années. Notre clientèle a augmenté de 200 %. Ce qui prouve que nos clients ont confiance en nous et qu’ils sont satisfaits de nos services.

Nous avons d’ailleurs mis l’accent sur la proximité et la facilité. En l’espace de trois ans, le nombre de nos succursales est passé de 6 à 19. Et celui de nos distributeurs automatiques de 6 à 24. Nous cherchons aujourd’hui un meilleur positionnement sur le marché local et travaillons déjà sur l’élaboration de nouveaux services à notre clientèle.

BUSINESSMAG. Quelles sont les cartes que la banque compte abattre pour s’imposer sur la place ?

Notre but est de satisfaire nos clients tout en mettant l’accent sur l’innovation et la recherche de créneaux encore plus sophistiqués. Grâce à notre nouvelle structure, nous sommes également en mesure de cibler une plus grande part du marché. Nous avons d’ailleurs un plan stratégique pour le développement de la Bramer Bank pour la période 2012-2014.

Pendant ces trois ans, nous voulons surtout concentrer nos efforts sur l’expansion vers de nouveaux marchés et l’exploitation de nouvelles filières. De plus, notre nouveau modèle de croissance comporte des services additionnels, notamment le crédit-bail et la micro-finance, qui existait déjà sous la Mauritius Leasing.

De plus, la Mauritius Leasing avait également des produits islamiques uniques qui font désormais partie de l’offre de la Bramer Bank. Nous continuerons à développer nos services dans ce domaine.

Le secteur des PME a également beaucoup d’importance à nos yeux. Ces trois dernières années, nous avons aussi développé nos services pour les PME qui représentent un marché important. Nous avons déjà de nombreux projets visant à renforcer cet axe de notre développement, tout en ciblant plus de corporate clients.

BUSINESSMAG. La Bramer joue essentiellement sur quatre fronts : «retail banking», «corporate banking», «private banking» et ses activités transfrontalières. Comment est réparti le portefeuille de la Bramer entre ces quatre pôles d’activités ?

Je pense qu’il n’est pas un secret que notre banque est principalement centrée sur le marché domestique pour le moment, que ce soit dans le retail banking, le corporate ou la micro-finance. Nous comptons diversifier nos activités dans le Segment B de l’industrie bancaire sans pour autant négliger notre activité locale.

Au fil des années, nous avons bâti une relation étroite avec la clientèle corporate. Avec la récente fusion, nous avons la possibilité de renforcer davantage cette relation tout en élargissant la palette de services que nous pouvons leur proposer.

Quant à l’activité transfrontalière, elle a connu une certaine baisse. Je pense qu’avec les nouveaux développements eu égard au traité de non double imposition avec l’Inde, à savoir que l’introduction des General Anti-Avoidance Rules devrait être reportée de trois ans, nous avons quand même l’opportunité de capitaliser davantage sur les activités dans ce segment.

BUSINESSMAG. La Bramer a fusionné avec la Mauritius Leasing en début d’année en vue d’élargir la gamme de ses prestations de crédit. Quels sont les premiers résultats de l’intégration de ces deux entités ?

La fusion de Bramer Bank avec la Mauritius Leasing faisait partie d’une stratégie visant une meilleure synergie des ressources et des compétences pour ensuite développer plus d’efficacité opérationnelle. La Bramer Bank est désormais une entité plus robuste avec un capital plus élargi, ayant passé de Rs 600 millions à Rs 900 millions.

Cette fusion nous a permis d’offrir plus de services à notre clientèle, davantage de proximité avec la population, mais aussi une expansion qui ira au-delà du territoire mauricien. Déjà, nos compétences dans le secteur bancaire islamique et le crédit-bail sont en demande à l’étranger, plus particulièrement sur le continent africain. Nous comptons capitaliser sur ces opportunités pour étendre nos activités.

Notre fusion nous a aussi permis d’étoffer notre personnel. La banque dispose maintenant d’un management plus solide avec des compétences très élargies. Nous avons aussi profité de cette fusion pour offrir à nos collaborateurs des opportunités de croissance au niveau personnel et professionnel. Cela ne peut que profiter à notre banque et à nos clients.

BUSINESSMAG. Comment la Bramer Bank accueille-t-elle le rapport de la Competition Commission sur les banques ?

Il faut comprendre que l’enquête de la Competition Commission tourne autour d’un éventuel positionnement monopolistique des banques offrant des produits d’assurance à leurs clients. Il faut noter que même si nous proposons une cotation d’une compagnie d’assurances à un client, ce dernier est libre de décider s’il trouve la proposition acceptable. Sinon, il peut toujours « shop around ».

Il faut aussi souligner qu’à aucun moment cette option d’assurance n’est imposée au client. D’ailleurs, pour toute demande, les clients sont appelés à confirmer, par écrit, qu’ils ont eu la possibilité de faire leur choix sur la couverture d’assurance contractée. Nous sommes d’avis qu’il n’y a pas de violation des dispositions de la Competition Act et nos explications ont déjà été communiquées à la Competition Commission. Même si notre position reste inchangée, nous sommes ouverts aux différentes lignes directrices et propositions de la Commission afin d’offrir des options qui permettraient à nos clients de prendre la décision qui leur convient.

BUSINESSMAG. Vous-même, vous étiez auparavant à la tête de la Mauritius Leasing, avant de vous retrouver aux fonctions de «Chief Operating Officer» de la Bramer suivant la fusion, puis à celle d’«Acting CEO» de la banque après le départ de Jairaj Soonoo. Comment vous êtes-vous adapté à ces changements ?

Je pense que ces affectations ont naturellement suivi le cours des événements au niveau de la Mauritius Leasing et de la Bramer Bank. Les opérations de la Mauritius Leasing étaient déjà celles d’une institution financière quasi-bancaire qui était supervisée par la Banque de Maurice et la Bourse de Maurice.

La fusion des deux institutions en mai 2012 et mon affectation au poste d’Acting Chief Operating Officer de la banque nous ont permis d’anticiper les changements éventuels au niveau du leadership de la banque et cela cadre parfaitement avec la politique de succession planning au niveau de notre institution.

Fort de mes nouvelles responsabilités, je me concentrerai sur le développement de nouveaux créneaux d’activités, la qualité du service et le développement du capital humain de notre banque pour nous permettre de répondre aux attentes de tous les stakeholders.

BUSINESSMAG. La Bramer a fait son entrée en Bourse début mai. Quel est votre bilan après quatre mois de listing ?

Notre introduction en Bourse a été accueillie favorablement par le public investisseur et les actionnaires qui étaient déjà avec notre société depuis la cotation de la Mauritius Leasing en 2004 et ont bénéficié largement de cette introduction sous la bannière de la Bramer Bank.

Cela dit, le marché en général a connu un net recul ces dernières semaines. Ce qui est principalement dû aux incertitudes qui prévalent au niveau mondial, affectant ainsi les perspectives de croissance à l’échelle de notre économie. Ce recul n’a pas épargné les indices boursiers.

« La Bramer Bank est désormais une entité plus robuste avec un capital plus élargi, ayant passé de Rs 600 millions à Rs 900 millions. »

BUSINESSMAG. Parlons économie. Le Budget sera présenté dans deux mois avec, en toile de fond, une croissance révisée à 3,6 % et une détérioration de la situation dans la zone Euro. Jusqu’ici, le soutien aux entreprises s’est résumé à des ajustements monétaires cosmétiques pour faire déprécier la roupie. Avons-nous d’autres options et quelles doivent être nos priorités ?

Selon les dernières prévisions de Statistics Mauritius, l’économie mauricienne va connaître une progression de 3,6 % en 2012, soit un taux inférieur à notre trend growth. Certaines grosses industries, à l’instar du textile-habillement et la construction, vont connaître une stagnation. D’autres, comme l’hôtellerie, vont générer au mieux une progression très molle, ce qui est la conséquence directe de notre grande dépendance des marchés européens.

Maurice a besoin d’une stratégie échelonnée à moyen terme. Comme le disait le ministre des Finances, il nous faut réduire le middle income gap. Pour ce faire, il faudrait « rediriger » nos exportations vers de nouveaux marchés, à savoir les économies émergentes. Par ailleurs, une attention particulière devra être accordée au continent africain. Ces nouveaux axes nous permettront de mieux aborder le tournant 2013 même si la situation dans la zone Euro ne s’améliore pas. D’ailleurs, certains de nos clients opérant dans le secteur textile ont déjà commencé à diversifier leurs exportations vers l’Afrique du Sud et cela commence à porter des fruits.

Il est réconfortant de constater qu’il n’y a pas de panique, même s’il y a un certain attentisme dans les affaires. Il est important de garder le moral. Le facteur psychologique est primordial. De même que la qualité des politiques d’intervention pour réorienter l’économie. Si les initiatives du gouvernement rassurent les opérateurs, ces derniers vont continuer à développer leurs business même si la situation ne s’améliore pas de sitôt en Europe.

Nous devons toutefois garder un oeil attentif sur ce qui se passe en Europe car les politiques de diversification des marchés, notamment vers l’Asie et l’Afrique ne vont pas donner des résultats du jour au lendemain.

BUSINESSMAG. Quelles sont vos prévisions pour le secteur financier et l’économie mauricienne en général en 2013 ?

2013 promet d’être une année très rude pour notre petite économie, cela dans un contexte global d’incertitude. Il nous faudra rester très vigilants.

Malgré cela, nous restons optimistes quant à une relance de l’économie qui dépendra certainement des actions au niveau macro- économique qu’annoncera le ministre des Finances dans son prochain Budget et aussi de certaines actions entreprises par nos opérateurs en matière de diversification des marchés vers l’Asie et le continent africain.

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