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Interview Rencontre

Deshmuk Kowlessur – L’ouverture fait partie du processus de compétition

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Deshmuk Kowlessur - L’ouverture fait partie du processus de compétition | business-magazine.mu

Un nouveau ministre du Commerce et de la Protection des Consommateurs s’est récemment installé. Quels sont vos souhaits pour la bonne marche du commerce local ?

Certes, on est concerné par le commerce, mais notre domaine d’intervention demeure plus large. Elle concerne les industries de manière générale. Notre rôle porte sur l’application de la Competition Act. Il se rapporte aux entreprises pour la détection de pratiques anticoncurrentielles sur le marché, ou des règlements au niveau de l’État qui ne sont pas en faveur de la compétition. C’est à ce niveau qu’on interagit avec l’État. Il peut y avoir des pratiques anticoncurrentielles qui peuvent concerner d’autres ministères. En somme, on n’est pas mandaté pour assurer la protection des consommateurs, mais pour protéger le processus de compétition.

Faire respecter les règles de compétition n’est-il pas intiment lié à la protection des consommateurs ?

Quand on fait en sorte de protéger le processus de compétition, on fait en sorte que les marchés travaillent de manière optimale et, de cette manière, effectivement, on est intiment lié au bien-être des consommateurs.

Le ministère du Commerce a été séparé de celui de l’Industrie. En tant que régulateur des bonnes pratiques concurrentielles, trouvez-vous que c’est une bonne chose ?

La façon dont le gouvernement organise ses services et ministères dépend de la stratégie qu’il veut mettre en œuvre et des moyens qu’il envisage de déployer. Je ne suis pas au courant de la raison pour laquelle il a séparé les ministères du Commerce et de l’Industrie, mais at face value, c’est une bonne chose. Avoir un ministère qui ne s’occupe que de l’Industrie et des PME permet de se concentrer sur un tissu industriel commun, et c’est tout un réseau car les petites entreprises travaillent avec les grosses.

On peut dire qu’auparavant, une séparation artificielle existait du point de vue de la gouvernance, alors qu’aujourd’hui mettre ces portefeuilles sous le même chapeau – si je devine bien les intentions du Premier ministre – vise à stimuler ce secteur là ; eu égard au fait que le secteur industriel subit au cours des années un certain déclin. Permettre aux mêmes ministères de prendre les décisions et les politiques adéquates pour réguler ce secteur est une bonne chose car le commerce est quelque part de nature différente par rapport à la filière manufacturière.

Vous disiez, lors de la célébration des 10 ans de la Competition Commission, fin 2019, que votre agence entend cibler les cas prioritaires de pratiques anticoncurrentielles…

En fait, notre objectif, par cette décision stratégique, est de décliner la façon dont on souhaite opérer et consolider notre impact sur l’économie. Comme toute organisation, on dispose des ressources dont on dispose, foncièrement limitées, que ce soit en termes de budget, de ressources humaines etc. Donc, il faut que l’on fasse du mieux possible avec les moyens de bord pour avoir l’impact le plus grand.

C’est la raison pour laquelle on s’est restructuré trois ans plus tôt. J’ai réorganisé les services en interne, de sorte qu’on ait des divisions séparées s’occupant des abus de monopole, des mergers et acquisitions, et des cartels. Notre champ d’action opère autour de ces trois grands pôles et cette spécialisation nous permet d’avoir un plus grand focus. Il y a des objectifs qui sont propres à chaque groupe et division. Ils ont des objectifs et ont besoin de venir avec des résultats à la fin de l’année pour démontrer ce qu’on a pu faire dans chacun des domaines.

Cela dit, on doit mettre une échelle de priorités. On dispose d’un certain nombre de plaintes et de cas, et on ne peut pas tous les traiter de la même manière, sans nous demander lesquels sont plus importants pour nous. Ceux qui sont plus importants pour nous sont les cas qui touchent le plus grand nombre d’individus.

Quel que soit le secteur ou le type de pratique anticoncurrentielle concerné, nous considérons au niveau de la Competition Commission les cas qui nous sont référés, ou que l’on détecte, au cas par cas. On définit le niveau de priorité qu’il faut accorder à chacun d’eux. La stratégie de cibler les cas prioritaires vient de cette réflexion : celle d’avoir une structure, une méthode d’opération en adéquation avec des objectifs d’optimisation de nos ressources, tout cela dans le but d’avoir le plus d’impact possible.

À ce jour, quels sont les types de pratiques anticoncurrentielles pour lesquels on se tourne le plus souvent vers vous ?

La plupart des doléances proviennent de deux grandes familles, c’est-à-dire les cartels et les abus de monopoles. Pour tout vous dire, tous les cas dénoncés ne sont pas couverts par notre loi. On réfère donc parfois certains cas à l’ICAC ou alors on retient un droit de regard dans le traitement de certains cas.

Les cartels sont peut-être bien les plus néfastes des pratiques anticoncurrentielles, et également les plus compliquées à détecter. Dans les cartels, les entreprises d’un même secteur se mettent d’accord, soit pour augmenter les prix soit pour ne pas les abaisser, et ainsi diminuer le niveau de concurrence sur un marché. Ce, au détriment des compétiteurs car quand il y a compétition, il y a plus de rivalité, donc plus de produits et services. Il y a une exigence pour l’amélioration des offres, donc une volonté d’innovation continue ; cela profite à l’économie. Mais quand il a cartel, il y a moins de ces facteurs, et ils écrèment le marché.

Bien des conglomérats ont des activités dominantes dans toute la chaîne de valeur de certains secteurs d’activités. Ce qui réduit le niveau de compétition ou l’entrée de structures nouvelles ou plus restreintes sur le marché…

Notre mandat se fonde sur les principes de la compétition, et tant qu’il n’y a pas d’infraction aux règles de la bonne concurrence, le processus de compétition est protégé. Dans cette conjoncture, on peut retrouver une petite entreprise en compétition avec une grosse entreprise. Rien ne prédispose qu’une grosse structure soit nécessairement privilégiée, en termes d’avantages concurrentiels de son offre, par rapport à une plus petite structure.

Il est vrai qu’une grosse structure dispose de plus de moyens, d’intelligence et d’agressivité ; c’est un peu dans la nature des choses. Ce que vous dites me rappelle un secteur d’activité en particulier, que l’on a étudié il y a une année ou deux, et qui est resté unnoticed par les médias. C’est le cas d’une grosse entreprise financière mauricienne qui fournit des facilités de hire purchase à des revendeurs. Les paramètres et paliers de discount qui étaient pratiqués par ce fournisseur engagé dans le hire purchase, à destination des commerçants se prévalant de ses services, était en train de distort la compétition. Le modus operandi privilégiait les gros revendeurs et distributeurs.

C’est ainsi que les petits revendeurs dans les villages, dans les villes, les family business, etc. qui offrent un service de proximité, et parfois à prix égal, qui offrent même un meilleur service, étaient désavantagés. On est intervenu, et on s’est assuré qu’il n’y ait pas de distorsion dans ce marché-là. Si on n’était pas intervenu, il y aurait pu avoir, dans le temps, la disparition de petits et moyens revendeurs. 

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On a pris les dispositions qu’il fallait car les revendeurs disaient qu’il ne pouvait pas compete. Et ce n’est pas parce que c’est une grosse entreprise qu’on a fermé les yeux sur cette pratique.

Les grosses entreprises apportent un certain progrès pour l’économie ; elles investissent, ont des moyens, et sont importantes dans notre fabrique économique.

Les actions que vous prenez contre les contrevenants ont-elles un pouvoir de dissuasion ?

Différentes méthodes sont employées pour aborder cette problématique et s’assurer que la loi de la compétition est en train d’être appliquée. Il y a, en premier lieu, l’application de la loi, ensuite le plaidoyer de la loi, puis un moyen qui pour l’instant est peu déployé : le market research.

Définitivement, l’application de la loi a un impact sur le marché, un cas de cartel équivaut à une amende, et une amende peut se chiffrer à plusieurs dizaines de millions, ce qui fait réfléchir les entreprises qui envisagent de se cartelliser. Selon les termes de la loi, le montant des amendes peut être tellement lourd qu’il peut entraîner la disparition de l’entreprise en infraction.

Pour les monopoles, on a le pouvoir d’arrêter la pratique anticoncurrentielle, ce qui agit comme un facteur dissuasif, et permet aux entreprises de trouver d’autres alternatives pour opérer en conformité avec les dispositions de la loi.

Au niveau des acquisitions, on intervient pour les prévenir que le processus ne doit pas faire l’objet d’abus. Si une fusion a eu lieu, et que l’on constate un impact négatif sur le marché, on peut ordonner une séparation des entités.

Ce n’est jamais encore arrivé, mais on dispose de ce pouvoir-là. Ce qui nous amène au deuxième axe de notre intervention : le plaidoyer de la loi. Cet axe de notre intervention nous demande d’aller à la rencontre des entreprises et des personnes pour les informer en amont des dispositions en matière de bonnes pratiques concurrentielles.  

Par manque de moyens, on ne fait pas suffisamment d’études de marché. C’est un dispositif sur lequel on entend miser à l’avenir. On a quand même réalisé quelques études de marché, et certaines sont en cours. En notre capacité de membre, et présentement de co-chair, de l’African Competition Forum, on effectue des études de marché dans une perspective plus large, voire régionale.

Dernièrement, on a publié une étude de marché sur la compétition dans le secteur de la construction dans certains pays d’Afrique, dont Maurice.

Certaines puissances mondiales ont de plus en plus recours au protectionnisme. Est-ce la voie à suivre, notamment dans certains secteurs d’activités, pour Maurice ?

On a adhéré à des conventions internationales et on ne peut pas recourir au protectionnisme. Le principe même de la compétition veut que le marché soit ouvert, libre et qu’il y ait moins de barrières anticoncurrentielles. Les effets réels de la globalisation forgent l’accès des consommateurs du monde entier à des produits de très bonne qualité à des prix compétitifs, à l’exemple des Smartphones qui sont aujourd’hui à la portée de beaucoup plus d’individus.

Il peut y avoir ou avoir eu des tentatives de recours au protectionnisme, mais estce que cela a marché ?

Je ne le crois pas ! On voit aux États-Unis, par exemple, que des entreprises ont fermé, que des secteurs ont migré vers d’autres pays. Peut-on faire revenir ces entreprises aujourd’hui ? Peut-être pas. Au niveau de Maurice, on fait partie des pays de la SADC, du COMESA ; ce sont des forces en mouvement. Aujourd’hui, on a un mouvement de commerce intra-africain qui se développe de plus en plus, il y a la montée de l’industrialisation, et appliquer présentement des taxes tarifaires desservirait ces desseins.

Encore une fois, on protège la compétition, mais pas les compétiteurs. Certains compétiteurs remplacent d’autres parce qu’ils sont plus efficaces, et ce sont les consommateurs qui se retrouvent gagnants. L’ouverture fait partie de ce processus de compétition. Si vous n’êtes pas compétitif, vous êtes condamnés. La solution estil de protéger artificiellement une entreprise qui ne peut pas compete efficacement ? Non. Mais je sais que dans le régime du COMESA, il y a des modes d’application pour des exceptions qui donneront le temps aux entreprises et aux marchés qui éprouvent des difficultés d’être plus compétitifs, de se moderniser, de revoir leurs stratégies, entre autres.

Vos objectifs pour les dix autres années à venir ?

Comme je l’ai dit lors de la conférence pour les dix ans de l’agence, une entreprise comme la nôtre prend une bonne dizaine d’années pour atteindre sa vitesse de croisière, tester la loi, comprendre toutes ses complexités et limitations, de gear up en termes de capacité et de plaidoyer ; de renforcement de capacités. Je pense qu’on a réussi cette étape-là ; je crois qu’aujourd’hui on est respecté dans le monde économique aussi bien qu’à l’international. Le professeur Richard Wish, une sommité mondiale, disait dans le cadre de la célébration de nos dix ans, qu’il y a deux pays émergents pour lesquels il a beaucoup de respect en matière d’application de la loi de la compétition : en premier lieu Singapour, puis Maurice.

On a redéfini pour les dix ans à venir notre mission et notre vision. Après dix ans, la loi mérite également une révision : on a vu où cela marchait bien, où il y avait des carences, où il y avait des zones grises. Donc, on est en train de travailler sur un certain renforcement de la loi. C’est cela notre prochaine étape pour cette année 2020, et on espère faire passer cette loi qui nous permettra d’être orienté par une loi plus robuste.

Le premier volet du renforcement de cette loi est de rendre les notifications dans des cas de mergers obligatoires. Qu’on nous demande conseil afin que la Competition Commission puisse avoir une intervention plus grande.

Le deuxième volet de cette révision est d’avoir la capacité de sanctionner à leur juste valeur les abus de monopole. Pour l’instant, il n’y a pas d’amendes. Je pense que des amendes pourraient agir comme un facteur dissuasif, et cela nous permettrait de nous aligner sur les best practices mondiaux.

Le troisième volet, et volet majeur de cette révision, est de se pencher vers des arrangements, dans des cas de monopole ou de cartel, pour régler les problèmes le plus efficace et le plus rapidement possible.

On doit également réfléchir à la manière dont les nouvelles technologies sont en train de changer la dynamique des marchés et disrupt les pratiques concurrentielles. L’utilisation de ces outils présente aujourd’hui un défi en matière de compétition, et il est de notre devoir de trouver des solutions pour composer avec.

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