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Dr Drishty Ramdenee : «L’agro-industrie assure la sécurité alimentaire, la création d’emplois et le maintien de la stabilité socio-économique du pays»

Dr Drishty Ramdenee(Directeur, Emerging & Services Sector à l’EDB)

 

L’Economic Development Board joue un rôle prépondérant dans le développement du secteur de l’agro-industrie. Outre sa participation dans le marketing des produits mauriciens, il est un facilitateur d’investissement permettant l’épanouissement économique du secteur. Pour le Dr Drishtysingh Ramdenee, directeur, Emerging & Services Sector à l’EDB, l’industrie agricole n’a pas encore déployé son plein potentiel sur le territoire mauricien. Mais les différentes initiatives publiques et privées tendent à la rendre plus résiliente.

L’agro-industrie est non seulement un pilier, mais également un des premiers secteurs de l’économie mauricienne. Tout a commencé avec les petites plantations de fruits et légumes durant l’ère coloniale. Par la suite, on a assisté aux débuts de la plantation de la canne jusqu’à son industrialisation. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’évolution de ce secteur et de sa participation dans l’économie mauricienne ?

L’agro-industrie a toujours été l’un des piliers de l’économie mauricienne. Bien que le secteur ne représente aujourd’hui que 3,7 % du PIB, sa contribution au niveau national ne peut être sous-estimée. Il aide non seulement à subvenir aux besoins alimentaires de la population, mais contribue aussi à plusieurs autres secteurs comme la production énergétique ou encore le tourisme, entre autres.

L’agro-industrie permet de promouvoir la sécurité alimentaire, la création d’emplois et le maintien de la stabilité socio-économique du pays. Au fil des années, ce secteur a connu des changements profonds en ligne avec la transformation de l’industrie sucrière en industrie cannière. Par ailleurs, l’horticulture, les fruits et légumes, de même qu’une multitude d’aliments transformés sont maintenant produits localement.

Afin d’assurer la pérennité de l’agro-industrie, il est important d’attirer de nouveaux agriculteurs désireux d’utiliser des techniques et des pratiques agricoles innovantes. C’est ainsi que le smart Agri-Hub compte développer l’agro-business en adoptant les bonnes pratiques agricoles.

L’avenir de Maurice requiert le développement de nouveaux secteurs. Ainsi, l’utilisation de plantes médicinales indigènes dans la production de nutraceutiques et de produits pharmaceutiques représente un créneau intéressant sur lequel l’Economic Development Board a travaillé en étroite collaboration avec les opérateurs économiques.

Malgré plusieurs crises, le secteur cannier a toujours su se relever. On peut citer en exemple la crise de la betterave durant l’époque coloniale ou encore la fin du Protocole Sucre dans les années 2000. Quelles sont les raisons de cette résilience ?

Le secteur sucrier a connu une importante transformation depuis la fin du Protocole Sucre. La gamme de produits et l’offre mauricienne se sont étoffées avec les sucres raffinés et spéciaux, l’alcool et le rhum. La canne à sucre a un impact important sur le secteur de l’énergie, l’environnement et l’exportation.

L’industrie cannière fait face à de nombreux défis qu’elle surmonte grâce à une collaboration étroite entre le secteur public et le secteur privé. Des investissements considérables ont été nécessaires pour moderniser la production et améliorer l’efficience du secteur. Le gouvernement a mis en place plusieurs mesures novatrices, telles que la mise en place du Biomass Framework et du «Cane Replantation Revolving Fund» par la Banque de Développement, afin d’octroyer des prêts au taux préférentiel de 2,5 % par an. La rémunération de la bagasse aidera non seulement l’industrie de la canne à atteindre son objectif de produire 60 % de son énergie à partir de sources renouvelables d’ici à 2030, mais aussi de retenir les planteurs en activité dans ce secteur.

Par ailleurs, les développements de sucres certifiés Fairtrade ou Bonsucro ont permis de repositionner le sucre mauricien sur certains marchés de niche. Le gouvernement offre une subvention équivalente à 50 % des coûts liés à la certification, aux tests et à l’accréditation Bonsucro. Malgré une baisse du prix entre 2016 et 2022, la stratégie de symbiose entre la politique publique et privée sur la diversification et l’innovation a garanti la soutenabilité et la résilience malgré les effets exogènes négatifs.

Le secteur cannier s’est classifié en plusieurs segments, notamment, sucre, énergie, valorisation de la bagasse, sucres spéciaux et rhum. Le rhum a d’ailleurs connu une augmentation des exportations de 608 % depuis 2010. De plus, deux produits sucriers innovants ont été introduits. Le premier est enrichi d’antioxydants, et le second a pour principale caractéristique un index glycémique bas. Ces produits de niche permettront de garantir la pérennité de nos produits sur le marché international malgré une compétition féroce. Ils viendront également bonifier nos efforts en termes de pénétration de nouveaux marchés, stratégie déjà soutenue par la signature d’accords commerciaux préférentiels.

Depuis des années, Maurice compte énormément sur ses planteurs. D’ailleurs, ces derniers ont bien évolué, notamment d’un point de vue technique (agriculture basique à la culture hydroponique), d’exportation (l’on parle depuis récemment de l’exportation de jaque) ou encore d’industrie (agriculture 4.0 avec la technologie). Dans le concret, comment le visage de l’agriculture est-il en train d’évoluer ?

La production agricole est gérée par une minorité de ‘gros planteurs’ ainsi que quelque 8 000 petits agriculteurs. Le gouvernement veut moderniser le secteur avec l’adoption de nouvelles technologies ; améliorer la sécurité des aliments ; adopter de bonnes pratiques agricoles et l’agriculture verte ; et créer de la valeur ajoutée. Le Sheltered Farming Scheme encourage les agriculteurs à basculer de la culture traditionnelle en plein champ à un système agricole protégé afin d’atténuer les effets des conditions climatiques défavorables ; d’améliorer la capacité de production et la qualité des produits agricoles. Aujourd’hui, de nombreux planteurs sont engagés dans la culture sous serre, la culture hydroponique et l’aquaponie.

Le gouvernement a introduit une panoplie de programmes et d’incitations fiscales pour développer le secteur et promouvoir les activités à valeur ajoutée. Parmi, l’«Integrated Modern Agricultural Morcellement Scheme» qui encourage les propriétaires de terres et promoteurs à structurer leurs terres en morcellement agricole et développer des installations résidentielles/commerciales. De plus, les planteurs bénéficient d’exonérations fiscales et des droits d’enregistrement.

Le Katapult Mauritius Accelerator du Ferney Agri Hub est un projet novateur qui pourrait révolutionner la production et la distribution d’aliments en accueillant des start-up internationales travaillant sur un large éventail de solutions alimentaires et agri-tech. Ces stratégies visant à l’adoption de méthodes innovantes portent déjà leurs fruits : plusieurs agri-preneurs sont en mode de production dans des Smart cities mais aussi dans les morcellements agricoles. Le nombre de serres agricoles a connu une augmentation soutenue, et l’usage de conteneurs utilisant des technologies 4.0 et l’intelligence artificielle est une réalité, entre autres.

De plus, de par la qualité des produits émanant de ces nouveaux agri-preneurs, nous notons la mise en place d’écosystèmes de chaînes de valeur entre des producteurs locaux, des maraîchers locaux et les grands consommateurs comme les hôtels de la région.

L’un des débats les plus importants dans le monde d’aujourd’hui porte sur l’autosuffisance alimentaire. Avec un taux d’autosuffisance global inférieur à 30 %, Maurice est un importateur net de produits alimentaires. En raison de sa taille limitée et de l’absence d’économie d’échelle, Maurice importe une grande partie de ses besoins alimentaires essentiels. Chiffres à l’appui, comment pouvons-nous inverser cette tendance ?

L’autosuffisance alimentaire est l’une des préoccupations majeures du gouvernement. Cependant, aborder la stratégie de substitution des importations nécessite une approche radicale innovante et collaborative. Afin d’assurer un approvisionnement régulier et continu de produits frais à la chaîne de distribution alimentaire et un flux de revenus pour les agriculteurs, nous devons faciliter l’intégration des agriculteurs dans l’écosystème mauricien.

Nous pouvons réduire les risques de marché et les coûts de transaction des agriculteurs en améliorant la dissémination des données pour mieux prévoir l’offre par rapport à la demande du marché. Nous devons également encourager les liens en aval avec d’autres secteurs, par exemple aider les PME à approvisionner le secteur du tourisme en fruits et légumes ou à développer l’agrotourisme.

Le gouvernement a mis en place une ‘banque de terres digitale’ que les Mauriciens peuvent consulter en vue de louer des terres pour la production alimentaire.

L’agro-industrie est confrontée à deux importants défis. Le premier est l’exportation des produits vers d’autres marchés. Le second porte sur le besoin de convaincre la jeune génération que le travail de la terre est un métier d’avenir. Quelles sont vos propositions afin de répondre à ces problématiques ?

D’une part, l’augmentation de la population mondiale et la croissance du pouvoir d’achat ont fait croître la demande mondiale pour des produits agricoles de qualité, offrant ainsi de nouvelles opportunités de marché aux agriculteurs. D’autre part, les accords de partenariat commerciaux avec l’Inde et la Chine offrent aussi de nouvelles perspectives pour les sucres spéciaux et autres produits agroalimentaires. Cependant, il est indéniable que les acteurs de l’industrie agricole vieillissent. Il y a un urgent besoin de renouvellement. La jeune génération doit s’impliquer davantage dans l’agriculture mais elle ne conçoit pas toujours l’agriculture comme un secteur lucratif. La satisfaction des besoins alimentaires mondiaux de manière durable dépendra de l’adoption et de l’acceptation de pratiques agricoles durables par les jeunes. Aujourd’hui, les jeunes à Maurice sont encouragés à devenir des
entrepreneurs en créant leur propre entreprise agroalimentaire.

Nombre de mesures incitatives ont été mises en place pour sensibiliser et encourager les jeunes à endosser un avenir dans le domaine agricole. Pour ne citer que quelques exemples : la mise en place d’incubateurs avec un focus sur le domaine agricole, des structures de R&D et des accompagnements financiers pour des pôles de recherche et d’expertise dans le domaine agricole, des facilités financières pour l’acquisition d’équipements spécialisés, du support technique et financier pour la mise en place de serres, entre autres.

Comment se développent les segments de l’agriculture raisonnée et de l’agriculture biologique ?

Conscient des risques associés à l’utilisation de produits chimiques et de la demande croissante pour des aliments sains, le gouvernement veut encourager une production alimentaire durable. Le Mauritius Food Standards Agency Bill a été introduit au Parlement; il prévoit la création d’une Mauritius Food Standards Agency (MFSA) dont l’objectif est d’harmoniser le contrôle des aliments tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Le concept d’agriculture biologique est nouveau pour la plupart des agriculteurs traditionnels de Maurice. Le passage à la production biologique se fera de manière progressive. Les agriculteurs remplacent progressivement les engrais et pesticides chimiques par des équivalents bio. Il y a déjà quelques initiatives en cours de finalisation comme le Bio Farming, un programme lancé pour soutenir la vision d’une île Maurice propre. Ce programme englobe le projet de Smart agriculture qui prône une agriculture raisonnée, permettant la conversion en douceur des cultures conventionnelles vers l’agriculture organique. Le gouvernement a aussi mis en œuvre un programme de subvention du compost pour encourager les planteurs à se passer de l’utilisation d’engrais chimiques.

Nous sommes heureux de constater que ces démarches de sensibilisation et d’accompagnement ont permis la création de plusieurs agri-entrepreneurs utilisant des techniques dites de l’agriculture bio et raisonnée. Et cela, que ce soit dans des agricultures de morcellement, des Smart cities, des serres, entre autres. Plusieurs de ces produits se retrouvent aujourd’hui sur des étals de supermarchés comme produits bruts, mais aussi transformés.

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