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Interview Rencontre

Jean Arthur Pilot Lagesse (General Manager de Terra Milling) – « Une grève dans l’industrie sucrière est inconcevable »

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L’imminence d’une grève dans l’industrie sucrière fait réagir Jean Arthur Pilot Lagesse. Le General Manager de Terra Milling justifie la décision des sucriers d’opter pour les négociations collectives au lieu de passer par la MSPA et souligne que ces derniers respectent les conditions de l’accord passé avec les syndicats en juin 2010.

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« Quel employeur voudra s’engager dans un accord collectif si, sans aucune justification, les syndicats se mettent à faire des demandes supplémentaires pendant la durée de l’accord en question ? »

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BUSINESSMAG. Une grève générale se profile à l’horizon dans l’industrie sucrière. Comment en sommes-nous arrivés là ?

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Pendant longtemps, le profil des membres de la Mauritius Sugar Producers Association (MSPA) était sensiblement le même, c’est-à-dire les usiniers et les planteurs. Des changements déjà entamés depuis les années ‘90 – où il y avait encore 18 établissements pour les usiniers et les planteurs –, se sont beaucoup accélérés ces dernières années, afin de répondre aux exigences de la réforme du secteur sucrier. De ce fait, l’industrie sucrière a connu une profonde transformation avec des centralisations d’usines – il en reste aujourd’hui uniquement 5 –, la construction de deux raffineries, de centrales thermiques et plusieurs fusions, notamment. L’un des résultats de ces nombreux changements est que les activités des membres de la MSPA varient énormément et que leurs besoins ainsi que leur capacité financière ne sont plus homogènes.

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À partir de ce constat, ce serait au détriment de tous, employeurs comme employés, de continuer avec des négociations collectives au niveau national car il serait alors impossible de prendre en considération les spécificités et les besoins particuliers des uns et des autres. Les membres de la MSPA ont donc décidé de conduire des négociations collectives au niveau de leurs entreprises et, par conséquent, de ne plus confier à la MSPA le mandat de négocier avec les syndicats sur une base nationale, comme le font d’ailleurs les entreprises dans différents secteurs de notre économie tels que le textile, le secteur manufacturier ou le tourisme, par exemple. Par ailleurs, les membres de la MSPA se sont aussi engagés à respecter l’intégralité des accords signés par la MSPA en leur nom et qui sont en vigueur jusqu’à fin 2013.

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Il semblerait que ce soit cette volonté de négocier au niveau de chaque entreprise qui ne plaise pas au Joint Negotiating Panel (JNP) et qu’elle soit la véritable raison de la menace de grève.

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BUSINESSMAG. Comment se prépare l’industrie face à cette menace ?

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Les entreprises sucrières sont d’avis qu’il n’existe aucun litige qui justifierait une grève. Le JNP ayant menacé d’entamer une grève d’une durée illimitée, les employeurs – et non la MSPA – ont référé la question à l’Employment Relations Tribunal (ERT) qui a émis un ordre intérimaire le 3 août dernier afin d’interdire toute grève ou préparatif de grève (Ndlr : l’ERT a maintenu son ordre mardi et a fait savoir qu’elle convoquerait ultérieurement les parties concernées pour communiquer sa décision).

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Étonnamment, le JNP n’a pas jugé bon de respecter cet ordre et a quand même procédé à un vote cette semaine.

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BUSINESSMAG. L’industrie dans sa forme actuelle a-t-elle les moyens de faire face à un tel mouvement ?

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Le mouvement dont vous parlez n’a pas sa raison d’être parce qu’il y a un accord en vigueur qui est respecté par tous les employeurs. Le but même d’un accord collectif – qui est en fait un « package » de conditions de travail sur lequel employeurs et employés tombent d’accord pour une durée donnée –, est d’avoir une paix sociale dans nos entreprises pendant la durée de cet accord. Les employeurs, avec la MSPA agissant comme leur agent, sont arrivés en juin 2010 à un accord d’une durée de quatre ans avec les syndicats, lequel prendra fin en décembre 2013, soit dans 18 mois.

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Le JNP vient maintenant, et ce pendant la durée de cet accord, introduire de nouvelles demandes qui, aujourd’hui, sont présentées comme un litige et un prétexte pour brandir la menace de grève. Ces agissements sont contraires aux principes sous-tendant la promotion de la négociation collective qui est au centre même des nouvelles lois du travail. En effet, quel employeur voudra s’engager dans un accord collectif si, sans aucune justification, les syndicats se mettent à faire des demandes supplémentaires pendant la durée de l’accord en question ?

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De plus, cette démarche des syndicats est de mauvais augure pour le futur non seulement pour notre industrie, mais également pour les autres secteurs économiques du pays car nous serons en train d’envoyer un mauvais signal. Si le JNP était sérieux dans sa démarche et voulait réellement l’introduction de nouveaux points dans un accord déjà signé, il aurait dû référer son cas à l’ERT et non à la Commission de Conciliation et Médiation. Le Tribunal à l’autorité d’émettre un ordre ou un Award qui a force de loi sur les parties concernées.

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\« Il est impératif de freiner l’érosion des superficies sous culture en accélérant notamment le regroupement des petits planteurs »

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BUSINESSMAG. N’y a-t-il pas un moyen d’éviter une telle situation ?

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Je pense qu’il y a deux sujets bien distincts. D’abord, il y a la question de la légalité de la grève. Nous avons porté cette question devant l’ERT et c’est à ce Tribunal de juger.

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Deuxièmement et plus fondamentalement, la question est de savoir si tout comme nos employés sont libres de demander aux syndicats de les représenter ou non, et de quelle façon cette représentation devrait se faire, nous devrions aussi avoir cette liberté. Je pense que, tout comme nous nous interdisons de nous ingérer dans les questions internes au JNP, cet égard devrait nous être retourné.

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D’ailleurs, l’article 33 de l’Employment Relations Act stipule clairement qu’aucun syndicat d’employés n’a le droit d’interférer dans le fonctionnement d’un syndicat d’employeurs.

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BUSINESSMAG. Quel va être l’impact d’une grève générale sur l’industrie sucrière ?

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Il n’est simplement pas concevable qu’il puisse y avoir une grève dans l’industrie sucrière pendant qu’un accord collectif est en vigueur et est respecté. Sinon à quoi bon signer ce genre d’accord ? Une grève, de surcroît illégale, serait un Lose-lose pour tous. Ce serait également une énorme déception pour nous car cela viendrait remettre à plat tous les efforts que nous avons consenti afin d’améliorer les relations industrielles chez nous. Je pense, entre autres, à notre initiative, il y a quelques mois, de donner a chaque employé un bonus ex gratia afin de célébrer la naissance de Terra. Nous serions extrêmement déçus si nos employés votaient en faveur d’une grève.

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BUSINESSMAG. Est-ce qu’il y a un risque que l’industrie n’arrive pas à respecter les engagements pris auprès des acheteurs sur le plan international ?

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Bien sûr ! Nous avons été jusqu’à présent des fournisseurs exemplaires tant au niveau de la fiabilité que de la qualité et avons fidélisé certains de nos clients à tel point que nous sommes souvent leur unique fournisseur. Ces clients ont investi des sommes massives dans le brand « Mauritius » et je crains que toute rupture dans la fourniture de nos sucres spéciaux leur cause un immense préjudice financier et qu’ils se tournent vers d’autres fournisseurs. Et Dieu sait s’il y en a d’autres qui souhaiteraient prendre notre place. Tout le bon travail abattu pendant des années serait à refaire.

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BUSINESSMAG. Selon les dernières prévisions, la production sucrière en 2012 sera inférieure à l’année précédente. Qu’est-ce qui explique cette tendance ?

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Les deux principaux facteurs responsables de cet état des choses sont d’une part, la sécheresse qui a sévi en début d’année, plus particulièrement au Nord et à l’Ouest et, d’autre part, la régression alarmante des superficies à être récoltées en 2012. Cette diminution est de l’ordre d’environ 2 400 hectares.

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BUSINESSMAG. La réforme sucrière semble tirer à sa fin. Les mesures prises jusqu’ici vontelles assurer la pérennisation du secteur ?

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La majorité des mesures préconisées a déjà été mise en application, tel le second Voluntary Retirement Scheme, la centralisation de plusieurs usines, le raffinage, la production de plus de sucres spéciaux et la réforme de certaines institutions qui a vu la création de la Mauritius Cane Industry Authority et la réduction du Cess. Il reste la fermeture de Deep River Beau Champ prévue pour 2014 et la continuation du regroupement des petits planteurs pour mieux aménager leurs parcelles en vue de mécaniser un certain nombre de pratiques culturales. Toutefois, à moyen terme, cela va dépendre d’un certain nombre de facteurs externes, notamment le prix du sucre sur le marché mondial, la parité de notre roupie vis-à-vis de l’euro, et le cours de certains intrants qui nous sont essentiels, comme les combustibles et les engrais.

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BUSINESSMAG. Quels sont les défis auxquels le secteur est appelé à faire face ?

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Il est impératif de freiner l’érosion des superficies sous culture en accélérant notamment le regroupement des petits planteurs. Il faut aussi continuer à peaufiner le processus de mécanisation afin de réduire nos pertes industrielles aux champs. Ensuite, il est nécessaire d’ajouter plus de valeur à nos produits en produisant de l’éthanol. Il faut également s’assurer une utilisation optimale de notre biomasse en convertissant notre surplus de bagasse en électricité. Pour ce faire, il faudra que tous les stakeholders de l’industrie jouent pleinement leur rôle.

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