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Interview Rencontre

«La MIC n’a jamais été créée pour financer l’État»

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Au 31 décembre 2021, la valeur des investissements de la Mauritius Investment Corporation se chiffrait à Rs 41,3 milliards. Le montant total approuvé à cette date est de Rs 54,8 milliards et comprend Rs 29,8 milliards d’investissement dans des entreprises opérant dans le privé, indique son CEO, Jitendra Bissessur.

Jitendra Bissessur (Chief Executive Officer)La Mauritius Investment Corporation (MIC) a attiré pas mal de critiques depuis sa création. On lui reproche d’être un outil politique. Qu’en pensez-vous ?

Merci pour cette première question qui me permet de replacer la création de la MIC dans son juste contexte. La MIC a été créée dans une situation pandémique extraordinaire marquée par l’incertitude sur la durée et l’étendue de l’impact de la Covid-19 sur les entreprises et les ménages mauriciens.

Cette idée novatrice a permis d’empêcher la propagation des effets néfastes de cette crise à l’économie réelle et, en particulier, au système bancaire. Aujourd’hui, c’est avec beaucoup de fierté que je constate que les investissements de la MIC dans des entreprises évoluant dans divers secteurs clés de l’économie ont largement contribué à maintenir ces entreprises en opération et surtout à préserver le système bancaire et les emplois. La MIC a permis de contribuer à la stabilité financière du pays.

Je crois qu’il est important de souligner que la MIC a un mandat beaucoup plus large que celui qui a été rapporté. Elle est, entre autres, habilitée à soutenir et accélérer le développement économique de l’île Maurice ; aider les entreprises systémiques et viables incorporées à Maurice et qui sont en difficulté financière en raison de la pandémie de la Covid-19 ; investir dans des actifs en vue de garantir les produits de première nécessité et soutenir une croissance plus élevée à long terme ; investir dans trois portefeuilles clés, à savoir, les secteurs d’avenir, l’infrastructure et les actifs stratégiques, et la participation au capital, et détenir des actifs financiers.

Même si la Banque de Maurice en est l’unique actionnaire, la MIC est dotée d’un conseil d’administration composé de professionnels indépendants qui agissent en toute autonomie et en respect de leurs Directors’ duties dans les paramètres du Companies Act. Chaque membre de ce conseil d’administration prend sa décision à la lumière d’un examen approfondi de chaque dossier. La MIC a aussi un conseil d’investissement qui réunit des experts en finance et investissement

Il est important de faire ressortir qu’à tous les niveaux de ses opérations, l’équipe de la MIC est constituée de professionnels qui s’attellent à leurs tâches respectives consciencieusement

La référence aux réserves internationales qui ont été utilisées pour créer la MIC doit être mise dans un contexte précis. Je suis d’avis que «unprecedented times have called for an unprecedented response». Cette mesure non conventionnelle de la Banque centrale joue un rôle essentiel au niveau de la cohésion du tissu social et économique. La MIC contribue également à la construction d’une île Maurice moderne, permettant ainsi un développement économique ordonné et équilibré

L’utilisation des réserves internationales du pays a fait couler beaucoup d’encre. Cependant, force est de constater que ces réserves, qui étaient à USD 6,9 Mds à la fin de mai 2020, ont atteint USD 8,6 Mds à la fin de décembre 2021.

En parlant d’utilisation de réserves, on peut se référer à la création de la GIC Private Limited, auparavant connue comme la Government of Singapore Investment Corporation. Cette compagnie avait été mise sur pied en 1981 suite à la recommandation du Dr Goh Keng Swee, alors vice-Premier ministre de Singapour et président de la Monetary Authority of Singapore, pour investir des réserves excédentaires de Singapour.

La Mauritius Investment Corporation a jusqu’ici déboursé Rs 35 milliards sur Rs 81 milliards, dont Rs 25 milliards ont servi à financer le gouvernement. On a le sentiment que l’institution est en train de soutenir d’avantage l’État que les entreprises. Est-ce le cas ?

Non. La MIC n’a jamais été créée pour financer l’État. Elle a été instituée pour servir l’économie mauricienne ; c’est foncièrement différent !

Contrairement à ce qui a été rapporté, notre politique d’investissement s’articule dans un cadre bien défini, comme cela est stipulé dans notre mandat et dans notre politique d’investissement. La MIC est mandatée pour investir dans des domaines clés à travers des portefeuilles distincts, à savoir, les secteurs d’avenir, de l’infrastructure et des actifs et projets stratégiques, ainsi que les entreprises systémiques et viables qui ont été impactées par la pandémie de la Covid-19.

«La MIC a permis de maintenir notre tissu économique et social»

La décision d’investir dans AHL ne s’est pas faite sur la base de la dichotomie entreprise publique v/s entreprise privée mais bien en vertu de l’intérêt stratégique que représente AHL pour le pays. Le développement d’infrastructures essentielles et stratégiques de Maurice permet de stimuler la croissance et la diversification de l’économie. Il est également un vivier d’emplois pour les Mauriciens. Une île Maurice moderne doit se doter d’infrastructures de qualité qui répondent à ses ambitions. L’acquisition des actions d’AHL, qui a le potentiel de devenir la plus grande entreprise mauricienne, s’inscrit dans le droit fil de cet objectif.

La MIC a investi Rs 25 milliards au sein d’Airports Holdings Limited. De ce montant, Rs 12 milliards ont servi à rembourser le Covid Projects Development Fund et le National Resilience Fund. Alors que les Rs 13 milliards restantes ont permis de racheter les actions détenues par l’État dans Airports of Mauritius (AML) et d’autres organismes. À travers cette opération, la MIC n’est-elle pas en train indirectement de renflouer les caisses du Trésor public ?

L’investissement de la MIC dans AHL est une opération historique. J’entends que cela ait pu susciter beaucoup d’engouement et de questions. Cette transaction n’a jamais été conclue pour renflouer quelque caisse que ce soit. L’acquisition dans l’actionnariat d’AHL s’inscrit bel et bien dans la mission de la MIC.

En revanche, la gestion des finances publiques n’est-elle naturellement pas du ressort de la MIC.

En tant que société d’investissement, et d’ailleurs comme le font plusieurs autres fonds d’investissement à travers le monde, la MIC a saisi cette opportunité de participer à l’actionnariat du groupe comprenant notamment le transporteur aérien national. Permettez-moi de vous rappeler la contribution de Temasek Holdings, qui a participé à la mise sur pied d’un programme de financement pour Singapore Airlines, totalisant USD 13 milliards dans le cadre de la plus importante opération de sauvetage d’une compagnie aérienne frappée par la pandémie de coronavirus. Il y a aussi l’Investment Corporation of Dubai qui a souscrit davantage au capital d’Emirates Airlines.

Cette opération est hautement stratégique car elle permet à l’entité de redynamiser le secteur aéroportuaire, ce qui est vital à la croissance économique de notre pays.

La MIC dispose d’un capital de Rs 81 milliards. En comptant les fonds décaissés en faveur des sociétés d’État et d’Air Mauritius, l’investissement de Rs 1 milliard dans le Mauritius Institute of Biotechnology, ainsi que les demandes de financement approuvées (environ Rs 32 milliards), qu’est-ce qu’il restera à la MIC ?

Avant d’en venir au portfolio actuel de la MIC, je tiens à préciser que la MIC n’a pas investi dans Air Mauritius à proprement parler mais dans une holding (AHL). D’ailleurs, à ce jour, elle n’a pas investi, non plus, dans le Mauritius Institute of Biotechnology.

En revanche, la MIC a investi dans plusieurs secteurs de l’économie. Au 31 décembre 2021, la valeur de nos investissements se chiffrait à Rs 41,3 milliards. Le montant total approuvé à cette date est de Rs 54,8 milliards et comprend Rs 29,8 milliards d’investissement dans des entreprises opérant dans le privé.

Sur une base sectorielle, un montant de Rs 15,2 Mds a été alloué au secteur de l’hébergement et de la restauration, Rs 10,1 Mds au secteur agricole, Rs 2,0 Mds au secteur manufacturier et Rs 2,5 Mds à d’autres secteurs de l’économie. Notre portefeuille d’investissement s’est, au fil des mois, largement diversifié, ce qui permet à la fois à la MIC d’être présente dans les secteurs économiques clés ainsi que de limiter ses risques. Le capital de la MIC restant à investir reste donc important, sans compter les futurs retours sur investissement qui permettront de créer un cycle vertueux pour les prochaines opérations.

Sur ces investissements, la MIC reçoit un retour qui sera utilisé pour de futurs placements. Nos investissements s’étalent sur des périodes allant de 3 à 9 ans. Nous nous assurons ainsi de générer un flux de trésorerie adéquat. Cela dit, tout investissement sera stratégiquement analysé car la MIC est un partenaire pour soutenir le développement durable du pays.

La MIC est avant tout une société d’investissement. Sa mission est particulièrement difficile dans la mesure où elle investit dans des entreprises présentant des risques systémiques élevés. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont chaque cas est traité ?

L’essence même de l’existence de la MIC va au-delà de sa mission de sauver des entreprises systémiques et viables impactées par la pandémie de Covid-19, même s’il est tout à fait vrai que la MIC a été créée dans le contexte de cette pandémie. Notre priorité était d’éviter que des entreprises mettent la clé sous la porte et de sauvegarder l’emploi. Chose promise, chose due ! La MIC a permis d’éviter les faillites et de contenir la montée du chômage. Alors que nous entrevoyons une sortie de crise, la MIC se concentre également sur ses autres pôles d’investissements, notamment les projets dits de futures générations et ceux d’infrastructures.

«La MIC est autonome dans sa prise de décision»

Pour ce qui est de l’analyse des demandes d’investissement pour chaque entité, je ne permettrai pas que cela soit sujet à quelque doute que ce soit. C’est un sujet crucial et qui fait l’objet de toutes nos attentions. À la MIC, nous nous assurons qu’une évaluation des risques est menée pour chaque entreprise ayant approché la MIC, cela en conformité avec notre politique d’investissement. Les garanties qu’une entité doit fournir se doivent d’être adéquates avec son profil de risques. Ces sûretés sont dûment enregistrées conformément à la loi.

On a une étape très définie et rigoureuse dans le traitement des dossiers. Bien que vous trouveriez plus de détails dans notre rapport annuel qui vient d’ailleurs d’être publié, je vais brièvement aborder notre processus d’investissement; il se fait en trois étapes. D’abord, il y a une présélection et un exercice de due diligence financier et opérationnel des sociétés demanderesses. Ensuite, un comité d’investissement procède à un due diligence sur l’investissement proposé et fait ses recommandations au conseil d’administration pour la prise d’une décision. Puis, le Conseil d’administration peut demander des informations complémentaires et/ou nommer un analyste financier indépendant pour réexaminer la proposition d’investissement. Étant souverain, la décision finale revient au Conseil d’administration.

Concernant l’acquisition des actions ou des actifs immobiliers, le processus fait l’objet d’une analyse approfondie par l’un des quatre grands cabinets d’audit et sociétés d’évaluation immobilière. Ces rapports sont ensuite soumis au Conseil d’administration pour décision.

Je souligne que les documents relatifs à toute transaction sont préparés et vérifiés par une firme légale de renom, que ce soit pour un investissement ou une acquisition. Je vous assure que toutes les conditions nécessaires doivent être pleinement respectées avant tout déboursement. Il est clair que la MIC est autonome dans sa prise de décision et qu’elle observe un processus bien défini.

La MIC a annoncé qu’elle mettrait son Investment Policy et son Investment Charter à la disposition du public. Quand est-ce que cela sera fait ?

La MIC s’est, en effet, constituée autour des valeurs de bonne gouvernance et de transparence.

Comme annoncé publiquement par le président du Conseil d’administration de la MIC, la politique d’investissement et la charte du comité d’investissement ont été publiées depuis août 2021 sur le site Web de la MIC. Je vous invite à consulter ces documents et je profite de l’occasion pour souligner que vous y trouverez également notre rapport annuel. Le but est de communiquer en toute transparence sur nos objectifs, notre politique de gouvernance et les directives de la MIC. C’est ainsi que nous avons publié notre rapport annuel, conformément aux provisions du Companies Act.

Êtes-vous satisfait du rendement des obligations et du taux de coupon convenus entre la MIC et les entreprises dans lesquelles elle a investi ? Les transactions sont-elles trop bon marché ?

Comme je le disais, la première année d’opération de la MIC s’est faite dans un contexte inédit. Dans cet environnement économique sans précédent, je suis d’avis que l’intervention de la MIC a permis de maintenir notre tissu économique et social et de mitiger tout impact sur le secteur bancaire. Le rendement des obligations reflète les fondamentaux du marché en tenant compte de l’analyse risque/ rendement des entités dans lesquelles la MIC a investi dans le contexte de la Covid-19.

Dans cet environnement, la MIC a pu dégager des bénéfices de Rs 58 millions avant les variations de juste valeur des actifs financiers. Conformément aux provisions de normes internationales comptables, une évaluation des instruments financiers est un must. À la MIC, nous appliquons vigoureusement ces normes internationales. Cette application a généré Rs 595,8 millions de pertes comptables, qui reflète tout simplement un ajustement comptable comme le préconisent les normes de l’IFRS9 sur un instrument financier pour la comptabilisation des pertes valeurs sur les créances clients. Ce chiffre sera réactualisé chaque année. D’ailleurs, toutes les entités financières sont appelées à adhérer aux normes internationales comptables.

La MIC a soutenu les entités dans les secteurs du tourisme et manufacturier. Ceux-ci ont déjà commencé à démontrer des signes de relance prometteurs. Donc, il y a un fort optimisme pour la reprise et la réactualisation de ses valeurs résultera en un réajustement des pertes. Je suis confiant que cela profitera à la MIC.

Je veillerai à ce que la MIC opère toujours en conformité avec ses objectifs et qu’elle s’attelle à générer un taux de rendement réel positif sur ses investissements.

Compte tenu de sa taille (un capital de 2 milliards de dollars) et de son énoncé de mission, la MIC est trop grosse pour faire faillite. Êtes-vous d’accord sur ce point ?

Il est prétentieux de conclure que la MIC est «too big too fail». Je suis fier, en tant que CEO de la MIC, de constater que notre présence dans l’espace économique a été saluée par les différents opérateurs économiques du pays. Et aussi d’avoir contribué à travers nos investissements à préserver de nombreux emplois, nous faisant participer concrètement au sauvetage de l’économie mauricienne. À la fin de juin 2021, après une première année d’opération décisive, la MIC a permis de sauvegarder près de 23 870 emplois à travers ses investissements dans les entreprises mauriciennes. Ces entreprises systémiques et viables ont une contribution non négligeable à l’économie de notre pays.

Pour moi, c’est la volonté et la solidité de la MIC dans la gestion de son portefeuille qui déterminent sa rentabilité et son importance capitale aujourd’hui comme demain. Nul doute que la stratégie mise en place ainsi que les principes de bonne gouvernance et de transparence assureront la bonne conduite de sa mission dans l’économie mauricienne. À l’avenir, la MIC cherchera à établir des partenariats stratégiques avec des institutions internationales de financement du développement et d’autres institutions multilatérales afin de maximiser son pouvoir catayseur. Nous sommes actuellement en train d’y travailler.

«L’acquisition dans l’actionnariat d’AHL s’inscrit bel et bien dans la mission de la MIC»

La MIC a acquis les parts d’Omnicane dans Mon Trésor Smart City Ltd, ainsi que des terrains dans les régions de Britannia et Mon Trésor pour Rs 4,5 milliards. Certains observateurs s’interrogent sur cette transaction foncière car la MIC est avant tout un SPV dont la mission principale est d’investir dans des entreprises en difficulté financière. Vos commentaires ?

Je vous confirme que la MIC est une société d’investissement et non un SPV. Qualifier la MIC de SPV démontre un manque de compréhension de son mandat. La MIC est une société d’investissement privée et à responsabilité limitée, c’est-à-dire une entité juridique distincte, à part entière et qui est gérée par un conseil d’administration qui agit dans le meilleur intérêt de l’institution conformément au Companies Act et de sa Constitution. La MIC est redevable envers son shareholder et elle doit s’assurer que ses investissements génèrent un retour. Comme je l’ai dit plus haut, la MIC a un mandat qui est beaucoup plus élargi que celui que vous avez mentionné.

En vertu de sa constitution, la MIC est mandatée pour investir dans différentes catégories d’entreprises et est ouverte à tous les secteurs d’activité. Elle investit dans trois portefeuilles distincts : les secteurs d’avenir, de l’infrastructure et des actifs et projets stratégiques, ainsi que les entreprises systémiques et viables qui ont été impactées par la pandémie de Covid-19.

Et il ne faut pas oublier qu’elle est aussi mandatée à détenir des actifs financiers tels que des actions, des obligations, des biens immobiliers. L’achat de terrains relève du Future Generations Portfolio de la MIC et lui permet de créer une banque de terrains pour des projets qui relèvent de ce portefeuille.

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