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Rajnish Aubeeluck: «Maurice peut devenir un centre pour la finance durable pour l’Afrique»

Seul 10 % des investissements durables mondiaux sont réalisés dans les économies en développement du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Pendant la pandémie, l’écart de capital déjà prononcé entre les marchés développés et émergents s’est encore creusé. Rajnish Aubeeluck, Country Head, Global Banking de la Standard Chartered Bank (Mauritius), fait le point.

Les grands acteurs du secteur bancaire multiplient les initiatives pour une industrie financière plus verte. Ce nouveau virage peut surprendre et donne quelque peu l’impression que la finance veut se racheter une conduite en devenant verte et durable. Est-ce simplement du «greenwashing» ou un mouvement de fond ?

Le risque climatique est largement reconnu comme l’un des principaux risques qui auront un impact sur notre monde à l’avenir. Alignés sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, les pays et les entreprises ont convenu de réduire leurs émissions de carbone et ont adopté un calendrier pour atteindre le zéro net. Plus de la moitié des entreprises n’effectuent pas une transition assez rapide, ce qui les expose au risque de manquer l’objectif de zéro émission nette de carbone de l’Accord de Paris d’ici à 2050. De nombreuses entreprises envisagent de reporter des mesures importantes à après 2030 ; les années 2020 devant être une décennie perdue.

L’accès au financement de la transition n’est pas le seul obstacle auquel les entreprises sont confrontées. Les chefs d’entreprise pensent que les progrès de leurs entreprises sont entravés par l’absence de technologies alternatives abordables pour les aider à faire la transition. En 2020, Standard Chartered s’est engagée à hauteur de 75 milliards de dollars d’ici à 2024 pour accompagner ses clients dans leur transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Aux clients qui en sont au premier stade de leur parcours net zéro, nous fournissons des conseils sur ce qu’ils doivent faire pour se préparer à un avenir à faibles émissions de carbone. Et ceux qui n’ont pas encore entamé ce parcours, nous les aidons à identifier les leviers de transition les plus pertinents. Concernant les clients de nos secteurs les plus émetteurs, nous avons posé comme condition de nos financements qu’ils aient un plan de transition d’ici fin 2022.

Le secteur des services financiers a un rôle clé à jouer pour permettre à l’économie de passer à un état d’esprit plus net zéro et, finalement, a un mode de fonctionnement net zéro

Quel sens faut-il donner à cette notion de finance durable et responsable ?

Chaque pays a des besoins différents pour ses économies respectives. À Maurice, il est important que le pays se concentre sur trois piliers de la durabilité : les énergies renouvelables, l’économie bleue et l’investissement social. La finance durable doit ensuite être conçue autour de ces piliers pour canaliser les capitaux vers les bons projets pour un impact maximal pour le pays. Le Budget 2021-2022 met beaucoup l’accent sur ces secteurs de l’économie. Les acteurs du secteur des services financiers doivent concevoir de nouveaux produits pour répondre à ces besoins d’investissement. Le calendrier de mise en œuvre des ODD de l’ONU est d’ici 2030 et le pays n’aura ni le temps ni les ressources pour atteindre tous les objectifs, d’où la nécessité de se concentrer sur trois ou quatre piliers qui auront le plus d’impact pour Maurice. Et les acteurs du secteur financier peuvent également les soutenir.

Les marchés qui nécessitent le plus de financement pour passer à des modèles économiques à faibles émissions de carbone sont souvent exclus de la finance verte. Dans les marchés émergents, ces secteurs sont essentiels pour les moyens de subsistance et la croissance économique. Comment les institutions bancaires peuvent-elles accompagner ces secteurs dans leur transition ?

 La transition nette zéro ne peut pas se produire du jour au lendemain. Des sources diversifiées de capital institutionnel peuvent aider à accélérer le changement, au profit de tous. Diriger des financements vers des projets et des nations plus petits peut être délicat. C’est là que le financement par emprunt et les financements structurés peuvent jouer un rôle clé, en aidant à mobiliser les investisseurs institutionnels dans les domaines et les entreprises qui ont besoin d’investissement.

Des instruments tels que les obligations vertes peuvent également apporter plus de capital aux projets d’énergie renouvelable. D’ailleurs, c’est déjà une zone de croissance. L’émission d’obligations vertes dédiées aux énergies renouvelables est passée de seulement 2 milliards de dollars en 2013 à 8 milliards de dollars en 2019 ; et la croissance est encore à venir. Les émissions actuelles d’obligations vertes représentent moins de 1 % du marché obligataire mondial, estimé à environ 100 000 milliards de dollars par l’International Renewable Energy Agency. La forte demande devrait continuer de pousser les émissions à la hausse et la taille importante des billets que les obligations vertes peuvent créer attire déjà les investisseurs institutionnels.

Les investisseurs utilisant Maurice comme plateforme d’investissement ont besoin de produits ESG/durables

Le changement climatique est le défi environnemental contemporain le plus important. Quel est le rôle de l’industrie financière pour adresser cet enjeu ?

Le secteur des services financiers a un rôle clé à jouer pour permettre à l’économie de passer à un état d’esprit plus net zéro et, finalement, à un mode de fonctionnement net zéro. Cela inclut un besoin de flux de capitaux vers la mise en œuvre de sources d’énergie, de logistique et de fabrication vertes et durables ainsi que de technologies pour soutenir la production actuelle. Standard Chartered a pris des mesures et s’est engagée à financer et faciliter jusqu’à 75 milliards de dollars d’infrastructures durables, de technologies propres et d’énergies renouvelables entre 2020 et 2024, en attirant des capitaux de l’ensemble du secteur financier.

Alors que les entreprises s’engagent à respecter l’Accord de Paris, nous reconnaissons la nécessité d’un marché volontaire du carbone pour réunir acheteurs et vendeurs afin d’aider à atteindre les objectifs climatiques. Il s’agit d’un effort collectif et l’investissement réalisé par les entreprises pour réduire leurs émissions contribue à soutenir l’action climatique. Nous nous sommes associés à Baringa pour mesurer, gérer et signaler les risques de transition liés au climat. Nous nous sommes également associés à l’Imperial College de Londres pour comprendre la science et débloquer des solutions de gestion des risques climatiques afin de préparer nos clients et de soutenir leur transition.

Votre empreinte en Asie, en afrique et au Moyen-Orient comprend certains des marchés les plus touchés par les défis environnementaux et sociaux. Vous ambitionnez de faire de notre planète un endroit meilleur, plus propre et plus sûr. Cela veut-il dire que vous allez arrêter de financer des entreprises très polluantes ?

Notre groupe s’est engagé à cesser de fournir des services financiers directement aux nouveaux projets de centrales électriques au charbon dans n’importe quel endroit et à toute extension, modernisation ou infrastructure dédiée de centrale électrique au charbon, dans n’importe quel endroit. Nous nous sommes également engagés à réduire davantage notre exposition aux clients dépendants du charbon. Ainsi, d’ici 2030, nous ne fournirons aucun service financier aux clients dont plus de 10 % de l’Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (EBITDA) provient du charbon thermique, avec des objectifs de réduction intermédiaires également fixés.

Il en va de même pour nos clients et parties prenantes à Maurice. Aux clients qui commencent tout juste leur voyage net zéro, nous fournirons des conseils spécifiques au secteur sur ce qu’ils doivent faire pour se préparer à un avenir à faibles émissions de carbone, des conseils sur mesure, région par région. Nous aiderons les clients qui n’ont pas encore lancé leurs efforts de transition climatique à identifier les leviers de transition les plus pertinents ; en veillant à ce qu’ils créent des plans de transition climatique alignés sur nos ambitions climatiques.

Comment la finance durable se développe-t-elle à Maurice par rapport à d’autres pays ?

Maurice a entamé son «développement durable» il y a quelques années avec la mise en place de projets d’énergie renouvelable sur l’île. Ces projets ont été financés par des banques mauriciennes, ce qui les qualifie de finance durable. En tant que Centre financier international, il est important que Maurice développe en permanence de nouvelles offres de produits pouvant s’adapter aux besoins des investisseurs. Les investisseurs utilisant Maurice comme plateforme d’investissement ont besoin de produits ESG/durables, d’où le lancement de notre sustainable deposit. Le dépôt fonctionne en référençant des actifs bancaires qui répondent à notre cadre de produits verts et durables que nous avons développé en collaboration avec Sustainalytics.

Standard Chartered est effectivement la première banque à lancer un sustainable deposit à Maurice. Comment ce produit aidera-t-il à renforcer le positionnement du Centre financier international de Maurice en tant que plaque tournante de la finance durable pour l’Asie et l’Afrique ?

Le sustainable deposit a permis à Standard Chartered d’identifier dès le départ les besoins des investisseurs étrangers et d’y répondre par un produit ESG/durable approprié. Cette base d’actifs comprend le financement vert, les projets d’infrastructure durable, la microfinance et les services bancaires aux entreprises. Être le pionnier dans l’espace de la finance durable est pour nous un témoignage de la façon dont une organisation internationale peut ajouter de la valeur à la juridiction mauricienne en s’appuyant sur son savoir-faire en matière de produits et son expertise mondiale pour contribuer au développement du marché. Notre objectif ultime est que Maurice devienne un centre pour la finance durable pour l’Afrique en canalisant les capitaux levés de Maurice vers l’Afrique.

Alors que 90 % des besoins de financement des ODD sont comblés dans les pays développés, seulement 60 % des besoins d’investissement sont couverts dans les régions émergentes et en développement, et aussi peu que 10 % en Afrique. S’agissant de Maurice, le pays est-il en train de jouer le jeu ?

À Maurice, le secteur public et le secteur privé sont engagés dans le développement durable. De nombreuses entreprises mauriciennes sont en train d’améliorer leur efficacité énergétique et ont fixé des objectifs internes pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. Business Mauritius mène également l’initiative du secteur privé par le biais de son programme Signe Natir pour une île Maurice durable et inclusive. Je pense que le pays doit accélérer la mise en œuvre des objectifs des ODD dans tous les secteurs de l’économie ; un partenariat public-privé solide contribuera à atteindre le résultat final souhaité. L’accès et les compétences sont également importants pour que le pays puisse mener à bien les différents projets de durabilité.

L’année dernière, en partenariat avec le gouvernement, vous avez travaillé sur l’élaboration d’un cadre de financement durable. Qu’est-ce qui ressort de ce document ?

Le partenariat avec le gouvernement mauricien remonte à un engagement entre le Premier ministre mauricien et le CEO du Standard Chartered Group, Bill Winters, lors du sommet Royaume-Uni – Afrique à Londres, en janvier 2020. Les plans du gouvernement étaient alors de développer une économie verte et bleue, et donc le cadre de la finance durable. La Covid-19 a accéléré la mise en œuvre des autres ODD et de nombreux pays font désormais appel aux marchés financiers pour soutenir des projets bleus, verts et sociaux. Le cadre est en bonne voie et devrait être finalisé d’ici fin 2021. La situation et les confinements liés à la Covid-19 ont nécessité de repenser le cadre pour l’aligner sur les besoins de l’économie mauricienne.

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