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Interview Rencontre

«Une bonne gouvernance d’entreprise assure un meilleur accès aux capitaux»

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Premchand Mungar

La bonne gouvernance donne priorité à une bonne gestion des risques au sein d’une organisation. Ainsi, nombre d’initiatives ont été prises au fil des années pour encourager les entreprises à adopter une meilleure gouvernance et mieux gérer laPremchand  Mungar prise de risques. Premchand Mungar, le CEO de Maubank, commente la place de la bonne gouvernance au sein des institutions financières mauriciennes.

Quelle est aujourd’hui la place de la bonne gouvernance dans le secteur bancaire ?

Étant donné le rôle crucial joué par les banques dans l’économie par l’intermédiation de fonds, leur sécurité et leur solidité sont essentielles à la stabilité financière. Toutes les défaillances bancaires peuvent, en fait, être attribuées à des échecs de gouvernance. La bonne nouvelle, c’est que les banques ont parcouru un long chemin depuis la crise financière mondiale et, de manière générale, elles ont renforcé leurs pratiques de gouvernance dans leur globalité. Cela s’est accompagné d’un renforcement des processus de surveillance par les autorités de contrôle.

Les banques ont fait des progrès considérables dans l’attribution des responsabilités aux différents départements de l’entreprise en matière de traitement et de gestion des risques. Si un code de gouvernance d’entreprise ou les lignes directrices d’un régulateur constituent un élément important de la bonne gouvernance d’entreprise, celle-ci n’est pas nécessairement structurelle ; elle est plutôt sociale. Tout commence par une culture de discussions ouvertes et franches, voire de dissidence au sein du conseil d’administration. Je considère le désaccord fondamental à un conseil d’administration performant et efficace ; il permet aux directeurs de remettre en question les suppositions du management, ce qui permet au conseil d’administration de remplir sa fonction la plus importante, à savoir, superviser l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise.

Quels sont les principes de base d’une bonne gouvernance au sein des institutions financières ?

Le code national de gouvernance d’entreprise de l’île Maurice énumère huit principes de gouvernance d’entreprise. La Banque de Maurice a publié, en 2017, en tant que régulatrice du secteur bancaire, des lignes directrices actualisées sur la gouvernance d’entreprise applicables aux institutions financières. Tant le Code national de gouvernance d’entreprise que les lignes directrices de la Banque de Maurice, ils traitent de la structure de gouvernance, des procédures de nomination des administrateurs et de leurs fonctions, de la gouvernance des risques et des fonctions de contrôle.

Mais il faut bien mentionner que les banques ont reconnu très tôt qu’une bonne gouvernance d’entreprise assure un meilleur accès aux capitaux et ainsi ont investi dans des ressources importantes pour mettre en œuvre ces principes.

Lors du dernier Breakfast Forum intitulé ‘Directors Duties and importance of Corporate Governance in Banks and Financial Institutions’ organisé par le MIoD, vous avez évoqué la notion de la diversité au sein de l’administration pour avoir une gouvernance équitable mais aussi plus efficace et innovante. Qu’entendez-vous exactement par diversité, et quels sont les avantages de la diversité dans une bonne gouvernance ?

La diversité des membres du conseil d’administration est nécessaire pour permettre au conseil d’avoir une compréhension élargie de l’entreprise et des problèmes stratégiques et opérationnels auxquels elle est confrontée. La diversité démographique des membres du conseil d’administration est un bon point de départ, mais la diversité ne peut se limiter à des membres du conseil d’administration d’apparence différente ! Trop souvent, les candidats issus de la diversité démographique sont choisis parce qu’ils ont des antécédents similaires à ceux des membres en place.

«NOUS DEVONS ENCOURAGER L’ENTRÉE DE PERSONNES QUI FONT PREUVE DE DIVERSITÉ COGNITIVE DANS LES CONSELS D’AMINISTRATION>>

Nous devons regarder au-delà du genre, de la race ou de l’âge lorsque nous recherchons une composition diversifiée. Nous devons encourager l’entrée dans les conseils d’administration de personnes ayant des perspectives ou des styles de traitement de l’information différents, c’est-à-dire des personnes qui font preuve de diversité cognitive. D’ailleurs, la diversité cognitive a de nombreuses vertus. Charlan Nemeth, professeur de psychologie à l’université de Californie à Berkeley, a mené des recherches qui ont conclu que les voix dissidentes ajoutent de la valeur, même lorsqu’elles ont tort, car elles stimulent une réflexion plus large, et apportent plus d’éléments qui approfondissent le débat et qui, dans l’ensemble, conduisent à de meilleures décisions.

Cependant, il est de notre devoir de veiller à créer un environnement dans lequel les gens n’ont pas de crainte d’être rabaissés pour avoir exprimé des idées différentes ou partagé des préoccupations.

La diversité est une notion qui va au-delà de la parité du genre. C’est aussi une question de représentativité de l’âge, de compétence et de culture. Cependant, quel est le lien entre la diversité et la performance au sein des conseils d’administration ou au sein des institutions financières ?

Encourager la diversité cognitive permet de promouvoir des perspectives différentes, ce qui pousse à remettre en question des théories bien ancrées dans des organisations. J’estime que la diversité est le remède à la pensée d’un groupe. Si l’on revient sur toutes les crises d’entreprise du siècle dernier, l’on constate souvent que la pensée d’un groupe y joue un rôle de premier plan.

Cependant, bien que la diversité comprenne le genre, celui-ci n’est pas le seul aspect. Les compétences et l’âge des membres du conseil d’administration jouent également un rôle déterminant. Des directeurs avec une diversité cognitive ont la capacité de partager des perspectives riches avec leurs codirecteurs, enrichissant ainsi leur compréhension de l’entreprise, ainsi que des défis stratégiques et opérationnels auxquels ils peuvent faire face. De jeunes directeurs avec des profils de STEM (Science Technology Engineering Mathematics) sont plus enclins à poser des questions complexes et à remettre en question les propositions du management et des autres directeurs que ceux en exercice.

Dans le contexte actuel, veiller à ce que les conseils d’administration opèrent au mieux de leur capacité et qu’ils soient capables de pousser les entreprises à innover et à répondre aux défis et à la perturbation des affaires est impératif. La compétitivité de nos entreprises et le succès à long terme de notre économie dépendent des conseils d’administration composés de comptables, d’économistes, d’hommes de loi, mais pas sans les gens avec des compétences de STEM.

En mettant l’accent sur la diversité, les conseils d’administration n’ont d’autre choix que d’élargir leur champ de recherche et de recruter des profils plus variés au niveau managérial. Quel est votre point de vue sur le potentiel du marché mauricien en ce sens?

Le problème ici c’est qu’il n’est pas facile de recruter des candidats aux conseils d’administration qui présentent une diversité cognitive car les critères traditionnels de leadership font fi des personnes qualifiées. Je suis tout à fait d’accord qu’il faut regarder au-delà des critères de recrutement traditionnels, et cela signifie rechercher des candidats qui n’ont pas d’expertise préalable en matière de conseil d’administration.

Bien sûr, le marché mauricien a du potentiel, mais nous devons aussi développer une approche plus flexible par rapport au recrutement. Il incombe ensuite au conseil d’administration et à son président de veiller à ce que ces candidats reçoivent la formation adéquate en termes de risques et d’expertise financière dans le cadre des programmes d’initiation au conseil d’administration.

Face aux transformations auxquelles sont confrontées les entreprises d’aujourd’hui, les compétences technologiques et digitales sont vivement recherchées au niveau des candidats, afin d’apporter au conseil des éléments clés. Est-ce un atout important ?

La discussion d’un conseil d’administration sur la technologie devrait suivre deux angles stratégiques : le premier est la surveillance, qui vise à garantir que l’entreprise dispose de systèmes technologiques sécurisés, ininterrompus, avec un bon rapport au niveau du coût et de l’efficacité, fonctionnant ainsi sans heurts. Le second est la manière dont l’entreprise peut utiliser la technologie pour acquérir un avantage concurrentiel.

À la MauBank, on s’appuie sur une technologie de pointe pour renforcer notre conformité, pour contrôler nos coûts et pour améliorer notre expérience client. La technologie est impérative à notre performance. Mais cela s’applique également à l’ensemble du secteur bancaire mauricien. Le fait d’avoir un directeur qui est un initié de la technologie peut aider une entreprise dans son parcours de transformation, mais il s’agit de bien plus que cela.

Pour qu’une transformation soit vraiment un succès, il faut établir une culture de l’apprentissage et de l’adaptabilité au sein de l’entreprise. Cela va au-delà de la présence d’un initié à la technologie. À la MauBank, les discussions du conseil d’administration sont stratégiques et liées à nos principaux moteurs d’affaires commerciaux. Nous nous sommes également attachés à cultiver un état permanent d’adaptabilité. Notre conseil d’administration fixe les objectifs et donne à de petites équipes souples le pouvoir de mettre en œuvre sa vision.

Cette stratégie porte ses fruits, et nous sommes sur le point de lancer une façon transformatrice d’ouvrir des comptes à Maurice.

La bonne gouvernance en termes de transparence, de contrôle de la corruption, de libre fonctionnement des marchés, de la démocratie et de l’État de droit doit s’installer au cœur des politiques de développement que promeuvent les institutions financières. Êtes-vous d’accord ?

Le rôle des banques dans l’économie les place dans une position unique. Elles ont la capacité d’influencer les pratiques de gouvernance de leurs clients et cela peut se constater à un niveau international, surtout au niveau des institutions multilatérales de financement du développement, qui ont d’ailleurs souligné l’importance d’une bonne gouvernance d’entreprise. Leur approche a conduit à un renforcement des structures et des processus qui ont amélioré la prise de décision au sein des entreprises, réformé les relations avec les parties prenantes, tout en réduisant les risques d’investissements, et éviter les risques liés à la réputation.

Par ailleurs, il faut savoir que les banques commerciales internationales ont également rejoint cette pratique. L’existence des normes ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) en découle. De manière générale, cependant, ce rôle n’a pas encore atteint la pratique courante à Maurice. Il y a, bien sûr, quelques exceptions où les normes ESG appliquées aux banques se répercutent sur les clients, mais la capacité à développer, appliquer, tester et auditer des normes ESG plus profondes et spécifiques au secteur est toujours en cours.

 

«BRISER LE PLAFOND DE VERRE, C’EST VALORISER, ÉCOUTER ET RESPECTER LES FEMMES»

Comment mesurer l’efficacité d’une bonne gouvernance en termes de croissance économique ? D’abord, c’est une question bien difficile à répondre. Nous devons faire bien attention à la manière dont nous mesurons l’efficacité, car les baromètres traditionnels peuvent parfois être trompeurs. Au niveau du conseil d’administration, un bon point de départ est la méthodologie du tableau de bord équilibré. Elle s’appuie sur l’approche du tableau de bord équilibré, qui est un ensemble d’indicateurs de sorte que les indicateurs financiers complètent ceux de l’opération, et éventuellement ceux-ci détermineront les performances financières. Cette méthodologie détaille les tâches à accomplir dans le cadre de la mission du conseil d’administration pour améliorer la valeur des parties prenantes à long terme.

Le tableau de bord équilibré du conseil d’administration nous permet de définir la contribution stratégique du conseil, de gérer les performances du conseil et de ses comités, et de clarifier les informations requises par le conseil. Pour ce faire, nous devons examiner les défis qui sont ancrés dans les activités principales de manière granulaire afin de comprendre les liens de causalité. Dans un même temps, on se doit également d’adopter une vision plus large des questions pertinentes afin de tenir compte des diverses perspectives.

Un phénomène qualifié comme le «plafond de verre», qui suppose que les femmes soient particulièrement exposées aux comportements discriminatoires dans les instances de gouvernance des entreprises, alimente les débats ces temps-ci. On parle ici d’un plafond de verre qui est défini comme un ensemble d’obstacles artificiels, créés par certains préjugés et stéréotypes qui empêcheraient les femmes qualifiées d’avancer dans leurs organisations. Comment voyez-vous cette situation à Maurice et comment les institutions financières peuvent-elles briser ce plafond de verre ?

Nous devons être justes et reconnaître que l’île Maurice a fait des progrès. Il y a maintenant plus de femmes dans les conseils d’administration, mais il y a quand même un manque de notions d’urgence. Nous devons continuer à réduire les inégalités entre les sexes au niveau de la gouvernance, mais les progrès doivent se faire de manière plus rapide. De plus en plus de pays ont suivi la voie de la Norvège qui, en 2003, a instauré un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises. Le quota de femmes dans les conseils d’administration est désormais un outil populaire pour faire progresser l’égalité des sexes et peut donner l’impulsion nécessaire au changement. Est-il temps que nous suivions aussi cet exemple ?

Évidemment, on va dire que c’est un sujet qui mérite d’être considéré et débattu. Malgré tous leurs mérites, les quotas de ce genre ne sont pas parfaits. C’est un outil émoussé qui cherche à mesurer la quantité et non le résultat et, par conséquent, ils peuvent parfois être plus symboliques qu’autre chose. Ils permettent aux institutions de s’en sortir en donnant l’impression de se conformer tout en maintenant l’inégalité entre les sexes dans le processus décisionnel interne. Une étude corédigée par la Cambridge Judge Business School et publiée l’année dernière a remis en question l’hypothèse selon laquelle le simple fait d’avoir plus de femmes impliquées entraîne de meilleures performances. L’étude a plutôt mis en évidence la qualité de l’interaction et la sécurité psychologique nécessaire qui caractérise à la fois la confiance et le soutien mutuels, et la prise de risque interpersonnel pour s’exprimer ouvertement.

Briser le plafond de verre, c’est véritablement valoriser, écouter et respecter les femmes. L’inclusion est une première étape précieuse, mais elle va bien au-delà. Il s’agit de donner aux femmes le pouvoir de fixer l’ordre du jour. Au niveau du conseil d’administration, cela signifie que davantage de femmes doivent présider des comités importants. C’est là que nous devons progresser à Maurice. Si les femmes sont plus nombreuses à occuper des rôles décisionnels clés au sein des comités et des conseils d’administration, elles seront plus nombreuses à occuper des postes de direction dans le secteur financier à Maurice.

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