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L’après-liste noire

Il y a quelques années, nul n’aurait imaginé que notre juridiction serait incluse un jour sur quelque liste qu’elle soit grise, noire ou d’une toute autre couleur s’apparentant à tout ce qui pourrait invoquer une connotation négative.

Mal nous en a pris d’ignorer que les acquis, autant qu’ils ont pu être obtenus après maintes difficultés, sont sujets sur une base continuelle à des questionnements émanant de tout bord, qu’ils soient de nature économique, sociale, ou politique, voire même géopolitique. Nous évoluons de plus en plus dans un monde où la convoitise est devenue une réalité quotidienne et aussi où la concurrence est une constante à ne pas négliger surtout quand il s’agit d’assurer la pérennité de l’entreprise, du pourvoi des services et, par extension, celle de l’État de droit que nous sommes. Un peu de rétrospective s’impose justement pour mieux situer les enjeux par rapport à nos précédentes inclusions sur ces listes notoires qui font frissonner plus d’un, à juste titre. Maurice avait été placé sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) en février 2020 après que celui-ci eut relevé cinq déficiences stratégiques dans son mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. S’est ensuivie en octobre 2020 l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’Union européenne (UE) après que celle-ci eut pris note en mai 2020 de l’inclusion de Maurice sur la liste grise du GAFI, d’où il a été exclu en octobre 2021 après avoir donné satisfaction d’avoir pu se plier à 39 recommandations sur 40 sur un laps de temps relativement court. Finalement, cet ouf de soulagement est intervenu en février 2022 où il n’est plus question de notre inclusion sur la liste noire de l‘UE, laquelle exclusion prendra effet officiellement le 13 mars 2022.

«Certaines banques européennes refusaient tout simplement d’agréer aux transferts de fonds destinés aux comptes bancaires se trouvant dans notre juridiction» 

Qu’en est-il maintenant de notre avenir alors que nous ne serons plus sur ces listes dorénavant, nous l’espérons pour toujours ? Avant tout, il serait bien de jauger les contraintes auxquelles Maurice faisait face lorsqu’il était sur la liste grise du GAFI et ensuite la liste noire de l’UE. Le plus grand obstacle demeurait la réputation de notre centre financier qui s’appuie généralement sur des services offerts par des prestataires de service crédibles qu’ils soient locaux ou internationaux, tout ceci dans des paramètres obéissant aux normes internationalement reconnues et acceptées. Notre réputation avait pris un sale coup et justement parmi les implications immédiates, on notait, entre autres, que certaines banques européennes refusaient tout simplement d’agréer aux transferts de fonds destinés aux comptes bancaires se trouvant dans notre juridiction, sur la base de leurs évaluations respectives des risques découlant de notre figuration sur la liste noire de l’UE. Tout ceci aura eu un effet cascade impliquant une hésitation dans un premier temps de la part des clients potentiels susceptibles d’utiliser notre centre financier vu les problèmes qui surgissaient à l’horizon, sans compter le risque d’exode d’autres sociétés ou investisseurs s’y trouvant déjà qui pourraient opter à n’importe quel moment de plier bagages en vue d’aller vers des pâturages moins contraignants et peu risqués. Le maintien de notre inclusion sur les listes grise et noire nous auraient étouffés au fil du temps, quitte à dire que nous serions tout bonnement cuits en matière de tout ce que nous avons pu réaliser au cours de ces trois dernières décennies.

Il faut aussi bien comprendre comment fonctionne le secteur financier mauricien, ses forces, ses faiblesses, les opportunités qui lui ont été offertes afin de l’aider à s’épanouir au fil des trois dernières décennies, surtout après la mise en place des cadres régulateurs entourant le global business, le secteur boursier et le port franc, tout en ne négligeant pas les menaces qui pèsent et ont toujours pesé sur la juridiction mauricienne. La proximité avec l’Afrique et l’Asie, qu’elle soit géographique ou culturelle, nous a sans nul doute bénéficié en termes de concrétisation des accords de non-double imposition des impôts (DTAA) et de promotion et de protection des investissements (IPPA), lesquels ont permis, d’un côté, la réalisation de projets d’investissement de grande envergure en Afrique dans divers secteurs d’activité et de l’autre côté, la floraison des investissements directs étrangers (IDE) en Asie, principalement en Inde. Certes, Maurice a su jouer ses atouts pour attirer les sociétés étrangères, les investisseurs étrangers aussi bien que l’expertise venue d’ailleurs grâce à la main-d’œuvre qualifiée et bilingue qui a été forgée au fil du temps, au système juridique conforme aux normes et standards internationaux, à la stabilité politique et sociale qui y prévaut, à la fiscalité raisonnable adoptée en toute transparence même s’il y a, depuis quelque temps déjà, une prise de position assez rigoureuse de la part des institutions internationales ; en somme une traque aux sorcières visant une uniformité de taxation au travers du monde.

«L’avenir du secteur des services financiers repose sur un renouvellement des ressources humaines»

ecteur des services financiers devrait se jouer autour de la diversification des services offerts, à valeur ajoutée de surcroît, aussi bien qu’autour d’une consolidation des prestataires dans le secteur du global business, en l’occurrence une consolidation des Offshore Management Companies (OMC). C’est d’ailleurs un fait dont on avait témoigné quelque temps de cela mais qui s’est vite estompé. Le ciblage des marchés porteurs d’éléments de croissance s’impose logiquement comme une des réalités auxquelles auront à faire face les opérateurs du secteur des services financiers, tout en ne négligeant pas les marchés et secteurs traditionnels qui nous ont réussis jusqu’ici. La conjoncture internationale exceptionnelle dans laquelle nous vivons ne facilitera nullement la tâche qui incombe à tout un chacun, que ce soit les politiciens, les opérateurs, les régulateurs, bref tous les acteurs évoluant dans l’écosystème du secteur des services financiers à relever les défis qui surgiront de temps à autre. La crise géopolitique en Ukraine ne va surtout pas aider dans ce sens car elle est appelée à perdurer, entraînant à la fois la flambée des prix de diverses matières premières et services. Le prix du baril du pétrole brut est déjà au-delà des 100 dollars (USD), le prix du gaz commence déjà à prendre son envol, tout cela couplé avec un coût du fret ayant déjà pris l’ascenseur depuis le début de la pandémie. Le prix du blé et d’autres commodités connaîtront une appréciation considérable dans les jours, voire les semaines à venir, suivant la crise ukrainienne, exacerbée par l’après-Covid et ses retombées économiques. Avec la montée de l’inflation, notre roupie pèsera encore moins vis-à-vis des monnaies fortes telles que le dollar américain, la livre sterling ou encore l’euro. Un cocktail explosif à faire pâlir les plus téméraires !

Néanmoins, toujours est-il nécessaire de regarder l’avenir avec espoir car le monde tel qu’il existe aujourd’hui a été façonné au fil des millénaires, balloté par le temps et ses caprices, fait et défait par les hommes et les sociétés qui l’ont habité, et secoué par-ci, par-là au travers des refontes qui surgissent à chaque fois qu’un nouvel ordre mondial se dessine. Un resserrement des liens entre le secteur bancaire, le global business, le marché des capitaux, y compris le secteur boursier s’impose afin que la proposition mauricienne vis-à-vis du monde soit perçue comme émanant d’une seule plateforme homogène qui serait susceptible d’accueillir les investisseurs et sociétés désireux d’utiliser la juridiction mauricienne pour leurs besoins et objectifs spécifiques. Un marketing ciblé à  l’international, focalisé sur nos compétences et atouts uniques en la matière avec un rythme soutenu, serait primordial pour que Maurice soit coché de plus en plus dans les prises de décision relatives aux choix d’utiliser tel ou tel centre financier, surtout par rapport à des projets de développement en Afrique, sans pour autant ignorer l’Asie. L’avenir du secteur des services financiers repose sur un renouvellement des ressources humaines car il va sans dire que de telles ressources seront appelées à s’épanouir davantage par le biais du frottement accru avec l’étranger qui est la planche de salut du secteur en question en matière de croissance aussi bien que le développement sous toutes ses formes. Prôner l’ouverture en matière de recrutement de l’expertise étrangère est indispensable à la bonne santé du secteur car tout renouveau, qu’il soit de nature biologique ou économique, requiert l’apport du sang neuf et revigoré. Aussi est-il nécessaire de canaliser nos efforts vers l’innovation, soit penser et faire autrement pour ne pas s’enliser dans les habitudes du passé.

Comme dirait Albert Einstein, «L’imagination est plus importante que le savoir».

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