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Parole d'experts Rencontre

Un agenda pour la résilience économique et sociétale dans l’ère post-Covid

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JAYA PATTEN (DIRECTEUR DE JAYA ADVISORY F

COMMENT l’économie et la société peuvent-elles relever les défis interdépendants liés au climat, aux soins de santé, au logement, à l’éducation, aux besoins en main-d’œuvre, etc. ? Passer d’une posture défensive et des objectifs à court terme, à adopter un programme de croissance durable et inclusif, est complexe à concevoir. Quant à la mise en œuvre, c’est titanesque. Les préceptes d’aide à la décision préconisent de commencer par agenda. Ce point de départ constitue une vue consolidée des thématiques pertinentes. «Nous sommes tous dans le même bateau» ; on a souvent entendu cette phrase pendant la pandémie. Dans la même tempête, probablement. En réalité, certains sont dans des croisières et d’autres sur des radeaux branlants. Les préoccupations sont flagrantes. Il faut réduire les inégalités, offrir des chances égales à tous, sans distinction de classe, de caste, de croyance et de race. Il faut bâtir une économie et une société plus résilientes. La fragilité de la fabrique sociale du creuset multiculturel mauricien ne doit être ni sous-estimée ni ignorée.

Il faut oser s’aventurer même si l’embarcation est frêle. Le cap doit être clair. Les urgences plus essentielles. Le changement ne se fera qu’avec un optimisme de combat qui doit nous animer collectivement. L’année dernière, j’avais proposé «Que chaque Mauricien voie dans l’incertitude une invitation à l’action.» Pour que ce slogan prenne vie, encore faut-il qu’on donne à chaque Mauricien les moyens pour y participer. L’agenda de la résilience devrait comprendre des engagements ambitieux autour de trois thématiques : gestion du capital humain, développement inclusif et faciliter les transformations requises de l’écosystème de la finance pour promouvoir le développement avec impact.

GESTION DU CAPITAL HUMAIN

Notre vrai capital est, en effet, le capital humain. Selon l’Indice de Capital Humain de la Banque mondiale, Maurice enregistre un score de 0,62. Favorable sur le plan géographique mais inférieur à la moyenne des pays à haut revenu. Toutefois, comme le souligne la BM, l’absence de données ne permet pas une analyse comparative par genre et par catégorie socio-économique. C’est à la fois dommage et regrettable. À titre indicatif, 80 % des populations pauvres résident dans les économies ayant un indice inférieur à 0,5. Selon Nitin Rughoonauth, malgré l’augmentation des dépenses publiques, il n’y a pas eu d’augmentation concomitante de la réussite des élèves aux niveaux CPE et SC. L’écart de réussite entre les écoles ZEP et hors ZEP s’est détérioré de 10 points passant de 24 % à 34 % sur la période 2013 – 2020. Cela implique un taux d’échec de 1 sur 3 pour ceux terminant le cycle primaire. De même, une proportion croissante d’élèves inscrits en 11e et 13e année n’obtient pas les qualifications SC souhaitées. Sur la période 2010 à 2020, le taux d’échec est passé de 35 % à 45 %.

Qu’advient-il des 45 % ? Combien entrent en formation professionnelle ? Qu’advient-il du reste? Me basant sur les statistiques au Royaume-Uni où 51 % des étudiants issus de familles à faible revenu échouent en anglais et en mathématiques au GCSE, je dirai que la grosse majorité de ces 45 % viennent de familles à bas revenus. C’est le piège de la pauvreté. Les jeunes ne devraient pas être pénalisés pour le reste de leur vie pour les désavantages subis dans leur enfance, qui sont hors de leur contrôle. L’économie de l’éducation m’intéresse davantage comme membre du conseil de gouvernance d’un établissement d’enseignement public servant les 16 – 18 ans. On a récemment commandé une étude dans le cadre d’une soumission à l’autorité de tutelle. Le retour sur investissement se chiffre à 13,6 %, représentant plus du double du rendement moyen sur trente ans du marché boursier britannique. Chaque livre dépensée produit un bénéfice cumulé de £ 4,80 pour l’économie régionale. Selon les dires des employeurs mauriciens, j’en déduis qu’il y a de sérieux problèmes aux deux bornes de la distribution. Dans les quartiles bas, ceux qui échouent au niveau SC n’ont pas de voie tracée pour intégrer le marché du travail. Dans le décile haut, il y a un manque de diplômés universitaires hautement qualifiés équipés pour pourvoir les postes vacants dans les technologies de pointe et l’innovation.

Modèle économique axé sur l’ESG : nécessité d’un nouveau modus operandi – PPE

La nature incestueuse de la politique mauricienne fait qu’il n’y a pas de clivage gauche droite, impliquant des differences idéologiques marquées en termes des finances publiques. Il ne s’agit plus du niveau des dépenses publiques, mais du déploiement. Il s’agit de veiller à ce que les couches les plus méritantes de la société reçoivent le soutien et l’aide nécessaires. Il n’y a pas de solution miracle et unique. Le bien ne doit pas être l’ennemi du mieux. Le pragmatisme doit primer sur le dogme et le tribalisme. Créativité, audace et ingéniosité sont de mise. Le public, le privé et le secteur à but non lucratif – clé pour les services sociaux vitaux tels que la santé, le logement et l’éducation – doivent réinventer leur mode de collaboration. Collaborative, créative et non traditionnelle, Il faut penser en termes d’un écosystème public – privé (PPE). Le Rwanda est un bon exemple. Malgré ces nombreux défis, heureusement, il y a de l’espoir. Il y a des vents arrière favorables.

LA FINANCE À IMPACT

La nécessité est la mère des inventions : adaptabilité et décisive

Covid a conduit à certains changements transformationnels, notamment l’adoption rapide des technologies dans un laps de temps incroyablement court. Pour illustration, quelques-unes de ces réalisations en Afrique et au Mexique. Le Togo a mis en place un programme de transfert monétaire numérique en 10 jours via la téléphonie mobile. L’Angola a augmenté la couverture d’un programme similaire de 5 800 à 7,7 millions de personnes. Madagascar a augmenté la couverture de 192 000 à 2 millions. La ville de Mexico possède la couverture Wi-Fi gratuite la plus étendue au monde, ce qui contribue à la fourniture de services de base aux ménages les plus vulnérables. Comme disait Desmond Tutu, «Nous devons cesser de simplement repêcher les gens de la rivière. Nous devons aller en amont et découvrir pourquoi ils y sont.» Les observations citées ci-dessus sur les failles dans le système éducatif apportent matière à réflexion. Changer est certes difficile. Des erreurs seront certainement commises en cours de route, à la fois par dessein et par défaut. Mieux, il faut promouvoir une culture qui encourage la prise de risque et où les leçons sont apprises rapidement. Par conséquent, la transparence et la gouvernance sont primordiales pour assurer que les erreurs sont corrigées et minimisées.

Il y a une surabondance d’épargne

  1. Il existe une surabondance d’épargne mondiale. Les réserves mondiales ont augmenté de $1 trillion pendant la pandémie. Dans la zone euro, l’épargne des ménages a augmenté de près € 1 trillion pendant la pandémie.
  2. L’investissement dans les années 2020 sera plus élevé que dans les années 2010, suite à la crise financière mondiale. Les trois principaux moteurs seront : les chaînes d’approvisionnement, les technologies améliorant la productivité et la décarbonisation.
  3. Les investisseurs mondiaux consacrent une part de plus en plus importante de leurs portefeuilles à des projets ESG.
  4. Le monde comptera bientôt un milliard d’internautes de plus qu’il y avait une demi-décennie. C’est un potentiel considérable pour les investisseurs. Fait intéressant : les entreprises susceptibles d’en bénéficier le plus sont généralement les acteurs locaux et régionaux des pays émergents. Ceux qui proposent des solutions innovantes adaptées aux besoins spécifiques des consommateurs des marchés émergents seront les gagnants.

Maurice a d’énormes besoins en infrastructures. Le logement social en est un exemple type. S’assurer que le projet actuel puisse se conformer aux critères ESG aidera clairement à attirer les financements nécessaires. La contribution financière importante du gouvernement pour le programme de 12 000 logements n’est clairement pas réaliste pour le besoin complet de près de 50 000. Le financement privé est indispensable pour résoudre le problème du logement.

J’ai été approché récemment par des institutions financières régionales de l’Afrique occidentale désireuses d’accéder à des financements innovants auprès de bailleurs de fonds spécialisés. Ces derniers opèrent dans l’espace des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Les projets de développement et humanitaires sousjacents vont de la microfinance à des programmes de santé incluant l’éradication du paludisme.

Selon la commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness, «la priorité numéro un est de veiller à ce que les entreprises et les projets qui font du bien à la fois à la planète et aux personnes obtiennent le financement dont ils ont besoin». La toile de fond est prometteuse pour le Global Business, le secteur financier et le secteur naissant de la fintech. Aux décideurs politiques et capitaines d’industrie de l’exploiter. Opportunistes, courageux et surtout affamés, ils devraient l’être. L’enjeu n’est rien de moins qu’un avenir prospère pour la vie organisée sur notre île bien-aimée.

«Il faut réduire les inégalités, offrir des chances égales à tous, sans distinction de classe, de caste, de croyance et de race»

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