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Parole d'experts Rencontre

Vers un retour à l’essentiel

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L'essentiel

Alexandre Laridon Spécialiste en communicationCHAQUE crise est unique. Qu’il s’agisse d’un épisode climatique extrême, d’une guerre civile ou de l’éclosion d’une maladie, chaque crise pose des défis particuliers, souvent existentiels. Cependant, toutes les crises ont en commun de nous forcer à redéfinir l’essentiel. Elles nous obligent à nous adapter en temps réel, à repenser notre mode de vie et à identifier les changements qui s’imposent. Et la crise sanitaire a été une des crises majeures qui a tout bouleversé à travers le monde depuis 2020. Oui, bouleversé est le terme juste pour décrire  l’état d’âme, d’être et d’esprit de tout un chacun depuis l’avènement de la pandémie de la Covid-19. Pendant ces deux dernières années, nous avions l’impression d’avancer à tâtons dans l’obscurité, essayant d’apprivoiser cette nouvelle réalité et de nous adapter à un jeu dont les règles évoluent chaque jour. Un jeu où ce n’est clairement pas le plus fort qui va l’emporter, mais celles et ceux qui s’adapteront le plus rapidement.

La Covid-19 qui a touché tous les secteurs d’activités clés du pays, comme partout ailleurs, a changé tous les codes à ce moment précis et tout le monde s’avançait à l’aveugle dans un contexte où s’entremêlaient risques et opportunités. Avec la pandémie qui a certes mis la planète à l’arrêt et obligé l’humanité à se confiner à plusieurs reprises, avec des conséquences économiques, financières, sociales, humaines et psychologiques, bon nombre d’opérateurs économiques ont dû revoir leur mode de fonctionnement, se réorganiser, se réinventer tout en configurant une transition agile et réactive pour une continuité de leurs activités. Mais pas que… Malgré un cheminement exemplaire depuis son indépendance en 1968, l’île Maurice a pu balayer d’un revers de manche tout le pessimisme qu’on lui accordait en évoluant d’une économie basée sur l’agriculture à une économie diversifiée à revenu intermédiaire avec des secteurs industriels, financiers et touristiques en pleine croissance. Alors qu’il y a cinquante ans, il était difficile d’imaginer qu’une petite île au beau milieu de l’océan Indien – assez fertile mais qui ne disposait d’aucune ressource naturelle connue – deviendrait le modèle d’une industrialisation réussie en Afrique. Pour rappel, en 1961, James Meade, un économiste anglais, estimait que l’absence de ressources naturelles en dehors du sucre, conjuguée à une démographie galopante et au chômage, attisant les tensions communautaires dans une société inégalitaire, condamnait l’île Maurice – alors colonie britannique – à l’échec. Quelques années plus tard, en 1972, c’était au tour de V.S. Naipaul de faire preuve de peu de vision lorsqu’il publiait «The Overcrowded Barracoon». Dans cet essai consacré à Maurice, il ne laissait pas de place au doute. «L’île est excessivement peuplée et son développement est voué à l’échec», avait prédit l’écrivain britannique.

Bien sûr, avec le recul, il est facile de sourire de si peu de clairvoyance. Mais comme le souligne Arthur Silve dans son analyse intitulée «Maurice,  l’industrialisation inclusive», publiée dans le magazine ‘Afrique Contemporaine’ en 2018, «il est utile de rappeler qu’au moment de son indépendance, Maurice [était] l’un des pays les plus pauvres du monde. C’était une économie de monoculture sucrière [avec] une société multiculturelle à forte croissance démographique, marquée par des taux de chômage très élevés  ; autant de facteurs qui pouvaient en effet justifier l’expression d’un tel pessimisme» de la part de ces deux «futurs» prix Nobel de l’époque. Malgré un parcours certes difficile et semé d’embûches, le pays a su maintenir le cap. Qualifié de «tigre de l’océan Indien», il était d’ailleurs un des seuls pays africains à être parvenu à s’extraire de la liste des pays pauvres de la planète pour rejoindre celle des pays à revenu intermédiaire en un laps de temps remarquable.

Mais à l’aube de ses 54 ans, l’île Maurice indépendante se retrouve aujourd’hui face à une remise en question de sa capacité et de ses atouts économiques ainsi que la nécessité de se réinventer afin d’affronter les enjeux économiques mondiaux. Ceci pour les prochains cinquante ans  ; surtout avec une économie qui s’est tellement tournée vers l’extérieur et qui joue contre nous aujourd’hui étant donné cette grande dépendance sur l’exportation alors que le flou persiste toujours quant à la relance économique qui est tributaire de la crise sanitaire. En d’autres mots, ce qui se passe chez nous dépend de ce qui se passe ailleurs. Entre-temps, avec la croissance économique qui s’essoufflait déjà depuis ces dernières années avec le chômage qui ne cesse d’augmenter, au sein d’une population qui vieillit, il est évident que le modèle économique post-indépendance qui nous a certes bien servi démontre objectivement que nous avons beaucoup perdu de sa superbe avec l’impact de la Covid-19 qui n’a été qu’un «wake-up call». Un demi-siècle après, il faut reconnaître que ce modèle est dépassé et obsolète  ; et il ne pourra nous sortir de notre stagnation à moins de nous retrousser les manches pour innover et explorer de nouvelles approches afin de nous sortir des sentiers battus. Et c’est là où la communication comme vecteur pourrait aussi jouer un rôle prépondérant !

«Les crises nous obligent à nous adapter en temps réel, à repenser notre mode de vie et à identifier les changements qui s’imposent»

Bien que la communication soit essentielle en situation normale, elle devient indispensable en situation de crise. Et ceci est vrai pour un couple, une entreprise ou un pays. La crise, comme celle de la pandémie, se caractérise par les éléments suivants  : l’incertitude, la soudaineté, l’impact économique, la médiatisation négative, le changement conduisant à une transformation brutale des secteurs économiques et l’opportunité potentielle qui sont susceptibles de mettre en jeu l’existence même des divers secteurs d’activités ou des entreprises. Dans cette perspective, la crise est conçue comme un événement soudain et imprévisible dont les conséquences pouvant être fatales, exigera adaptabilité et réactivité pour répondre aux attentes.

le-versement-prolonge-de-certaines-aides-pendant-la-crise-sanitaire-1Pour de nombreux experts, la période que nous traversons représente un point de non-retour, un basculement impactant la société et ses valeurs, au profit du bon sens collectif. Un point de non-retour, si ce n’est un retour à l’essentiel. Plus que jamais, les entreprises des différents secteurs d’activités du pays devront assurer une communication responsable, raisonnée, authentique, durable… En synthèse, une communication essentielle, c’est-à-dire une communication connectée à la raison d’être.

Activer une écoute sociale serait déjà une première étape à (re)mettre  en pratique. En tant que communicant, nous avons deux rôles à jouer aujourd’hui. Le premier  : nous assurer que la raison d’être est authentique. Le second est d’assurer la bonne temporalité pour communiquer. Il est impératif qu’on redouble de créativité en réévaluant le mode de communication, la tonalité et surtout la pertinence des messages qui sont un enjeu majeur dans ce cadre de post-Covid-19 et qui requièrent aujourd’hui une communication plus horizontale, plus directe, humaine et résiliente. L’exercice sera d’autant plus intéressant qu’en réalité – et c’est bien la caractéristique essentielle de cette crise particulière – il sera sans précédent. Mais il s’agira bien de reformuler la vision, donner une perspective et une profondeur de champ qui rassureront et apaiseront les attentes de toutes les parties prenantes de la vie économique du pays.

 

Dorénavant, les entreprises devront relever le défi de trouver un équilibre entre l’humain et la machine, entre le physique et le digital, entre le profitable et le responsable. Les agences et les entreprises qui sauront s’adapter à la vague de tendances changeantes provoquées par la pandémie s’en sortiront bien dans le tribunal de l’opinion publique postCovid en exposant de manière objective et pragmatique les contours des enjeux majeurs qui nous attendent.

 

Le temps d’une communication à sens unique est désormais révolu. Demain, la communication devra être bidirectionnelle pour être efficace et pertinente. Devant être la marque de fabrique de toute campagne de relations publiques, de notoriété ou encore de stratégie de gestion de la réputation, cette tendance servira non pas comme une clé de voûte mais davantage comme fondation pour bâtir et rebâtir notre économie avec succès.

 

En gommant le futur, tel que nous le concevions, ce sont le passé et le présent qui, eux aussi, sont remis en cause. Ce que nous tenions pour acquis du passé et des valeurs du présent, sans projection possible, sont à repenser et redéfinir. Ce qui vaut pour les individus, l’est aussi pour le pays et les entreprises, de façon amplifiée. Il y a dans cette période de crise des opportunités et une liberté de création que nous avons rarement vécues. Alors saisissons-les et poussons-nous à nous sortir de notre zone de confort  ; car un retour à l’essentiel est plus que nécessaire.

 

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