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Amit Bakhirta – «Ma vie est un long apprentissage»

Nous le rencontrons dans l’atmosphère chic du Labourdonnais où les arts culinaires, par essence éphémères, se mêlent aux arts subtils du lieu. Notre regard est irrémédiablement attiré vers les grandes fenêtres qui cadrent une vue grandiose sur le port. Ce cliché imprescriptible donnerait à plus d’un des envies de prendre le large, le cœur insouciant et en ne comptant que sur le bon vent.

Amit Bakhirta, impeccablement et soigneusement vêtu, est un homme intéressant et intense, franc et fracassant qui se raconte sans faux-semblant. «J’ai du mal à mettre des filtres dans ma vie», nous dira-t-il. Il possède surtout un état d’esprit empreint d’humilité, reflet d’un parcours de débrouille douloureuse. Son cheminement nous renvoie immédiatement à une citation de Richard Nixon : «Only if you have been in the deepest valley, can you ever know how magnificent it is to be on the highest mountain».

Se débattre dans une profonde et sombre vallée, telle a été l’enfance d’Amit Bakhirta. À neuf ans, il est confronté à la mort : celle de sa mère, Nirmala Ittoo-Bakhirta, à la suite d’une maladie. «Face à la mort, tout devient insignifiant», reconnaît-il dans un murmure. Il tourne la tête un court instant puis son regard nous fixe de nouveau intensément. On sent bien que ce regard est tourné vers d’autres, peut-être vers ceux qui sont restés derrière. «Je parle rarement de ce moment de ma vie. C’était quelques mois avant les examens du CPE. Cela m’a profondément ébranlé d’un côté et de l’autre, cela m’a doté d’une maturité et d’une autre perspective de la vie et de la mort. Quoi qu’il en soit, à 9 ans, j’ai cessé de vivre comme un enfant ; c’était comme dans un néant», relate-t-il.

La famille maternelle d’Amit Bakhirta est originaire de Vacoas. Son père, lui, vient de la Grande péninsule ; une région himalayenne située entre l’Inde et le Tibet ; des ‘montagnards’. Ses parents se sont rencontrés quand sa mère étudiait à Chandigarh. Après le décès de sa mère, Amit Bakhirta et sa sœur, Sapna Bakhirta, d’un an son cadet, sont alors confiés aux grands-parents maternels et grandissent dans une nouvelle famille déchirée après la seconde union de son père. Il connaît des années relativement dures, assez problématiques, et passa beaucoup de temps en dehors de la maison, dans la rue. Les voisins et amis devinrent alors sa famille. «J’ai grandi en tant qu’une personne multiculturelle et très laïque. La bienfaisance de certains de mes voisins, en particulier la famille Jauhangeer qui m’accueillait à toute heure à leur table, est restée gravée dans ma mémoire», dit-il.

Obsession pour la finance

Très jeune, il est déterminé à être financièrement indépendant et vers l’âge de onze ans, il décide de goûter au dur labeur du monde du travail. Il est alors tour à tour balayeur dans des usines de textile, aide-mécanicien, aide-maçon, entre autres. Autant qu’il s’en souvienne, il lui a toujours fallu durement travailler pour avoir quelque chose. À l’école Aryan Vedic et ensuite au New Eton College, où il fait sa scolarité secondaire, il perd tout attrait pour les études. Il lui manquait l’encadrement et la stabilité familiale nécessaires pour le soutenir.

Pour s’évader, il se plongea d’abord dans le sport – il a été élu meilleur joueur de foot et assumé la responsabilité de capitaine de la sélection nationale de foot de Maurice des moins de 13 ans – puis dans les livres, dévorant tout ce qui lui passait sous la main ; c’était pour lui la seule façon de remplir son esprit de choses positives mais aussi d’intellect. Très tôt, il a commencé à mettre beaucoup de choses en perspective et à se poser des questions d’ordre philosophique, tel le lien entre la matière et l’esprit. À l’écouter, on comprend très vite qu’on pourrait lui parler durant toute la nuit, en le suivant volontiers dans les méandres de son enfance perdu tout en étant suspendu à ses pensées intelligemment élaborées et politiquement concernées ; des pensées tellement gonflées à l’hélium de ses épreuves passées qu’on peine parfois à les attraper au vol.

Face à une crise existentielle et l’instabilité familiale, il abandonne les études au profit du monde du travail. Il rejoint Nando’s en 1997 et commence comme plongeur pour être très rapidement promu – après trois mois – comme Restaurant Manager, à seulement 18 ans. Il fait après un passage à Pizza Hut ou encore dans des hôtels mauriciens. Entre-temps, il économise sou par sou et complète en tant qu’étudiant indépendant ses études secondaires. Avec l’aide de son grand-père, Babun Ittoo, et d’un ‘deal’ familial, il s’envole pour le Bangalore pour des études en hôtellerie avec une spécialisation en management. Bon dans les chiffres et fasciné par la bourse et l’économie, il développe en Inde une obsession pour la finance. Ce sera cela sa vocation. Il rentre à Maurice, hypothèque la petite maison familiale et, avec l’aide de sa sœur, s’endette avec un prêt étudiant pour poursuivre en Angleterre, à la London School of Commerce, un Post Graduate Diploma in Business Administration & Finance puis à la Cardiff University/Prifysgol Caerdydd, où il opte pour un Master of Business Administration (‘MBA’) en finance. Pour financer ses études, il se partage entre quatre jobs et parallèlement se perfectionne à travers des internats ; le travail dur ne l’a jamais effrayé. Pour lui, aucun obstacle n’est insurmontable.

De banquier à analyste financier

Après ses études, il commence sa carrière dans le secteur bancaire comme banquier d’affaires. Après AfrAsia Bank du groupe IBL où l’équipe fondateur, en particulier Ben Padayachy, le recrute alors comme Investment Banking Analyst, il rejoint le groupe Ciel, plus précisément la société d’investissement IPRO avec Stéphane Henry, qui croit en lui et débute comme analyste financier, puis devient rapidement Fund Manager, aidant à gérer des milliards pour des milliers d’investisseurs. Après trois ans, à 31 ans, on lui propose le poste de Managing Director de la filiale d’IPRO au Botswana. Après huit ans au sein du groupe à créer et gérer des solutions d’investissement multi-actifs africaines investissant dans plus de 25 pays africains, entre autres, il se lance en tant qu’entrepreneur dans l’aventure d’Anneau en 2016. Anneau est une société de services financiers spécialisée dans la gestion des investissements, la gestion de portefeuilles et le conseil à Maurice et en Afrique. 

«Par manque de soutien, je perds mon premier deal au Kenya en 2017 et fais face à mon premier échec en tant qu’entrepreneur. ‘Presque’ ne compte pas ; c’est ce que je retiens de cet échec. J’avais ensuite la possibilité d’abandonner et de retourner vers ma zone de confort (qui reste souvent ‘spirituellement et intellectuellement emprisonnant’) ; mais je me suis appuyé sur mon échec, avec ma peau nettement plus dure (qui s’était un peu ‘ramollie’ par un confort matériel dû purement à une réussite professionnelle au bout de plus de deux décennies de sueur) pour rebondir comme je l’ai toujours fait tout au long de ma vie», soutient-il.

Il décide de persévérer dans l’aventure avec le soutien de son épouse, de sa famille, de ses courageux collaborateurs, et aujourd’hui Anneau est en train de prendre de l’ampleur à Maurice avec des centaines de clients qui lui ont fait confiance. «Nous voulons démocratiser l’accès aux investissements ; hormis notre

pôle institutionnel, nous sommes une société dans la haute finance offrant un service de premier plan pour les clients de tout bord ; des moins modestes au plus fortunés. Nous sommes une équipe jeune qui a faim et motivée d’être le meilleur dans le domaine», soutient-il.

Aujourd’hui à 41 ans, il est marié à Doris Angeline-Bakhirta. Il se donne corps et âme au développement d’Anneau car forcément, cela demande des investissements aussi bien financiers que psychologiques. Il termine sur cette note philosophique : «Avec mon épouse, nous sommes en train de ‘manger tout ce qui est amer’ aujourd’hui pour pouvoir profiter du ‘miel’ demain et surtout pour pouvoir positivement contribuer à améliorer la société. Je rêve d’inspirer les jeunes car, que ce soit mon épouse ou moi, nous venons de familles assez modestes. Avec une tolérance à la douleur, le sacrifice, l’obsession, l’humilité, l’assiduité et l’intellect, tout est possible». 

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En aparté

Le dernier endroit où vous vous êtes rendu ? Qu’avez-vous appris de ce voyage ? : «J’étais au Kenya où j’ai précieusement appris qu’un ‘deal is done when a deal is done’.»

Quel talent auriez-vous aimé avoir ? : «Celui de pouvoir acquérir de la sagesse.»

Quel livre suggéreriez-vous à un étranger ? : «Le troisième œil de Lobsang Rampa. Un livre que j’ai lu adolescent quand j’étais dans la misère émotionnelle, spirituelle, intellectuelle et matérielle.»

Vos sources d’inspiration ? : «Steve Schwarzman, le fondateur de Blackstone ; Larry Fink, le fondateur de Blackrock. Puis ce sont des gens comme John D. Rockefeller ou encore JP Morgan. Le compositeur Mozart m’a appris la précision ‘harmonique’. Mais aussi Nelson Mandela. Ce grand homme m’a appris le courage de sacrifier sa vie pour une idéologie, un rêve. Sans aucune garantie de réussite.»

Un rêve qui vous anime ? : «Inspirer la jeune génération mauricienne présente et future qu’on peut bâtir à la force de ses mains ce dont à quoi on aspire en éliminant les barrières métaphysiques et psychologiques qu’on s’impose.» 

Votre philosophie de la vie ? : «Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.» Par cela, Socrate prône que la reconnaissance de notre ignorance est l’attitude nécessaire à adopter face à la quête du savoir.»

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