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Manisha Dookhony (Managing Partner, Rwenzori Consulting) – Lever les freins à un développement durable

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Manisha Dookhony (Managing Partner

Bien sûr, chacun a son opinion et sa propre lecture de l’exercice budgétaire en fonction de sa situation personnelle et professionnelle. Je vous propose une analyse thématique au travers de ce que l’on appelle en économie les «binding contraints», que l’on pourrait traduire en français : les freins au développement. L’analyse des contraintes vise à comprendre quels sont les éléments qui freinent la croissance d’un pays. Ces binding constraints et vulnérabilités avaient déjà considérablement limité notre potentiel de développement avant la crise et pourraient freiner la relance si elles ne sont pas adressées. Dans ce contexte, il y a des éléments de ce Budget qui visent à lever ces freins au développement.

Tout d’abord, essayons d’identifier quelles sont ces bindings contraints pour Maurice. Ces contraintes peuvent se résumer : (i) au manque d’innovation ; (ii) aux difficultés de compétitivité ; (iii) à nos ressources humaines insuffisamment formées aux secteurs porteurs ; (iv) au faible rayonnement géographique de nos entreprises et (v) à la forte dépendance extérieure. Plus récemment, (vi) la menace de l’EU Blacklisting pourrait devenir un blocage majeur pour le secteur financier. Le Budget apporte des réponses par rapport à ces obstacles. Voici celles qui ont retenu mon attention en commençant par la question de l’innovation.

Comme le précise la Banque mondiale, notre économie est confrontée au défi de gérer sa transition vers une économie à revenu élevé fondée sur la connaissance stimulée par l’innovation et la hausse de notre productivité. Les mesures du Budget qui vont dans ce sens sont : la mise sur pied du Data Technology Park à Côte d’Or ; d’un centre d’intelligence artificielle et la création d’un fonds pour investir dans des projets de technologie et d’innovation que le Mauritius Research and Innovation Council recommandera. Ce sont des mesures qui permettront de soutenir l’innovation pour nos entreprises.

Des actions sont aussi inscrites dans le Budget pour faire innover les services qu’offrent les administrations telles que : les guichets uniques pour le commerce, l’enregistrement de propriété via le système de registre électronique, la création d’un nouveau système de gestion de l’information des terres basé sur la technologie Blockchain. Toutes ces mesures sont bénéfiques. Elles en appellent d’autres qui, je l’espère, verront le jour comme : des e-services pour l’octroi du certificat de casier judiciaire (Morality Certificate).

Une autre nouveauté incluse dans le Budget pour l’innovation, c’est le soutien à la mise sur pied d’un secteur de production de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux. En Europe, aux États-Unis ou en Chine, les technologies basées sur l’intelligence artificielle entraînent des changements significatifs dans le secteur pharmaceutique et de la santé. L’interconnexion des technologies numériques et de la pharmaceutique est à la source de grand nombre d’innovations dans le secteur. J’espère que Maurice pourra créer une pépinière d’entreprises et un jour créer des acteurs importants, à l’instar des Biogen, Sanofi ou Pfizer. Cela nécessitera bien sûr l’investissement dans les ressources humaines, un environnement législatif adapté comme une loi robuste sur la propriété intellectuelle, d’un écosystème facilitant la recherche, de fonds d’investissement et de la collaboration avec les industries du secteur privé local et international. Le succès des parcs pharmaceutiques réside aussi et surtout dans l’interconnexion avec les universités et laboratoires.

Par rapport aux ressources humaines et au domaine de la formation, une mesure intéressante du Budget est la proposition d’encourager les 500 meilleures institutions du monde à créer des campus chez nous. Ce n’est pas un objectif impossible à atteindre. Par exemple, l’université Carnegie Mellon (27e au classement des universités mondiales en 2020) a déjà un campus au Rwanda. Pour réaliser cet objectif, il faut mettre à contribution notre diplomatie et nos contacts internationaux pour discuter au plus haut niveau avec ces universités. La proposition de la création d’un national e-learning platform vient à point nommé. Avec le confinement et les restrictions sanitaires, le secteur de l’enseignement et de la formation s’est retrouvé en difficulté. La crise nous a montré à travers le monde que les écoles et universités qui possèdent des plateformes digitales modernes s’en sortent mieux que les autres. Étant un petit État insulaire, loin de tout, nous faisons face à pas mal de vulnérabilités, notamment au niveau des chaînes d’approvisionnement, de nos marchés lointains, de la gestion durable de notre environnement, de la sécurité alimentaire et de certaines fournitures ou encore de soins médicaux. Nous sommes aussi en plein milieu de grands changements géopolitiques internationaux. Les cartes se redessinent et nous devons nous adapter en conséquence. Nos partenaires traditionaux restent, bien sûr, incontournables, mais nous devons renforcer nos partenariats régionaux ainsi que nos liens et échanges avec l’Afrique. Nous avons des synergies avec ce grand continent que nous ne développons pas assez et pourtant, nous avons des atouts et un savoir-faire qui nous permettraient de faire plus pour un bénéfice mutuel avec nos partenaires africains. C’est une bonne chose que le Budget mette l’accent sur cette opportunité en incluant une enveloppe de 10 milliards de roupies pour des investissements en Afrique. De même, le Freight Rebate scheme vers les marchés africains est très important pour nos imports et exports de et vers le continent. Cette crise est l’occasion de promouvoir les actions en lien avec l’environnement, l’agriculture locale et une plus grande autosuffisance alimentaire. Une provision de 2 milliards pour le National Environment Fund va permettre de soutenir l’agriculture et l’industrie agroalimentaire locales. Il faut que les supermarchés jouent aussi le jeu avec une plus grande visibilité de nos produits ‘Made In Mauritius’ sur les rayons. La mise en place d’une Land Bank (publique et privée) sous l’égide de Landscope est une bonne chose. Dans les pays que je conseille, nous avons lancé des appels à manifestation d’intérêt pour l’identification des terres qui peuvent être mises à la disposition des investisseurs. Ces initiatives ont permis de créer une banque de données et favorisé des projets de toutes les tailles, que ce soit dans l’agriculture, l’énergie ou le tourisme.

Par rapport à nos nouveaux freins à la croissance, la menace de l’UE Blacklisting est un très gros challenge pour notre économie. Le gouvernement est en train de mettre les bouchées doubles pour essayer d’éviter l’inévitable. Peut-être réussiront-ils à sortir de cette impasse cette année, mais ce sera difficile. Il est possible que ce ne sera qu’en 2021. D’ici là, le mal sera fait. Il y aura un gros effort à faire pour se conformer aux normes de l’UE. Mais surtout un plus gros effort pour refaire notre image.

Si ces projets sont mis en œuvre, je pense que dans quelques années, nous serons sur un chemin de croissance plus élevé parce que nous allons pouvoir franchir les restrictions des binding constraints à notre développement économique. Dans ce Budget, le gouvernement met en place des moyens financiers et incitatifs. Mais beaucoup de projets qui y figurent avaient été annoncés lors des précédents exercices. Il semble donc qu’il y a un problème au niveau de l’implémentation. Il est donc nécessaire, dans le cadre où nous sommes en train de faire une auto-évaluation, de voir pourquoi certains projets avancent très bien, et d’autres peinent à démarrer. Et de prendre les mesures nécessaires pour qu’ils puissent être mis en chantier. Il serait également intéressant de mettre en place un mécanisme de suivi des projets et mesures annoncés.

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