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Édito

1968 – 2023 : Consolider les fondations de l’économie

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Dans les années 50 et 60, le processus de décolonisation a été extrêmement douloureux surtout dans les colonies françaises. Tant de sang a été versé lors de guerres et d’insurrections avant que l’Algérie, l’Indochine, Madagascar, la Guinée, le Maroc ou encore la Tunisie ne puissent se libérer du joug de la dictature coloniale.

À Maurice, si elle n’a pas été accompagnée de déchaînement de violence, la décolonisation n’en a pas moins laissé des traces indélébiles. Après le douloureux épisode de l’indépendance de l’Inde qu’elle tentera en vain de réprimer à coups de baïonnette, la Grande-Bretagne avait fini par comprendre qu’un vent de changement soufflait et qu’elle devait accorder la souveraineté à ses colonies dont l’administration était devenue, a fortiori, trop coûteuse.

Après la Conférence de Lancaster de 1965, tout était acté. Sir Seewoosagur Ramgoolam, alors Chief Minister, obtenait l’assurance du Premier ministre britannique, Harold MacMillan, que l’île Maurice obtiendrait son indépendance. Mais il y eut une terrible contrepartie ; c’est le retranchement de l’archipel des Chagos du territoire mauricien. Suite à quoi, 2 000 Chagossiens vivant sur Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia sont déportés vers l’île Maurice et les Seychelles de 1967 à 1973.

Passé le moment solennel de l’abaissement de l’Union Jack et du lever du quadricolore national au Champ de Mars le 12 mars 1968 en présence du dernier Gouverneur, sir John Shaw Rennie, et de sir Seewoosagur Ramgoolam, l’heure était au travail. La tâche qui attendait la jeune nation était herculéenne. Déjà, en septembre 1961, James Meade, dans un article publié dans l’Economic Journal et intitulé Mauritius: a case study in malthusian economics, prédisait que l’île Maurice allait se fracasser contre un mur. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, notre économie dépendait quasi exclusivement de la canne à sucre. Ainsi, au moment de l’étude, nous étions une monoculture avec 99 % de nos recettes d’exportation découlant du sucre et de ses sous-produits. De plus, nous dépendions de l’importation pour nos besoins alimentaires (c’est une faiblesse structurelle qu’on a très peu corrigé en 60 ans), vestimentaires, en termes de biens de consommation, matières premières et biens d’équipement. Ensuite, nous étions un État insulaire faiblement industrialisé. En tant que tel, il était fort probable qu’on s’emmêle dans les mailles du piège malthusien de la surpopulation. Pour étayer son analyse, James Meade s’appuyait sur l’explosion démographique dans le pays suivant la Seconde Guerre mondiale ; un dénominateur commun qu’on retrouve dans les États sous-développés.

Le futur prix Nobel de l’économie relevait d’autres facteurs qui, éventuellement, pousseraient le pays vers le tiers-mondisme, à savoir un faible niveau de formation ; le fait que, géographiquement, nous sommes plus éloignés de 25 % à 30 % des principaux marchés européens que nos pairs africains ; et la possibilité de tensions ethniques découlant d’une population très diverse dans sa composition raciale, religieuse et linguistique.

Selon le rapport de James Meade, le produit national brut de Maurice fluctuait entre Rs 566 millions et Rs 587 millions de 1953 à 1958. Concernant le revenu par tête d’habitant à prix constants, il s’affaiblissait d’année en année, chutant progressivement de Rs 1 078 à Rs 956 durant cette période.

Certes, l’histoire donne aujourd’hui tort à James Meade, mais sa mise en garde n’est pas tombée dans l’oreille de sourds. Loin d’être braqué par ces prévisions funestes, le gouvernement d’unité nationale, avec comme têtes d’affiche sir Seewoosagur Ramgoolam et sir Gaëtan Duval, se basera sur les recommandations de James Meade pour développer l’industrie de substitution à l’importation. C’était la naissance de l’industrie locale. Toutefois, cette stratégique se révélera inefficace pour régler la problématique du chômage, qui était autour de 15 % à la fin des années 60. Mais elle jettera les bases pour la création de la zone franche au début des années 70. Calquée sur le modèle de la Kaohsiung Export Processing Zone de Taïwan, la zone franche inaugurera une nouvelle ère de croissance pour le pays. Ainsi, de 1970 à 1974, le PIB en valeur nominale passera de Rs 1 milliard à Rs 3 milliards. Quant à la croissance, elle grimpera successivement de -0,2 % en 1970, à 4,9 % en 1971, 10,6 % en 1972, 11,6 % en 1973 et 10,8 % en 1974. Les années 70 verront également l’avènement du secteur touristique grâce à la vision d’Amédée Maingard qui ouvrit plusieurs hôtels de luxe.

Les premières années de l’île Maurice post-indépendante ont été cruciales dans sa trajectoire de développement. Tout au long de ces 55 dernières années, le pays n’a eu de cesse de se réinventer et de diversifier sa base économique. C’est ainsi que Maurice a, tour à tour, embrassé son industrialisation dans les années 70, avant de connaître son premier miracle économique une décennie plus tard, grâce à la montée en puissance de la zone franche et du secteur touristique. Les années 90 et 2000 ont été marquées par la création de l’offshore et le renforcement du secteur financier bancaire et non bancaire ; le développement de l’immobilier de luxe qui a participé à l’ouverture de l’économie mauricienne ; la mise en orbite du secteur des Tic-BPO et le décollage de la grande distribution, notamment. Dans le même temps, les réformes fiscales et structurelles initiées par l’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, ont joué un rôle pivot sur le plan de la facilitation des affaires.

Tout au long de ce cheminement, le développement humain n’a pas été négligé. Des mesures progressistes et révolutionnaires comme la gratuité de l’éducation ont permis au pays d’avoir une population éduquée et de pouvoir s’appuyer sur un bassin de main-d’œuvre qualifiée.

Ce périple n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Les vents contraires ont soufflé très fort. À chaque fois, l’on a survécu. Il y a eu la crise pétrolière de la fin des années 70 et le passage des cyclones Gervaise et Claudette qui ont poussé les autorités à procéder à deux dévaluations successives de la roupie, le démantèlement progressif du protocole sucre à partir de 2005, la crise économique de 2007-08 et, plus récemment, la pandémie et la guerre en Ukraine, qui ont failli faire écrouler tout l’édifice. Grâce à la résilience acquise au prix d’efforts considérables sur ces 55 dernières années, l’on a passé le cap le plus difficile.

Aujourd’hui, les nuages qui obscurcissaient l’horizon se dissipent et l’on entrevoit les premiers signes de la reprise. Mais, pour en tirer pleinement avantage, il va falloir promouvoir une culture du travail et de productivité à tous les échelons dans les organisations, corriger les déficiences structurelles inhérentes à notre économie, poursuivre les efforts de diversification, promouvoir un modèle plus durable et inclusif, assainir les finances publiques et renforcer nos institutions devenues chancelantes, à force d’être minées par les ingérences politiques. Consolidons nos fondations et repartons sur des bases plus solides !