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Congé de maternité d’un an: Est-ce réaliste et réalisable?

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Congé maternité

Le prolongement du congé de maternité sur une période de 12 mois fait débat. Le voeu de l’alliance de l’opposition, c’est que Maurice emprunte le même chemin que les pays nordiques, à l’instar de la Suède et de la Norvège. Mais, les entreprises sont-elles prêtes à une telle révolution?

 

Congé de maternité. En cas d’une victoire aux prochaines élections, l’une des mesures phares que l’alliance Parti Travailliste-MMM-Nouveaux Démocrates mettra en œuvre est un congé de maternité s’étalant sur un an. De même, un congé menstruel sera introduit. L’absence de détails sur les modalités d’application de cette mesure laisse place à l’incertitude.

Comme le souligne le Dr Myriam Blin, Gender Economist, les études montrent que des congés de maternité jusqu’à six mois sont bénéfiques tant pour la santé des mères et des enfants que pour le maintien des femmes dans l’emploi. Elle précise que les effets sur la santé au-delà de cette durée – 6 mois – semblent marginaux. Toutefois, des congés plus longs – jusqu’à 1 an – pourraient impacter négativement les salaires et l’emploi des femmes moins éduquées.

«Les congés de maternité plus longs ont un effet positif seulement sur l’emploi des femmes plus éduquées car il augmente l’attachement de cette catégorie de femmes au marché du travail. En revanche, ils ne favorisent pas leur progression de carrière. Cela ne veut pas forcément dire qu’un congé d’un an n’est pas bénéfique ; il y a d’autres critères à considérer, comme, par exemple, le bien-être de la famille. Des pays comme la France et les nations nordiques, avec leur généreux système de congé parental soutenu par une forte sécurité sociale, offrent des modèles partiellement instructif où la charge n’est pas unique- ment sur l’employeur», indique le Dr Myriam Blin.

L’économiste Manisha Dookhony souligne que la mise en place de cette mesure, déjà en vigueur dans certains pays tels que le Royaume-Uni, est réalisable. Cependant, elle souligne qu’il s’agit avant tout d’un choix pour les femmes, souvent confrontées à un dilemme entre leur carrière et leur vie familiale. Des études sur les congés de maternité prolongés (généralement définis comme d’une durée d’un an ou plus) ont été menées dans les économies développées, où ces congés incluent également une rémunération. Il a été démontré que ces dispositions – bien que le niveau exact de rémunération varie selon chaque pays – peuvent nuire à la progression de carrière des femmes.

«Des recherches montrent que des congés de maternité plus longs sont liés à une réduction des salaires et à un accès plus restreint aux postes de niveau supérieur et à d’autres avancements de carrière. Cela pose problème pour les gouvernements, les organisations et la société dans son ensemble car cela suggère que des politiques bien intentionnées d’allongement des congés de maternité pourraient à leur tour se retourner contre eux et nuire à la carrière des femmes. À ce titre, trouver des moyens de lutter contre les effets négatifs des congés de maternité plus longs est d’une importance capitale pour favoriser la progression de carrière des femmes», fait ressortir Manisha Dookhony.

Elle suggère qu’avec certaines modifications, cela pourrait être bénéfique pour les familles. Cela impliquerait notamment de transformer le congé de maternité en congé parental, permettant ainsi aux deux parents de partager les responsabilités ; de prolonger la période pendant laquelle ces congés peuvent être pris, soit sur deux à trois ans (c’est-à-dire jusqu’à l’âge de la maternelle) et d’offrir une plus grande flexibilité dans la prise de ces congés de maternité. Par exemple, cela pourrait inclure la possibilité pour les femmes de travailler trois à quatre jours par semaine sur une période prolongée.

 

LES CAS DE LA SUÈDE, DE LA NORVÈGE ET DU CANADA

 

Il est vrai qu’un congé de maternité prolongé présente des avantages indéniables pour le bien-être des mères et des enfants. Comme le fait ressortir le Dr Takesh Luckho, économiste, cela permettrait aux mères de se reposer davantage après l’accouchement et d’allaiter leur bébé plus longtemps ; ce qui aurait des effets positifs sur le développement du nourrisson. La Suède, la Norvège et le Canada figurent parmi les pays offrant les congés de maternité les plus longs au monde, allant jusqu’à 12 mois ou plus.

«On a déjà des procédures bien établies dans ces pays. Donc, cette mesure est tout à fait réaliste et réalisable. Maurice fait actuellement face à une pénurie de main-d’œuvre alors que 60 % des femmes ne font pas partie de la population active. Des recherches menées par l’Institute for Women’s Policy Research ont démontré que les pays qui ont instauré des congés de maternité plus longs ont enregistré une hausse de la participation des femmes à la main-d’œuvre et une croissance économique plus importante», explique le Dr Takesh Luckho.

Mais, comme le fait remarquer le Dr Myriam Blin, à Maurice, l’anticipation de longues absences peut inciter les entreprises à hésiter dans l’embauche de femmes en âge de procréer. Un congé de maternité prolongé pourrait exacerber cette réticence. Toutefois, elle ajoute que la recherche montre qu’une politique de congé parental équilibrée, encourageant la participation des pères, pourrait contrecarrer ces tendances en redistribuant les responsabilités familiales. Cela pourrait à terme modifier les perceptions et améliorer l’intégration des femmes sur le marché du travail.

Elle rejoint les arguments de Manisha Dookhony sur l’adoption d’un congé parental d’un an partagé entre les pères et les mères. «Il pourrait inclure une obligation, ou du moins une incitation financière, favorisant le partage équilibré du congé entre les deux parents. Par exemple, l’instauration d’un quota, comme en Suède, imposant à l’un des parents de prendre un minimum de mois déterminé pourrait être envisagée, ou bien des avantages financiers pour encourager une répartition équitable comme en France. La recherche suggère que de telles politiques peuvent transformer les mentalités concernant la répartition des responsabilités parentales au sein du foyer et indiquent égale- ment que l’augmentation du congé pris par les pères est susceptible de stimuler l’emploi des femmes ainsi que leur rémunération», souligne le Dr Myriam Blin.

Le Dr Takesh Luckho est, lui, d’avis qu’il y aura la crainte que les entreprises pourraient être tentées de favoriser les candidatures masculines lors du recrutement de personnel, en raison de la frayeur d’une diminution de la productivité ou de perturbations dans leurs activités productives en raison d’absences prolongées des employées en congé maternité. Aussi, le financement des congés de maternité plus longs pourrait représenter une charge supplémentaire pour les entreprises, en particulier les PME, les incitant à limiter l’embauche de femmes en âge de procréer dans le privé. Mais il rassure, précisant qu’il est tout à fait possible de mettre en œuvre des aides financières et des mesures de soutien spécifiques afin de soulager la charge des entreprises liée aux congés de maternité prolongés, prioritairement pour les PME. Il prend comme exemple le système de Statutory Maternity Pay et la Maternity Allowance en Angleterre. Cela offrirait aux entreprises la possibilité de s’ajuster à cette nouvelle mesure sans compromettre leur avenir économique.

 

DISCRIMINATION INDIRECTE

Morning sickness. Young pregnant woman sitting on bed, covering

Maya Sewnauth, vice-présidente de SME Chambers, soutient l’initiative en tant que femme, mais elle se pose des questions quant à son impact économique car les implications financières nécessiteront une analyse minutieuse. Elle pense également que beaucoup d’entreprises pourraient hésiter à embaucher des femmes enceintes ou récemment mariées, favorisant ainsi une discrimination indirecte sur le lieu de travail. «Une période aussi longue pourrait entraîner des complications, notamment si une femme tombe rapidement enceinte après son retour au travail», explique-t-elle. Maya Sewnauth aborde également la question de la productivité des femmes enceintes et son incidence sur leur parcours professionnel. Elle souligne que le stress accru et les préoccupations personnelles pourraient compromettre leur efficacité au travail, mettant en évidence l’importance d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

De son côté, Avinash Goburdhun, directeur général de Wensum, commente avec prudence cette hypothétique mesure, soulignant à la fois les défis potentiels et les avantages sociaux. Selon lui, le sujet étant complexe, nous devons éviter de spéculer. «Chez Wensum, 80 % de nos employés sont des femmes ; le congé maternité est une réalité que nous gérons déjà. Cependant, si une telle mesure devient une réalité et si le gouvernement qui l’implémentera prend en charge le prolongement du congé, cela soulagera certainement la charge financière des entreprises. Mais il y a quand même le risque que les employeurs favorisent les candidats plus âgés pour éviter de longues absences liées à la maternité », observe-t-il. Et d’ajouter que toutes les employées ne seront pas enceintes simultanément. Cependant, il souligne la nécessité d’incitations pour encourager l’emploi des jeunes femmes, même enceintes.

 

SECTEUR FINANCIER : CES FEMMES QUI SONT PÉNALISÉES

 

Manisha Dookhony (économiste et experte en réforme du marché)

Selon Manisha Dookhony, une étude sur le secteur financier à laquelle elle a participé a révélé qu’après trois mois, quand les femmes reprennent le travail, leur portefeuille de client était déjà distribué. «Plus encore, les hommes du même niveau se sont vu offrir une promotion et les femmes doivent reprendre avec ceux qui sont leur junior. Elles se re- trouvent des fois à devoir reprendre des formations et certifications pour être aux normes pour l’industrie. Maintenant, après une année de congé de maternité, il y a de fortes chances que la reprise soit difficile», soutient-elle.

 

BUSINESS MAURITIUS EN FAVEUR D’UN CONGÉ PARENTAL

 

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À l’international, diverses formules de congé de maternité sont en vigueur, allant de zéro jour, comme observé aux États-Unis, à plus d’un an, tel que pratiqué dans certains pays européens. Au-delà de la durée, ces congés impliquent également des considérations financières et organisationnelles cruciales. Dans les pays où le congé maternité s’étend sur plus d’un an, il est généralement rémunéré à 100 % du salaire pendant une période fixe, suivie d’une compensation partielle ou d’une allocation.

La question de la relève temporaire et des politiques de transition doit également être abordée. Un aspect essentiel à évaluer est le financement de ces congés et leur intégration dans les budgets des entreprises et des gouvernements. Déterminer la faisabilité et la pertinence de telles mesures pour Maurice nécessite une analyse approfondie prenant en compte des données concrètes et le contexte spécifique du pays, souligne Business Mauritius.

La demande d’un congé parental englobant les rôles des deux parents a déjà été formulée au sein de Business Mauritius. Un congé parental applicable aux deux sexes favoriserait une approche plus inclusive tout en évitant les préjugés lors du recrutement. À ce titre, au sein de l’association, une requête a déjà été déposée en faveur d’un congé parental prenant en compte les responsabilités tant paternelles que maternelles à l’arrivée d’un enfant. Cette demande vise à instaurer un congé applicable indistinctement aux deux sexes, favorisant ainsi une intégration plus équitable des rôles parentaux, tout en évitant tout préjudice potentiel pour les femmes lors des processus de recrutement.

 

CONGÉ MENSTRUEL : COMMENT S’ADAPTER ?

 

«Le congé menstruel part d’une bonne intention, mais je pense qu’une telle mesure pourrait involontairement renforcer des stéréotypes genrés, présentant les femmes comme moins fiables ou plus coûteuses à employer. Une approche plus équilibrée et équitable serait de reconnaître les maladies spécifiques, comme l’endométriose et autres maladies chroniques pouvant affecter hommes ou femmes, et de proposer des adaptations ciblées plutôt que des politiques généralisées susceptibles de stigmatiser», explique le Dr Myriam Blin. Elle ajoute qu’afin de soutenir et d’améliorer la santé menstruelle et reproductive, il serait préférable d’améliorer la compréhension sur le lieu de travail sur des questions de santé reproductive afin que chaque employeur puisse développer des conditions de travail qui soient favorables à ces conditions.

Pour Manisha Dookhony, la première chose à savoir, c’est que certaines femmes souffrent de certaines complications gynécologiques, ce qui peut rendre la période menstruelle difficile. Il est donc important de reconnaître cela comme des difficultés où des fois les traitements sont difficiles, coûteux et qui peuvent avoir un impact sur la qualité de vie. «Pour ces femmes, avoir une certaine flexibilité est important. Mais pour les autres, peut-être que ce ne sera pas nécessaire», souligne-t-elle.

Maya Sewnauth émet, elle, des réserves, soulignant qu’une telle politique pourrait poser des défis en termes de gestion du personnel et de productivité. Elle soulève également des questions sur la stigmatisation potentielle des femmes au travail. «Est-ce que chaque femme veut que ses collègues sachent qu’elle est en période menstruelle ? Cela pose des questions de respect de la vie privée et de bien-être psychologique», estime-t-elle.

Ce qui fait dire au Dr Takesh Luckho qu’afin de minimiser l’impact du congé menstruel sur l’absentéisme et garantir la continuité du travail, la mise en place devrait s’accompagner de mesures de contrôle. Pour les congés menstruels de plus d’une journée, il serait préférable d’exiger un certificat médical afin de réduire les abus et de garantir que la mesure bénéficie véritablement aux femmes souffrant de dysménorrhée grave.

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