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Édito

En attendant Moody’s, S&P Global Ratings rassure la place financière

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Richard Lebon

Quand on parle d’agences de notation, les investisseurs s’en remettent à trois vaches sacrées, à savoir, S&P Global Ratings, Moody’s et Fitch Ratings. Ensemble, elles occupent plus de 90 % de ce marché. Ces trois agences américaines disposent d’une méthodologie bien rodée quand il s’agit d’évaluer les forces et les faiblesses d’un pays et d’entreprises privées, notamment les banques, du point de vue du risque de crédit et de la solvabilité.

Pour les investisseurs, la note de crédit attribuée par l’une ou l’autre des «Big 3» est un excellent baromètre leur permettant de déterminer si une destination d’investissement est fiable ou pas, et quel est le niveau de risque politique et de risque sécuritaire dans cette juridiction. Il va sans dire qu’un État dont les obligations à court et long termes sont considérées comme investissables (Investment grade) est susceptible d’être plus attrayant que son compétiteur dont les titres sont perçus comme étant spéculatifs, avec un risque de crédit élevé, voire de défaut de paiement. Dans le cas d’une économie comme Maurice, qui se globalise et ambitionne de se positionner comme un centre financier international à mi-chemin entre l’Asie et l’Afrique, il est vital qu’elle préserve son statut d’Investment grade sous peine de voir les investisseurs internationaux se tourner vers d’autres juridictions.

Le 28 juillet 2022, tout le système financier était ébranlé par la décision de Moody’s de rétrograder la note souveraine du pays de Baa2 à Baa3. Dans un résumé fort de sens, l’agence de notation justifiait sa décision par le fait que la qualité et l’efficacité des institutions et du processus de pouvoir décisionnel se sont affaiblies et qu’en retour, cela entrave la résilience économique du pays et sa capacité à absorber les chocs futurs. Un coup de semonce qui intervenait dans le sillage de l’affaire de Data capture et du survey effectué par une équipe d’ingénieurs indiens sur les installations du câble SAFE à Baie-Jacotet.

Douze mois plus tard, alors qu’on attendait impatiemment le prochain rapport d’évaluation de Moody’s, contre toute attente, c’est S&P Global Ratings, le numéro un des agences de notation au monde, qui a publié son premier rapport sur Maurice.

Dans ce contexte de tensions politiques avec le Conseil privé ayant mis son jugement en délibéré dans le procès en appel de Suren Dayal réclamant l’invalidation de l’élection de Pravind Jugnauth pour cause de corruption électorale et de crise institutionnelle découlant du mano à mano entre le Commissaire de police et le Directeur des poursuites publiques, le rapport de S&P Global Ratings – Maurice est le 138e État noté par l’agence – constitue un bol d’air frais et vient rassurer le monde de la finance, rendu nerveux par la perspective que le pays puisse perdre son Investment grade.

Dans son rapport d’évaluation sur Maurice, en date du 21 juillet, S&P Global Ratings nous attribue la note de BBB-/A-3 pour le crédit souverain à long terme et à court terme en devises et en monnaie locale, avec une perspective stable. Dans l’échelle de notation de S&P Global Ratings, la BBB- implique que le pays sous revue jouit d’une bonne qualité de crédit avec un risque de crédit modéré. Ainsi, l’agence considère que nous avons une capacité suffisante à remplir nos engagements financiers, quoique nous sommes assez sensibles aux conditions économiques défavorables. La BBB- est l’équivalent de la note Baa3 de Moody’s. Cela signifie surtout que Maurice conserve son statut d’Investment grade. Concrètement, comme pour la Baa3, la note BBB- veut dire que nous sommes à un cran de perdre notre Investment grade et de voir les obligations de l’État mauricien être qualifiées de spéculatives ou de pourries (junk). Toutefois, le fait que nous jouissons d’une perspective stable nous donne une marge de sûreté.

Dans le ton, S&P Global Ratings demeure globalement optimiste. L’agence fait remarquer que la perspective stable concernant Maurice reflète son attente d’un relâchement des pressions budgétaires et extérieures grâce à une «forte croissance économique», tout en exposant deux scénarios lors de sa prochaine évaluation. Ainsi, dans le cas d’un scénario défavorable, elle explique qu’elle pourrait être amenée à abaisser la note souveraine du pays à BB+ (un basculement de la zone jaune à la zone orange ou spéculative) si la croissance du PIB réel par habitant s’avérait nettement plus faible que prévu ou si la dette publique nette par rapport au PIB ne diminuait pas régulièrement. Elle fait également miroiter un scénario de hausse. Un relèvement d’un cran à la note BBB se fera sous la condition expresse que le processus d’assainissement budgétaire s’avère nettement plus rapide que prévu, associé à une baisse des dépenses d’intérêt du gouvernement par rapport aux recettes publiques, tout en maintenant une forte croissance du PIB réel par habitant.

Par ailleurs, le rapport de S&P Global Ratings vient rassurer les investisseurs sur le niveau de risque politique à Maurice. Forte de son évaluation, l’agence considère que «le pays bénéficie d’un environnement politique globalement stable, avec des institutions relativement solides». Elle pense que la politique des autorités continuera à se concentrer sur la promotion d’un environnement favorable aux entreprises et d’une croissance économique forte, tout en réduisant les pressions budgétaires et externes, qui ont été considérablement exacerbées pendant la pandémie.

Sur le plan de la croissance, S&P Global Ratings prévoit que le PIB augmentera de 5,5 % en 2023 et de 3,9 % en moyenne en 2024-2026, après 8,7 % en 2022, 3,4 % en 2021 et une contraction de 14,6 % en 2020 due à la pandémie. Cette performance sera soutenue par la reprise continue du tourisme, une performance robuste du secteur du global business et des projets d’investissement publics et privés en cours. Autre constat : la croissance tendancielle du PIB réel par habitant de Maurice est bien supérieure à celle des États souverains de la même catégorie de PIB par habitant.

Sur le plan de la politique fiscale, S&P Global Ratings s’attend à ce que les autorités poursuivent le processus de consolidation budgétaire et financent les déficits principalement par l’émission de dette. Sur la base de son évaluation effectuée avant la rédaction du rapport, l’agence dit comprendre que l’État n’aura plus recours aux opérations quasi budgétaires utilisées pendant la pandémie, telles que les transferts directs de la Banque de Maurice au gouvernement central. Il s’agit là d’un point essentiel. On sait que le Fonds monétaire international et Moody’s ont, à maintes reprises, recommandé fortement à l’État de dissocier la politique budgétaire et la politique monétaire et de recapitaliser la Banque de Maurice. Depuis 2019, ce ne sont pas moins de Rs 158 milliards qui ont été puisées des réserves en devises étrangères, que ce soit pour payer la dette extérieure, financer le Budget 2020-21 ou pour créer la Mauritius Investment Corporation.

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