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Édito

Inflation : une hydre à la peau dure

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« La politique monétaire est, à ce jour, la meilleure arme pour faire fléchir la courbe inflationniste »

On connaît le mythe de l’Hydre de Lerne. Cette bête fabuleuse était increvable parce qu’à chaque fois qu’on lui tranchait l’une de ses neuf têtes, une autre repoussait quasi immédiatement. Impuissants, tous les héros succombaient jusqu’à ce qu’Héraclès trouve une solution radicale : lui couper d’un seul coup d’épée toutes ses têtes avant de les brûler. Cette analogie à l’Hydre nous rappelle l’impuissance des gouvernements du monde entier face à la persistance de l’inflation qui, se repaissant des conséquences de la guerre d’agression de la Russie en Ukraine, ne montre qu’un léger fléchissement malgré les tours de vis monétaires des banques centrales. Rien que pour le mois d’octobre, une inflation à deux chiffres a été observée dans 18 des 38 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec des pics à plus de 20 % en Estonie, en Hongrie, en Lettonie, en Lituanie et en Turquie. Cette tendance inflationniste est nourrie par l’escalade des prix de l’énergie avec une augmentation de 28,1 % dans la zone de l’OCDE et, dans une moindre mesure, par les prix de l’alimentation (+16,1 %).

À Maurice, l’inflation demeure une source d’inquiétude avec un taux en glissement annuel atteignant un nouveau record, à 12,1 % en novembre.

Jusqu’à quand tournera-t-on en rond dans cette boucle infernale ? Les analystes de la Banque de Maurice anticipent un taux d’inflation de moins de 5 % en 2023. Mais, on le sait, en ces temps d’extrême volatilité où les événements géopolitiques perturbent comme jamais les marchés financiers, les prévisions macroéconomiques sont rendues aléatoires. Il suffit de peu pour que les puissants de ce monde ruinent les efforts gigantesques déployés par le concert des nations pour apaiser les vents contraires. Ainsi, la perspective d’une «Winter War» avec une offensive russe sur Kiev en janvier 2023, comme le craint Volodymyr Zelensky, risque de tout faire dérailler à nouveau.

Revenons à la politique monétaire qui est, à ce jour, la meilleure arme pour faire fléchir la courbe inflationniste. Quoique nécessaire dans la conjoncture actuelle, la stratégie de resserrement monétaire agressive des banques centrales est lourde de conséquences avec un ralentissement de la croissance dans pratiquement toutes les économies. Dans le cas de Maurice, la hausse cumulée du taux repo de 265 points de base sur ces 12 derniers mois est en train de saigner à blanc les entreprises comme les ménages, les poussant un peu plus dans la spirale du surendettement. Quand on sait que l’hôtellerie était jusqu’à tout récemment dans un état comateux et qu’avec le redémarrage de l’activité touristique, les opérateurs se doivent d’investir dans leurs infrastructures ou encore qu’à Maurice, les crédits immobiliers représentent la majorité des encours de crédit des particuliers, l’on se dit que les nouvelles conditions monétaires sont loin d’être favorables.

Or, pour remettre le débat dans sa juste perspective, il est utile de faire ressortir que la Banque de Maurice ne fait que s’engager dans la même politique que les autres banques centrales. Commençons par la Réserve fédérale qui a été le fer de lance de la stratégie de désinflation. En 12 mois, elle a relevé les Fed Funds de 375 points. Pour la zone Euro, la Banque centrale européenne a été quelque peu en retard sur sa politique de normalisation, avec une hausse des taux directeurs de 200 points. Dans d’autres pays, les banques centrales ont resserré leurs conditions monétaires pour ancrer les anticipations inflationnistes comme suit : Royaume-Uni (275 points), l’Australie (300 points), la Nouvelle-Zélande (350 points), le Canada (400 points), le Brésil (450 points), la Corée du Sud (225 points), l’Afrique du Sud (325 points) et l’Inde (225 points).

Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Ayant choisi la voie du «fauconisme», la Banque de Maurice doit aller au bout des choses et s’assurer que ces multiples interventions donnent des résultats probants. Pour cela, le mécanisme de transmission monétaire doit être pleinement efficace. Autrement dit, il faut que les objectifs fixés lors du relèvement des taux, à savoir la maîtrise de l’inflation et l’affermissement de la roupie, soient atteints.

Pour renforcer le mécanisme de transmission monétaire, la Banque de Maurice va dès janvier 2023 introduire son nouveau cadre de politique monétaire. Le Code Civil Mauricien (Rate of Interest) Regulations de 2022 a été promulgué à cet effet. On sait qu’il s’agit d’une des principales recommandations d’institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et Moody’s. Pour les analystes également, qui réclamaient à cor et à cri une nouvelle orientation de la politique monétaire, il était nécessaire de moderniser le cadre actuel car primo, il y a un décalage entre les taux d’intérêt et le taux repo et, secundo, il faut un instrument qui permette de mieux ancrer les anticipations inflationnistes. Concernant le ciblage de l’inflation, la Banque de Maurice s’est fixé l’objectif d’arriver à un taux de 3 % à moyen terme, conformément aux recommandations du FMI. Quant au Key Repo Rate, qui avait été introduit en 2006 pour remplacer le Lombard Rate, il sera à son tour remplacé par le Key Rate.

Pour rendre opérationnel ce nouveau cadre, la Banque centrale a commencé à émettre des bons du Trésor à maturité de 7 jours à toutes les banques depuis le 4 août dernier à un rythme hebdomadaire de Rs 8,5 milliards par semaine. Ainsi, avec le nouveau cadre, les opérations de refinancement pour alimenter les banques en liquidités, soit directement avec la Banque de Maurice soit sur le marché interbancaire par le biais de la mise en pension de bons du Trésor, se feront à plus court terme. Car l’objectif opérationnel, qui est actuellement le 91-Day Bill, sera le 7-Day Bank of Mauritius Bill.

Dans l’absolu, ce nouvel instrument donnera les moyens à la Banque centrale d’améliorer l’efficacité du mécanisme de transmission monétaire en atteignant plus facilement les objectifs en termes de ciblage de l’inflation. Mais, dans les faits, la partie est loin d’être gagnée. L’hydre qu’est l’inflation a la peau dure.

 

Par Richard LE BON

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