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Marchés des capitaux : La longue traversée du désert des investisseurs

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MARCHÉS DES CAPITAUX

La forte volatilité prévalant sur les marchés des capitaux a considérablement érodé la performance des fonds d’investissement. Le nouvel intérêt pour les obligations souveraines à court terme suivant la stratégie de resserrement monétaire des banques centrales, ainsi que les craintes d’une récession mondiale vont certainement affecter les produits financiers traditionnels. Dans ce contexte, quelle stratégie d’investissement faut-il adopter ? La réponse se trouve-t-elle dans le «stock picking» ou encore les investissements alternatifs ?

Par les temps qui courent, quand on est investisseur, il faut s’armer d’une bonne dose de patience et ne pas céder à la panique en se fiant aux conseils de son gestionnaire de portefeuille. Pour cause : les marchés financiers sont fortement volatils et cela se ressent sur la performance des investissements dans des instruments traditionnels comme les actions. D’ailleurs, l’indice de volatilité (VIX) a atteint son plus haut niveau de ces 20 dernières années. Cet indice est un outil économique utilisé comme baromètre de l’incertitude du marché, présentant aux investisseurs une volatilité attendue sur 30 jours de l’ensemble du marché boursier américain. La lecture actuelle du VIX est de 26,3, soit le double des niveaux pré-Covid-19, soit à 13,2. Cette volatilité s’explique par une conjonction de facteurs. D’abord, depuis voilà 33 mois, le monde se retrouve dans un cycle de crise dont il n’arrive pas à se dépêtrer. L’on se souviendra qu’au début de la pandémie, certains marchés comme celui des produits pétroliers s’étaient complètement effondrés, avec le prix du baril chutant en dessous de zéro, soit à -37 dollars le 20 avril 2020. Aujourd’hui encore, les marchés financiers gardent toujours les séquelles de la crise. La guerre en Ukraine est venue ajouter une couche d’incertitude en provoquant une escalade des prix des produits alimentaires et de l’énergie.

Face à l’urgence de casser l’inflation, la Réserve fédérale a mené l’offensive en accélérant sa politique de tapering et en relevant coup sur coup ses taux d’intérêt à quatre reprises, soit à un rythme de 75 points de base lors de chaque intervention. Les autres banques n’ont eu d’autre choix que de s’aligner sur la stratégie de désinflation de la Fed en normalisant les taux. Il en va de même pour la Banque de Maurice qui, depuis le mois de mars, a relevé le taux repo de 250 points de base.

L’incertitude grandissante sur les marchés financiers est également liée à la recrudescence des cas de Covid-19 en Chine, suivie de restrictions sociales strictes et de la fermeture des frontières. Parallèlement, le moral des investisseurs a été plombé par les rapports d’analyse économique d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui anticipent un ralentissement de l’économie mondiale jusqu’en 2023. Toutes ces nouvelles propices à un climat anxiogène font que les places boursières ont dû mal à rebondir.

LES ACTIFS À RISQUE ONT CHUTÉ

Tous les marchés financiers sont concernés, que ce soit le marché nord-américain, le marché européen ou le marché asiatique. Dans le cas du marché américain, l’indice de référence, à savoir le S&P 500, est en baisse de 16 % cette année. C’est la pire performance depuis la crise financière mondiale de 2008. Quant au Nasdaq, il est en repli de 27 % depuis le début de l’année. De l’avis de Sameer Sharma, expert en investissements alternatifs, il est un fait que les marchés des capitaux sont loin d’être stables. Il rappelle que les actifs à risque, à l’exception des matières premières et des entreprises actives dans le secteur du pétrole et du gaz naturel, ont chuté. Alors que la volatilité des marchés obligataires et des actions, mesurée par l’indice VIX pour les actions et l’indice Move pour les obligations américaines, a augmenté. De plus, les spreads de crédit ont été plus volatils. «C’est la résultante de l’inflation élevée. Les banques centrales ont pris du temps. Aujourd’hui, elles sont obligées d’agir de manière plus belliqueuse qu’elles ne l’auraient fait si elles avaient agi plus tôt. Cela entraîne un ralentissement important de l’activité économique mondiale. Le risque d’éclatement de la bulle immobilière en Asie de l’Est, aux ÉtatsUnis et au Canada est également plus élevé», prévient-il.

Il est rejoint par Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, qui indique que les marchés étrangers ont globalement sous-performé cette année. «Presque tous les gains des actions mondiales et des marchés émergents ont malheureusement été anéantis cette année avec la fin brutale et agressive de l’ère de «l’argent bon marché»…


CONSTITUER UN PORTEFEUILLE POUR LE LONG TERME

Avec la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales, les compagnies lourdement endettées pourraient devenir moins attrayantes car leur dette leur coûterait plus cher si elles n’arrivent pas à faire croître leur chiffre d’affaires, observe la Managing Director de MCB Investment Management, Ameenah Ibrahim. Pour elle, il faut voir sur le long terme. Ainsi, bien que la hausse des taux apporte des turbulences temporaires sur le marché des actions, le but des banques centrales reste de contrôler l’inflation. Et de faire ressortir que quand l’économie sera lancée pour une croissance soutenable, les actions positionnées à long terme en bénéficieront. Les investisseurs doivent donc constituer un portefeuille diversifié pour minimiser le risque des pertes.


Les banques centrales du monde développé et émergent ont commencé à resserrer les taux d’intérêt et les conditions monétaires pour apprivoiser l’inflation galopante. Ainsi, la plupart des pays développés et certains pays émergents sont quasiment aux mêmes niveaux boursiers qu’ils étaient début 2021/fin 2020. Certains pays émergents, cependant, ont mieux résisté et ont conservé de la valeur», analyse Amit Bakhirta. Il précise, au passage, que les titres à revenu fixe, qui représentent généralement 60 % des fonds de pension mondiaux, ont enregistré de terribles performances à mesure que les taux d’intérêt augmentaient, entraînant ainsi des pertes sur les bons du Trésor et les obligations d’un point de vue du prix du marché. Dans cet environnement de taux d’intérêt plus tendus, l’accent est de plus en plus mis sur les secteurs et entreprises susceptibles de bien faire dans un tel environnement de liquidité réduite et de taux d’intérêt plus élevés. Mais le côté positif, c’est que l’inflation devrait reculer. De plus, des pauses de resserrement commencent à être anticipées. Pour le CEO d’Anneau, cela devrait fournir un soutien et une impulsion aux marchés obligataires et boursiers.

LE MARCHÉ DES OBLIGATIONS SOUVERAINES

Qu’en est-il du marché des obligations souveraines ? Estce qu’il y a un intérêt pour cette classe d’actifs ? Est-ce qu’elles génèrent des rendements plus attrayants ? Pas forcément, répond Jonathan Ah Kiow, Investment Portfolio Manager chez AfrAsia. Il explique que face à une inflation difficilement maîtrisable, principalement nourrie par la hausse des prix des matières premières, et plus dramatique encore dans les pays émergents et la zone Euro, les politiques monétaires mettent plus de temps à prendre effet, même si ce cycle de resserrement est le plus agressif depuis 40 ans. Bilan : les obligations ont connu le même sentiment baissier que les actions et notamment, les obligations américaines affichent la plus forte baisse annuelle depuis 2008. Mais, précise-t-il, «avec l’augmentation des rendements et la possibilité croissante que nous nous approchions du pic de volatilité, du moins aux États-Unis, l’allocation dans cette classe d’actifs redevient très attractive. Nous pensons que les obligations sont désormais mieux positionnées pour aider à diversifier le risque d’investissement. En période de récession, les taux d’intérêt ont tendance à baisser, et vu la relation inversée, les valorisations des obligations pourraient augmenter, ce qui en fait une classe d’actifs de premier choix pour 2023».

Sur la question de l’attrait des obligations, la Managing Director de MCB Investment Management, Ameenah Ibrahim, fait ressortir que de manière générale, une hausse des taux d’intérêt a un impact sur l’économie en influençant les dépenses des consommateurs et des entreprises, ce qui éventuellement entraînera un effet sur les prix des actions et des obligations, de manière positive ou négative, dépendant du secteur d’activité et surtout du niveau d’endettement des entreprises. Quant aux obligations d’État à Maurice, «elles ne suivent pas forcément la hausse des taux par la Banque de Maurice vu la forte demande institutionnelle pour les obligations à long terme», argue-t-elle.


INTÉRÊT GRANDISSANT POUR LES INVESTISSEMENTS ALTERNATIFS

IL y a une hausse de la demande pour les investissements alternatifs comme les matières premières, le Private equity (capital-investissement) et l’immobilier car le portefeuille traditionnel d’obligations et d’actions a souffert sur l’année, confirme Jonathan Ah Kiow, Investment Portfolio Manager chez AfrAsia. Ainsi, l’investissement immobilier est devenu partie intégrante des actifs des clients. «Nos portefeuilles sont souvent diversifiés, en fonction des profils et du contexte économique, dans des matières premières au travers de l’or ou du pétrole, principalement», précise-t-il.

Chez Anneau également, on investit déjà pour les clients dans des actifs alternatifs et «réels» ; à l’échelle internationale et nationale à travers différents instruments financiers. «Dans certains cycles de marché et macroéconomiques, certains actifs alternatifs ont tendance à être plus résilients (simplement parce qu’ils ne sont pas soumis à la volatilité quotidienne des échanges et desprix du marché) et à présenter une certaine non-corrélation avec les actifs dits cotés sur les bourses. Cependant, dans des conditions de marché aiguës, la valorisation des actifs a tendance à être affectée de manière générale car les perspectives de profitabilité, de trésorerie chutent, entraînant une valorisation d’entreprise (que ce soit boursière ou pas) nettement affaiblie ; surtout en récession», fait ressortir Amit Bakhirta.

De même, Sameer Sharma note un intérêt croissant pour les investissements alternatifs. Il précise toutefois que si l’on compare l’intérêt des investisseurs institutionnels, en particulier des fonds de pension en Europe et aux États-Unis, où ils allouent au moins 20 % à 30 % aux actifs alternatifs, on peut dire qu’à Maurice, on est vraiment loin derrière.
«La raison pour laquelle ils allouent autant d’argent aux actifs alternatifs, c’est simplement dû au fait qu’à long terme, un gestionnaire de fonds de pension comprend que le risque de ne pas pouvoir faire face à ses engagements ou ce que nous appelons un déficit de financement est un problème important. Malheureusement, à Maurice, les conversations sont très court-termistes en ce qui concerne la prise de risque et les actifs alternatifs. Ce n’est pas une discussion très sophistiquée qui a lieu et il y a beaucoup de sous-investissement en ce qui concerne les actifs alternatifs», argue-t-il.

Il précise, par ailleurs, que les actifs alternatifs présentent des risques, en particulier des risques de liquidité. «Vous devez avoir l’expertise et vous devez travailler avec des partenaires qui peuvent fournir ces rendements si vous n’avez pas l’expertise. Cependant, le plus grand risque est que si vous êtes un fonds de pension privé ou public à Maurice et que vous devez générer des rendements de 6 % à 7 % par an sur 20 ans en moyenne et que vous ne faites que 4 %, vous allez certainement rencontrer un problème. Les fonds de pension européens et américains l’ont compris et c’est pourquoi ils ont une approche sophistiquée en matière d’allocation stratégique des actifs, ce qui n’est pas vraiment le cas à Maurice», conclut-il.


Pour sa part, Jaysen Nundoosingh – Corporate and International Banking chez ABSA, fait remarquer que la hausse des taux a eu un impact négatif sur la valeur de marché des obligations internationales cette année. En conséquence, la performance des obligations mondiales est de -11 % (selon l’indice Bloomberg Global-Aggregate). Concernant l’indice Bloomberg US Treasuries, elle est en baisse de 13 %. Toutefois, les réinvestissements dans les bons du Trésor américains deviennent plus attrayants en raison de la hausse des rendements. «Les rendements attendus à long terme des obligations d’État américaines se sont considérablement améliorés cette année. Toutefois, la hausse de l’inflation aux États-Unis continuera à éroder la performance des obligations d’État américaines. La hausse des taux d’intérêt a un impact sur les actions américaines et sur les secteurs les plus sensibles aux taux (la technologie). Les actions sont moins valorisées en raison de la hausse des taux à long terme utilisés pour actualiser les flux de trésorerie», soutient-il.

Il faut, par ailleurs, savoir que lorsque les rendements obligataires augmentent, les rendements sont négatifs. Sameer Sharma explique que cela est dû au fait qu’il existe une relation inverse entre les taux d’intérêt et le prix de l’obligation. «Les marchés obligataires ne se portent pas très bien cette année, sauf à court terme, car les obligations à court terme sont moins touchées par le risque de taux d’intérêt. La courbe des taux aux États-Unis et sur les principaux marchés obligataires dans le monde s’est aplatie, ce qui signifie qu’il est plus judicieux d’investir à l’extrémité courte de la courbe des taux et de la renouveler, ainsi que d’investir dans des ac
tions liées aux matières premières. Évidemment, si les rendements augmentent au fil du temps, et surtout si le rendement à 10 ans augmente, le taux d’actualisation augmente, ce qui, en théorie, entraîne une baisse de la valorisation des actions. L’impact le plus important sur les actions à l’heure actuelle est une réévaluation complète car le coût de l’argent augmente à court terme en raison de la hausse des taux d’intérêt par la Fed. Le temps de l’argent bon marché est révolu et tout ce qui constituait une bulle est en train d’éclater ; nous l’avons vu dans les valeurs de croissance, comme par exemple la technologie et les cryptomonnaies», argumente Sameer Sharma.

Si sur les marchés financiers, la volatilité demeure forte avec des fluctuations abruptes, en revanche, la Bourse de Maurice demeure une proposition attrayante pour les investisseurs. Depuis le début de l’année, la performance du Semdex est à -1,15 %. Quant à l’indice de rendement, le Semtri, il est légèrement positif à +0,55 %.

Selon Javed Burokur, Manager – Swan Wealth Managers Ltd, les investisseurs étrangers sont toujours vendeurs nets, mais on trouve quand même des intérêts d’achat sur certains titres. Il explique les raisons de son optimisme : «Le dernier indice des prix à la consommation des États-Unis a mis en évidenceune légère baisse des pressions inflationnistes qui a donné un regain de confiance aux investisseurs. À Maurice, on a noté la tendance haussière des taux d’intérêt avec récemment une ‘Special MPC Meeting’ avec une hausse assez conséquente de 1 % du taux repo. La stratégie de notre Banque centrale reste le combat contre l’inflation et l’alignement du taux d’intérêt local avec celui des États développés. Comme nous l’avions souligné dans la dernière édition de notre ‘Earnings Digest’, les compagnies ont affiché des résultats robustes malgré la permanence d’un environnement incertain : la guerre Ukraine-Russie, l’augmentation des coûts, l’inflation, entre autres. Cependant, on note une certaine déconnexion entre la performance financière et celle des prix en Bourse. Notre rapport met en avant cet écart grandissant entre profit enregistré et capitalisation boursière. Il laisse entrevoir de très bonnes opportunités d’investissement sur certains titres. Le secteur bancaire, par exemple, a engendré des profits record (ainsi que des dividendes) pour certains et en progression pour d’autres. Ce secteur reste très porteur surtout dans un environnement de hausse des taux».

Idem pour Jonathan Ah Kiow. Celui-ci estime que le marché local a jusqu’à présent bien résisté à la remontée des taux. S’il est vrai que les obligations deviennent plus attrayantes, toutefois les résultats financiers des compagnies mauriciennes, cette année, montrent une nette amélioration, en grande partie due à la fin de la pandémie, et encouragent donc les investisseurs à prendre des positions sur les actions. L’Investment Portfolio Manager d’AfrAsia reconnaît qu’avec la forte inflation et la hausse des taux, la croissance sera mise à l’épreuve, impactant ainsi le marché local. Par contre, soutient-il, il existe certaines belles opportunités et il faut vraiment adopter une stratégie de sélection des titres (stock picking) dans cet environnement.

LES MARCHÉS FRAGILISÉS PAR LA HAUSSE DES TAUX D’INTÉRÊT

Les banques centrales ont désormais opté pour des politiques monétaires plus restrictives afin de maîtriser l’inflation, qui a atteint son niveau le plus élevé depuis 40 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni. Aux États-Unis, la Fed est prête à risquer une contraction de l’économie pour faire baisser l’inflation. Selon Jaysen Nundoosingh – Corporate and International Banking chez ABSA, le resserrement des politiques monétaires a entraîné un durcissement des conditions financières à l’échelle mondiale. La volatilité macroéconomique accrue entraîne également des risques accrus pour la stabilité financière. Ainsi, il estime que les marchés sont probablement plus fragiles dans le régime macroéconomique actuel.

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