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Aldo Létimier, COO de Winners: «45 % de notre chiffre d’affaires provient des produits locaux»

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Aldo Létimier (COO de Winners)

Winners poursuit son expansion et se prépare à ouvrir un deuxième hypermarché à Tribeca central à la fin de l’année. Avec la baisse du pouvoir d’achat, Aldo Létimier, COO de Winners, dit miser sur un rapport qualité/prix en amélioration constante.

Winners vient de dévoiler sa nouvelle identité. Qu’est-ce qui a motivé ce changement de cap ?

Ce n’est pas un changement de cap mais un approfondissement de notre engagement. La culture de Winners a toujours été marquée par la proximité : le bien-être et le progrès de nos clients et de la collectivité sont au cœur de notre stratégie. Lorsque, dans les années 90, nous ouvrons nos magasins dans les villages, c’est pour répondre aux besoins de chaque Mauricien et démocratiser l’accès à une grande variété de produits et des offres promotionnelles. Et c’est encore pour améliorer leur quotidien que nous devenons un one-stop shop en intégrant une boulangerie, un point chaud, un rayon fruits et légumes. Au fil des ans, nous nous sommes développés en écoutant les besoins de notre clientèle et en répondant à ses attentes. Et c’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui.

En 2020, nous avons mené une série d’études de marché. Les axes stratégiques que vous mentionnez sont des réponses aux quatre priorités de nos clients. Ils veulent une offre d’aliments sains et frais qui tiennent compte de la baisse de leur pouvoir d’achat. Ils s’attendent à ce que Winners crée des opportunités de progrès pour les acteurs économiques de leur région. Ils veulent une marque engagée, avec des pratiques environnementales correctes. Nous avons formulé des engagements sur chacun de ces axes : continuer à offrir le meilleur rapport qualité/prix, réduire notre impact sur l’environnement, lutter contre le gaspillage et pratiquer un commerce inclusif. Notre signature, On est tous Winners, nous engage à être responsable et solidaire. Notre identité visuelle «passe au vert» pour que cet engagement soit un accord formel avec la communauté. Bleu et vert, c’est la mer et la terre, les couleurs nationales, un leadership responsable, l’espoir aussi…

Mais de nombreuses entreprises font du greenwashing pour améliorer leur image…

Notre engagement en faveur de l’environnement remonte à plus de vingt ans, et a déjà apporté des résultats concrets. Nous avons lancé le programme «Green Together, Winner’s Forever», avec des sacs en papier aux caisses, la pose de bennes sur les parkings pour les déchets recyclables et le recyclage des huiles usées. Cela fait deux ans maintenant que nous avons supprimé l’impression et la distribution de brochures en papier. Mais le plus important, ce sont nos ambitions en matière de réduction de notre impact sur notre environnement. Et le Winners du Victoria Urban Terminal est une illustration concrète de cet engagement ; un premier pas. Nous y avons utilisé une technologie de réfrigération innovante au CO2 et des meubles froids fermés qui nous permettront de réduire notre consommation énergétique de 40 %. Notre ambition est de reproduire ce modèle progressivement dans l’ensemble de nos magasins. Nous avons introduit aussi des caddies faits de 27 % de plastique récupéré des océans. Ce sont là quelques mesures concrètes qui sont des preuves de notre détermination.

Il y a la perception que les produits locaux coûtent plus cher que ceux qu’on importe. Observez-vous un intérêt des consommateurs pour les produits locaux ?

Cette perception n’est pas tout à fait juste : dans plusieurs catégories de produits, acheter local est beaucoup plus avantageux qu’acheter importé. C’est le cas des produits laitiers transformés, des légumes, des boissons, des détergents, par exemple, des secteurs où l’industrie locale est bien établie. L’intérêt pour les produits locaux a aussi été boosté par la Covid, qui a mis en évidence les risques d’une sur-dépendance sur l’importation. Cela dit, en cette période extrêmement compliquée de baisse généralisée du pouvoir d’achat, on regarde d’abord le prix lorsqu’on remplit son caddy. Et on connaît le principal challenge des petits artisans : ils ont du mal à être compétitifs face aux produits importés parce qu’ils n’ont pas la même économie d’échelle. Sans doute fautil maintenir constamment la sensibilisation du consommateur pour qu’il maintienne son effort de soutien à l’industrie locale. Il doit garder en tête le fait qu’en choisissant un produit local, même s’il est un peu plus cher, il apporte de la valeur au pays dans son ensemble, au niveau économique, social et environnemental.

Winners aide dans la mesure de ses moyens. Premièrement, en assurant un juste équilibre dans l’assortiment. Aujourd’hui, plus de 45 % de notre chiffre d’affaires provient d’ailleurs des produits locaux. Notre soutien aux planteurs est aussi un geste fort de soutien aux entreprises locales : nous travaillons en direct avec 41 planteurs qui nous fournissent 52 % de nos légumes. Deuxièmement, en aidant les artisans à être plus visibles. Nous avons créé, en juillet 2020, en pleine crise Covid, une plateforme dédiée pour qu’ils communiquent sur leur marque : «Nu pei nu valer». Seize artisans en ont déjà pris avantage. Nous le faisons parce que nous croyons dans le potentiel et la qualité de leurs produits.

«Choisir un produit local apporte de la valeur au pays au niveau économique, social et environnemental»

Avec la crise russo-ukrainienne qui met une pression sur les prix de l’alimentaire et les importateurs qui sont réticents à acheter plus en raison de la hausse du prix du fret, comment vous organisez-vous pour éviter toute pénurie de produits alimentaires ?

Il faut d’abord bien comprendre que la flambée des prix n’est pas récente car c’est le résultat d’une série de circonstances qui ont frappé nos distributeurs l’année dernière, en grande partie liées à la crise sanitaire. Dans les semaines à venir, le plus grand risque qui nous guette en réalité est la disponibilité de certaines catégories de produits comme le blé. La crise russo-ukrainienne a déstabilisé la fourniture mondiale. La Russie et l’Ukraine représentent ensemble près de 30 % du blé produit dans le monde. Tout l’écosystème mondial est sous pression. Étant très dépendant des produits importés, nous sommes particulièrement exposés : il nous faut trouver d’autres options, collaborer avec plusieurs distributeurs pour anticiper les risques que pose cette disponibilité limitée de produits. Nous y travaillons depuis un certain moment.

L’autre inquiétude concerne le risque que les distributeurs de certains produits de base ne puissent pas continuer longtemps à assurer cet approvisionnement face à la flambée des prix et que le prix de vente qui est fixé localement est plus bas que leur prix de revient.

Face à la hausse des prix justement, quelle est la politique commerciale de Winners pour éviter de passer les coûts aux consommateurs ?

Proposer des produits alternatifs ; c’est la chose essentielle à faire afin d’élargir le choix du consommateur. Nous voulons l’encourager à réduire sa dépendance sur les marques de référence. Le réflexe de choisir des marques de grande notoriété est encore bien présent. Mais de plus en plus, on voit s’installer une autre habitude : comparer avant d’acheter. Et les marques alternatives, des produits qui viennent d’Europe, sont des options d’aussi bonne qualité et de 10 à 15 % moins chères. Nous allons tripler notre assortiment de marques de distributeurs, notamment Leader Price et Casino. Parallèlement, nous continuons à acheter directement auprès de fournisseurs à l’étranger les produits de commodités, les pilchards et les tomates en boîte, par exemple, que nous commercialisons sous la marque Winners. En achetant ces produits sans passer par un distributeur, nous obtenons des prix avantageux.

Nous négocions aussi en permanence les meilleures remises avec nos fournisseurs, que nous passons au client. C’est ce qui nous permet de continuer à mettre en promotion, en mi-mois et à la fin du mois, plus de 4 000 produits. En plus de cela, très souvent, pour les produits d’appel notamment, on ne réalise aucune marge. La préoccupation première du client est le pouvoir d’achat. Nous ne pouvons pas être en déphasage avec ses attentes. Les enseignes qui marchent le mieux sont celles qui offrent les prix les plus compétitifs ; ce n’est pas un secret.

Selon le dernier rapport Kantar, l’indice de confiance des consommateurs est à son niveau le plus bas, soit à 48,5 points, contre 62 points en octobre 2021. Cela se ressent-il dans leur comportement d’achat ? Et comment en mesurez-vous l’impact sur votre chiffre d’affaires ?

Certainement. D’une part, nous observons depuis plusieurs mois un glissement vers les options moins chères. C’est le cas notamment pour les produits de parfumerie, de beauté, d’hygiène et les détergents, qui NOTRE INVITÉ ne sont pas de première nécessité.

Dans certains cas, des marques leaders ont perdu jusqu’à 15 % de leurs parts de marché. D’autre part, les visites sont moins fréquentes. On fait ses courses moins souvent pour ne pas se laisser tenter. Et avec une liste en main, pour éviter des achats spontanés.

Cette prudence dans le comportement d’achat a, bien entendu, occasionné un ralentissement du volume de ventes. Mais lorsque le pays a rouvert ses frontières en octobre, que les arrivées touristiques ont graduellement augmenté, cela nous a aidé à compenser cette baisse.

Winners s’engage contre le gaspillage alimentaire. Comment ?

En septembre 2021, nous avons lancé, sur une base pilote, notre programme de redistribution des produits invendables mais propres à la consommation aux ONG. Aujourd’hui, ce programme est appliqué dans nos 25 points de vente et nous touchons une quinzaine d’associations caritatives en direct. Nous prévoyons de redistribuer chaque année des denrées d’une valeur marchande de plus de Rs 30 millions, ce qui permettra de soulager de nombreuses familles dans le besoin. Ce programme a nécessité un gros travail de sensibilisation. Nos équipes ont aujourd’hui bien intégré l’importance de lutter contre le gaspillage. Dans chaque supermarché, un Project Leader travaille avec les chefs de rayon pour identifier les produits à récupérer : ceux dont les emballages sont abimés, ceux à date courte (boulangerie, frais) et les fruits et légumes «moches».

Nos chefs de rayon passent en revue ces produits et les regroupent. Deux fois par semaine, au minimum, les ONG viennent récupérer des sacs. Tout ce qui n’est pas consommable par l’humain est dirigé vers les ONG qui s’occupent de nourrir des animaux.

Winners compte un site de vente en ligne. Quel est l’intérêt pour ce service ?

En période de confinement, la vente en ligne a été sous pression car la demande était beaucoup trop importante. Elle n’est pas pour autant entrée dans les habitudes de nos clients. Non seulement l’accès au supermarché est géographiquement facile, mais c’est bien plus commode de choisir sur les rayons ce qui vous convient. Pour les supermarchés, de manière générale, la vente en ligne rend la gestion des opérations plus complexe. C’est un service peu rentable – les paiements sont faits exclusivement par carte bancaire, ce qui implique des commissions importantes – et l’organisation logistique est exigeante. Cela dit, la clientèle de niche qui achète en ligne est régulière. Ce service continuera d’exister car il fait partie de notre offre et de notre service clientèle.

Aldo Létimier (COO de Winners) «Nous voulons encourager le consommateur à réduire sa dépendance sur les marques de référence»

Ne faut-il pas une meilleure réglementation pour prévenir la trop grande banalisation de centres commerciaux, surtout dans certaines régions de l’île ?

Absolument. La distribution spatiale des commerces de détail sur le territoire doit faire l’objet d’une réglementation. Il y a un enjeu commercial, bien entendu : si un concurrent s’installe à 500 mètres de votre enseigne, il est clair que cela aura un impact sur vos volumes de vente, sur la santé de votre business, et par conséquent sur l’emploi. Pour les pharmacies, par exemple, une telle règle de distance existe. Mais c’est tout aussi important pour la question environnementale : un développement réfléchi, favorisant certes une diversité commerciale, mais équilibré et cohérent, doit permettre aux localités de respirer

Plusieurs grandes surfaces font appel aux travailleurs étrangers. La main-d’œuvre mauricienne boude-t-elle ce secteur ?

En vérité, notre main-d’œuvre boude plusieurs secteurs… Les supermarchés rencontrent la même problématique que la restauration et l’hôtellerie, entre autres. Ces métiers intéressent de moins en moins une génération qui veut une progression de carrière rapide, qui ne veut pas travailler le week-end… Nous n’avons pas jusqu’ici eu besoin de faire appel à des travailleurs étrangers. Mais la réalité, c’est que chaque mois, nous enregistrons plus d’une centaine de postes vacants. Il faudra trouver une solution à ce problème national.

Le groupe auquel appartient Winners est à la fois distributeur et détaillant. Les autres opérateurs de votre secteur parlent de concurrence déloyale. Que répondez-vous à cela ?

Chaque business, au sein du groupe, est géré de manière indépendante. Chez Winners, nous négocions avec les compagnies du groupe de la même façon que nous négocions avec toutes les autres. Notre objectif premier est de répondre aux besoins du client, ce qui veut dire leur donner les prix les plus compétitifs et assurer une disponibilité de produits. Cela n’aurait pas de sens, sur le plan commercial et sur le plan de l’efficience opérationnelle, si nous devions privilégier un fournisseur au détriment de notre clientèle en termes de choix et de prix.

Vous dites que Winners est premier au classement des supermarchés préférés des Mauriciens. Mais sur les réseaux sociaux, ils ne sont pas tous gentils à votre égard…

Les avis clients sont essentiels à l’amélioration de nos services. Nous avons une cellule dédiée au service clientèle pour recevoir les commentaires, les suggestions et les plaintes. Dix personnes y sont attachées. Elles enregistrent toutes les interventions reçues à notre centre d’appels, et s’assurent de faire le suivi pour que les mesures correctives appropriées soient prises. Ce service s’occupe aussi d’effectuer régulièrement des audits internes et de former le personnel en continu.

Nous avons également créé le Winners’ Club. C’est une «communauté d’experts», 2000 personnes représentatives de la démographie mauricienne auprès desquelles nous faisons tous les mois un sondage d’opinion. Ce feed-back permet également d’ajuster nos actions. Comme je vous l’ai dit plus tôt, nous avons fait récemment plusieurs études de perception pour savoir ce que nos clients pensent de nous en tant qu’enseigne et en tant que supermarché, et nous mettons en place plusieurs initiatives pour améliorer le service

Par la nature de notre activité, nous touchons à un besoin vital de la population : se nourrir. Dans la conjoncture actuelle, nous nous attendons à être la cible d’un certain ressentiment. Nous faisons de notre mieux pour être parmi les plus compétitifs. Avec deux millions de visites par mois aux caisses de nos supermarchés, vous comprendrez que ce n’est pas facile de satisfaire tout le monde…

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