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Crise dans l’indopacifique pourquoi Maurice doit rester neutre dans cette nouvelle guerre froide

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BM1510 ENJEU

La situation est tendue sur le plan international. La coalition entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie pour assurer la sécurité dans l’indopacifique et l’annulation subséquente du contrat de 12 sous-marins nucléaires n’ont pas manqué de froisser la chine et la France. Ayant des intérêts économiques et commerciaux avec les grandes puissances concernées dans cette guerre des tranchées, Maurice doit diplomatiquement adopter une posture neutre.

AU lendemain de la prise de pouvoir en Afghanistan par les Talibans, l’officialisation de l’alliance AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie est venue accentuer la tension sur le plan international. La France est la première victime corollaire de cette nouvelle coalition qui veut en quelque sorte militariser la région de l’Indopacifique. Ainsi, l’Australie a annulé son contrat avec l’Hexagone pour la construction de 12 sous-marins français pour 56 milliards d’euros.

Dans cette nouvelle forme de guerre froide qui se dessine, les intérêts économiques et commerciaux en jeu sont colossaux. Ainsi, avec une valeur annuelle de 1 500 milliards d’euros (2019) en termes d’échanges commerciaux entre la région indopacifique et l’Europe, cette zone représente plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services ainsi que plus de 60 % des flux d’investissements directs étrangers, selon un communiqué de la Commission européenne. Décrite comme le «nouveau centre de gravité du monde» par Joseph Borell, le vice-président de la Commission européenne, cette région est le théâtre d’enjeux économiques et politiques opposant les grandes puissances mondiales.

Amit Bakhirta (CEO D’Anneau)Commentant cette nouvelle alliance, le CEO d’Anneau, Amit Bakhirta, rappelle qu’il a déjà exprimé des inquiétudes sur les dommages collatéraux de la montée d’une nouvelle superpuissance (la Chine) et la chute d’une superpuissance existante (les États-Unis). En réussissant à obtenir des engagements plus forts de leurs alliés du Commonwealth (le Royaume-Uni et l’Australie), les Américains sont désormais susceptibles de montrer leur puissance de frappe pour «contenir l’aspiration des Chinois à étendre leur puissance territoriale sur Taïwan», estime Amit Bakhirta, qui ne peut s’empêcher de s’interroger sur la réaction des États-Unis si les Chinois avaient conclu le même pacte avec la Russie pour ouvrir des bases à Cuba.

Arguant que les Australiens utilisent le même flux d’exportation – 40 % des exportations australiennes sont vers la Chine – pour dépenser pour leur défense alors que la région indopacifique se réchauffe de plus en plus, il estime que cette stratégie pourrait être contreproductive sur le long terme. Quant aux Français et leurs homologues européens, Amit Bakhirta les décrit comme des «joueurs de jeu qui ne veulent certainement pas être perçus par leurs financiers économiques chinois comme étant trop du côté des Américains».

Pierre Dinan (Économiste)De son côté, l’économiste Pierre Dinan relativise en soutenant que «c’est un bon accord qui était nécessaire pour assurer un certain équilibre dans cette région». La Chine étant une puissance mondiale avec une économie qui devrait dépasser celle des États-Unis, il lâche avec une pointe d’humour que «je serais très heureux si j’étais Taïwanais». Cependant, il ajoute que la manière dont la France a été tenue à l’écart est regrettable, car «Joe Biden et Boris Johnson ont manqué de tact diplomatique».

La concurrence politique, économique, technologique et géostratégique qui se déroule entre les Américains et les Chinois depuis plusieurs années semble annoncer une nouvelle guerre froide à l’horizon. Plusieurs décennies après la disparition de la dernière guerre froide livrée entre les États-Unis et la Russie, Pierre Dinan trouve «malheureux et dommage que l’histoire se répète». Même s’il considère que nous sommes déjà en train de vivre une nouvelle guerre froide, Amit Bakhirta fait, de son côté, remarquer que celle-ci est «différente du passé dans la mesure où la technologie (terrestre ou spatiale), les médias, la microbiologie et le capital sont désormais les armes principales». À chaque fois qu’un nouvel empire détrône un empire dominant, le résultat inévitable demeure les frictions. Soulignant qu’il y a des lignes raisonnablement subjectives à ne pas franchir, il met l’accent sur «l’étendue des frictions et les leçons tirées du passé». En se mettant à la place d’un Chinois à Shanghai qui constate la présence militaire américaine de la Corée du Sud au Japon en passant par Taïwan, Singapour, les Philippines, l’Australie, les îles de l’océan Indien et l’Inde, Amit Bakhirta soulève deux manières d’interpréter ce fait. Si certains peuvent le voir comme une justification de sécurité pour empêcher la Chine d’envahir l’Asie-Pacifique, d’autres le verront comme une menace de la puissance américaine envers la Chine.

LA QUESTION DES CHAGOS

Face à l’autre alliance nommée QUAD qui inclut les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie, il demeure essentiel de s’interroger sur l’impact de ces jeux d’alliance sur la souveraineté de Maurice par rapport aux Chagos. Réagissant sur ce sujet, le CEO d’Anneau insiste sur le fait que «Maurice doit comprendre que tous les pays ne sont pas égaux et se doit de rester neutre, comme il l’a fait jusqu’à présent». Faisant ressortir que l’Inde s’est abstenue de coparrainer la résolution même si la Grande péninsule a voté avec Maurice à l’Assemblée générale, Amit Bakhirta estime que «l’archipel des Chagos ne sera probablement pas restitué à Maurice». Néanmoins, il n’empêche que les différends autour de la cogestion des eaux économiques et territoriales, à l’exclusion des affaires militaires, doivent être résolus en privé.

Pierre Dinan abonde dans le même sens. Reconnaissant que nous ne sommes qu’un pion sur l’échiquier géopolitique face aux géants que sont la Chine, les États-Unis ou encore l’Inde, il ajoute que cette dernière a su trouver en Agalega un bon «stepping-stone dans la région de l’océan Indien».

Étant donné que nous sommes une République composée de plusieurs petites îles stratégiquement bien situées, il souhaite que Maurice puisse travailler avec ces pays pour «reconnaître notre souveraineté et accorder des aides économiques afin que nous puissions tirer le maximum de bénéfices économiques».

bm1510 enjeuSi d’un côté, les États-Unis et le Royaume-Uni sont des partenaires commerciaux de longue date pour Maurice, il est aussi vrai que nous entretenons des relations diplomatiques pour le moins compliquées avec les Américains et les Britanniques à cause de Diego Garcia. D’un autre côté, nous avons récemment signé un accord de libre-échange avec la Chine qui concerne notamment la suppression des droits de douane sur 7 504 produits. Il est donc clair que cette situation est délicate pour Port-Louis. Interrogé sur le positionnement à adopter par Maurice face aux récentes stratégies de ces superpuissances sur l’échiquier mondial, Amit Bakhirta indique qu’on doit être autant neutre que possible. Craignant par ailleurs que notre paisible région insulaire devienne de plus en plus militarisée, il estime que la meilleure solution est de se concentrer sur notre propre développement socio-économique en tant que nation progressiste tout en restant ouverte économiquement à la Chine et aux États-Unis.

 

Zone indopacifique : Locomotive de la croissance mondiale

Avec six pays du G20 au compteur (la Chine, l’Inde, l’Australie, le Japon, l’Indonésie et la Corée du Sud), l’Indopacifique est devenue le principal moteur de la croissance économique mondiale au cours des vingt dernières années. Cette région génère aujourd’hui près de 40 % de la richesse mondiale. Selon les prévisions du Fonds monétaire international, elle pourrait occuper plus de 50 % du PIB mondial en 2040 alors que ses marchés pourraient représenter 40 % de la consommation globale. Pour cause, 21 des 30 plus grandes villes de la planète se trouvent en Asie. S’appuyant sur le dynamisme des classes moyennes avec une population de 3 milliards d’individus prévue d’ici à quelques années en Asie, la connectivité, la mobilité et la forte demande pour les services de qualité ainsi que des biens haut de gamme figurent parmi les wagons stimulant cette locomotive de la croissance économique mondiale.

 

Jocelyn Chan Low (Historien )

 «L’indopacifique est d’une importance stratégique capitale»

Jocelyn Chan Low, historien et professeur agrégé à la faculté des sciences humaines à l’université de Maurice, nous livre une analyse en profondeur des différents enjeux liés à la zone indopacifique.

La concurrence économique, politique et géostratégique qui se déroule entre la Chine et les États-Unis depuis plusieurs années est-elle annonciatrice d’une nouvelle guerre froide ?

Bien que Joe Biden soutienne que tel n’est pas le cas, nous voyons effectivement depuis quelques années des initiatives américaines visant à isoler et affaiblir la Chine ou brimer son envol, malgré le fait que la Chine n’ait jamais été (à quelques exceptions près, notamment dans certaines provinces limitrophes) une puissance expansionniste. La Grande Muraille en est l’exemple : elle a pour but de défendre l’intégrité du territoire chinois.

L’expansion chinoise se fait surtout au niveau de l’influence économique. Cependant, comme le rappelait Paul Kennedy dans son ouvrage phare The rise and fall of great powers, le nerf de la guerre réside dans la puissance économique et technologique. La Chine est en passe de surpasser les États-Unis dans ce domaine, ce qui explique cette rivalité et cette polarisation du monde entre la puissance déclinante et la puissance montante.

 L’autre alliance avec l’Inde, le Japon et l’Australie, Quad, vise également à sécuriser et stabiliser la région indopacifique. Quel sera l’impact pour Maurice qui se bat pour sa souveraineté sur les Chagos ?

La région indopacifique est d’une importance stratégique capitale en raison du volume du commerce international qui, de surcroît, transite par des détroits qui peuvent être rendus facilement inaccessibles en temps de crise. En outre, il est le point de mire de ce qui reste de la guerre civile chinoise, car Taïwan n’a toujours pas été conquis par l’armée de la Libération Populaire chinoise. Il est connu qu’aucun régime au pouvoir en Chine continental ne cédera un pouce du territoire chinois, puisqu’il risquerait de se faire renverser étant donné le poids du nationalisme en Chine. De ce fait, la question de Taiwan est un chaudron qui peut exploser à n’importe quel moment.

Quant à l’Inde, elle redoute l’encerclement par les routes de la soie par l’alliance de la Chine avec le Pakistan, l’adversaire historique. En outre, elle a toujours considéré l’océan Indien comme son théâtre d’influence exclusif. Or, aujourd’hui, la Chine possède une base militaire à Djibouti et peut à n’importe quel moment déployer au moins dix navires de guerre chinois dans la zone sans compter les sous-marins ultra sophistiqués. Pour cause, la Chine a besoin de surveiller ses routes commerciales, notamment avec l’Afrique où elle a de gros investissements. Ainsi, la guerre froide entre la Chine et l’Inde est déjà à nos portes. Il faut ajouter à cela les initiatives diplomatiques japonaises, le Japon bien sûr se sentant menacé par la puissance chinoise.

Quant à Maurice, sa politique étrangère aurait dû s’articuler autour de la notion de «perfect neutrality» dans cette nouvelle guerre froide qui se dessine. Mais avec ce qui se trame à Agalega, nous risquons de nous retrouver au coeur d’un conflit entre superpuissances dans la mesure où une partie du territoire mauricien abriterait une base militaire, voire une station de surveillance maritime d’un des protagonistes.

Pour ce qui est de Diego Garcia, la rétrocession à Maurice apparaît encore plus éloignée, car les États-Unis et le RoyaumeUni sont aujourd’hui partenaires dans un nouveau cadre géopolitique.

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