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Édito

Qu’est-ce qui arrive au fret ? (et aux prix) ?

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Jusqu’en août de l’année dernière (voir le graphique de l’UNCTAD ci-joint), on ne peut pas dire que les taux de fret maritime aient été particulièrement anormaux. Et puis : Boom ! Ça explose ! Sur la route Shanghai-Durban, le fret augmente de 800$ à 3 400$ pour un container de 20 pieds (Twenty foot Equivalent Unit – TEU), un prix qui est quadruplé !

Sur la route Shanghai-Europe (Rotterdam), le tarif passe d’environ 900$ à une pointe de 4 400$ toujours pour un container de 20 pieds équivalent, un tarif qui est quasiment quintuplé. Les Américains, gros consommateurs, importent non pas par container de 20 pieds (TEU), mais par container de 40 pieds (FEU). C’est théoriquement plus efficient, mais depuis août 2020, le tarif explose aussi. Pour la côte ouest (Pacifique), le tarif passe de 1 700$ (FEU) à 4 000$ (+235 %). Sur la côte atlantique, le coût d’un container de 40 pieds pour le voyage de Shanghai passe de 3 400$ à 5 300$ (+156 %).

Il faut évidemment comprendre que le transport maritime ne coûte pas plus cher aux opérateurs qu’en 2019… exception faite du fuel qui suit aussi une courbe ascendante depuis l’an dernier et qui, selon Drewry Shipping Consultants, représente environ 46 % du coût d’opération annuel d’un PANAMAX. Dans le sillage du renchérissement des prix du marché de pétrole ; le marine fuel, qu’il soit avec un fort taux de soufre (HSFO) ou pas (VLSFO), a progressé d’entre 40 et 50 % de janvier à octobre de cette année. Cependant, cette progression est loin d’expliquer ce qui se passe sur le fret. En effet, 50 % d’augmentation du marine fuel ne peut expliquer qu’environ 23 % d’augmentation des tarifs…

De plus, la moyenne de coût du baril de brut Brent, s’il a désormais atteint 66,86$ en 2021, comparé à 41,96$ en 2020 (+59 %), est essentiellement au même niveau que la moyenne pré-pandémie de 2019 (64,3$) ou de 2018 (71,34$) (*), quand toutes les usines du monde carburaient pourtant à plein ! Le Bunker Adjustment Factor ne peut donc être l’explication… Il n’y a pas moins de bateaux non plus (offre) et la demande pour du fret n’est pas plus forte qu’en 2019…

Alors, qu’est-ce qui se passe, en vérité ? On aura tenté bien des explications, depuis les engorgements de divers ports, les désarticulations entre l’offre et la demande, la reprise de la demande mondiale, surtout depuis le printemps, ayant été mal anticipée par les compagnies maritimes, et un manque de containers «au bon endroit». Tous ces facteurs peuvent jouer un rôle négatif, mais cela fait des mois que cela dure sans solution et les prix qui explosent sont sans commune mesure avec la logique. C’est pourquoi certains postulent depuis peu un peu d’opportunisme capitaliste qui se greffe sur une situation de commerce international temporairement désaxée par la pandémie. Il ne s’agit pas nécessairement de pratiques oligopolistiques, mais si votre concurrent augmente ses prix, pourquoi être en reste, ces occasions étant peu fréquentes ?

Sur la côte ouest des États-Unis, le port d’Oakland (le 11e du pays), se bat pour du travail, s’étant substantiellement renforcé récemment, alors que celui de Long Beach (le 1er du pays) a une centaine de bateaux qui attendent d’être déchargés. Pourquoi ? Ils ne peuvent pas se téléphoner ? La MaisonBlanche a dû intervenir…

Pour tout couronner, ajoutez-y une couche ‘moderne’ de «fake news», sous le couvert de théories de conspirations classiques et propagez le tout à la faveur des réseaux sociaux et vous obtenez ceci : «This is a current map of cargo containers at sea waiting to port around the U.S. There are now 200,000 just at the Long Beach, CA port waiting to dock. There is also a shortage of 80,000 truckers and other transport workers in the industry. I don’t know what else is going on and I don’t want to scare anyone but I think not just consumer items but food, gas and other goods are going to be in short supply soon and prices are shortly going to skyrocket like crazy!». Ou encore plus loufoque ceci : «WAKE UP! The truckers are waiting in front of the ports and leave with nothing. This is a strategy of this damn government that wants to create a hunger crisis and then become the saviors of the world and control the people more», le tout accompagné d’une mappe authentique de l’app de Marine Traffic qui montre, en effet, environ 267 000 objets flottants, y compris des voiliers, des tankers, des bateaux de pêche, des bateaux de plaisance et autres… Ces internautes n’avaient rien compris, ou alors, ils ne souhaitaient rien comprendre à part faire avancer leurs idées personnelles peu importe les dégâts… L’anticipation de pénurie, c’est aussi ce qui insuffle vie à l’inflation !

Ce qui pousse à se demander si un tel degré d’irresponsabilité peut encore justifier une totale liberté d’accès et d’action sur le ‘Net’ ; toutes les situations de désinformation ne bénéficiant pas, comme dans le cas présent, d’un fact checking rapide et judicieux d’une agence crédible comme Reuters pour éviter la panique ou la colère. (**)

Mais on s’éloigne du sujet du jour. Les 8 jours d’enlisement de l’Ever Given (200 000 tonnes, 400 mètres de long) dans le canal de Suez, en mars dernier, n’auront certainement pas aidé non plus. En effet, si les propriétaires du canal perdaient 15 millions de dollars de revenus par jour, ils s’en sont bien sortis avec 550 millions de dollars d’indemnisation des assureurs du bateau, alors que la Lloyds estimait que cet incident avait quotidiennement empêché environ 9,6 milliards de dollars de marchandises entre l’Europe et la Chine de passer par le canal, causant des entassements en amont et de la demande insatisfaite ou retardée en aval. Les prix du fret spot et forward en ont ressenti les effets. Par contrecoup, l’assurance maritime aussi…

Dans ce genre de crise, les pays pauvres paient toujours plus cher. Encore plus s’ils sont isolés, comme nous le sommes. Le graphique ci-dessus montre qu’un container de 20 TEU passait de 2 700$ à 6 600$ vers Lagos, au Nigeria (+245 %) et de 500$ à presque 9 000$ vers le Brésil (+1 800 %).

Pour Maurice, le container de 20 TEU venant de Shanghai, qui coûtait 800$ en juin 2020, passait à 3 635$ douze mois plus tard et 6 708$ en septembre dernier (+ 838 % en 15 mois !). De l’Europe, le tarif a presque doublé (seulement !) en 15 mois à 2 263$ le 20 TEU. L’efficience d’un port compte aussi : pourquoi passer des jours inutiles à Port-Louis, et payer, si ces jours peuvent être mieux capitalisés ailleurs ? Ainsi Colombo parfois devenu le ‘hub’ de Maurice ! Finalement, particularité mauricienne : le container de 20 TEU qui repart en Chine coûte 500 $ seulement parce qu’il repart vide ! Le tarif vers Maurice est donc quasiment un tarif aller-retour… Il y a aussi des effets d’entraînement: un fournisseur européen récent, jouant serré, facturait une lump sum de 2 000 euros à cause du fret. À prendre ou à laisser… Opportunisme de circonstance ?

Ces chiffres de fret, faut-il le rappeler, ne feront que s’ajouter à la hausse des prix des commodités (+ 154 % en 1 an pour le charbon sud-africain, +96 % pour le diesel, +27 % pour la nourriture, + 23 % pour les intrants industriels…) (***) et bien évidemment à l’érosion de la roupie (-16,8 % pour le dollar et -22,4% pour l’euro sur les 22 mois à octobre 2021).

Ça pourrait chauffer pour les prix dans les mois à venir, à moins que la période d’après les fêtes ne réduise fortement les tensions commerciales…

Depuis le temps que l’on vous parle des pots de terre contre les pots de fer et de la loi absolue des plus forts, ça ne devrait plus vous étonner…

(*) https://www.statista.com/statistics/262860/uk-brent-crude-oil-pricechanges-since-1976/

(**) https://www.reuters.com/article/factcheck-port-stationedships-idUSL1N2RI1SL

(***) https://www.indexmundi.com/commodities/

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