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Diaspora, un capital humain à conquérir

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Diaspora

Le Mauritian Diaspora Scheme (MDS), établi dans le sillage du Budget 2015-2016, n’a incité jusqu’ici qu’une infime partie des professionnels mauriciens de haut calibre établis à l’étranger à opter pour un retour au pays. Il revient désormais au nouveau ministre des Finances, Pravind Jugnauth, de changer la donne.

Lors de la présentation du Budget 2015-2016, en mars de l’année dernière, les mesures visant à encourager les membres de la diaspora mauricienne disséminés à travers le monde à rentrer au pays ont été plébiscitées. L’État lançait ainsi un appel auxfils du sol hautement qualifiés afin qu’ils contribuent sinon au «deuxième miracle économique», du moins aux différents projets de développement envisagés. À quelques jours du prochain exercice budgétaire, prévu pour le 29 juillet, le Mauritian Diaspora Scheme (MDS), annoncé il y a plus d’un an, a-t-il suscité l’intérêt voulu auprès des principaux concernés ? Faudrait-il rendre plus incitatives les mesures énoncées par Vishnu Lutchmeenaraidoo,  précédent ministre des Finances ? Ou encore dans quelle mesure le retour de ces ressources humaines est-il essentiel à la croissance économique de l’île ? Autant de questions qui interpellent.

Selon les derniers chiffres disponibles, la diaspora mauricienne comprenait quelque 200 000 personnes à décembre 2015. Chargé de piloter le MDS, le Board of Investment (BoI) fait ressortir que les compétences recherchées auprès des Mauriciens établis à l’étranger concernent les secteurs suivants : technologies de l’information et de la communication, ingénierie, services financiers, énergies fossiles, énergies renouvelables, recherche et développement, hôtellerie, éducation, voire spécialisation dans le domaine médical.

Du côté d’Alentaris, agence reconnue pour ses services relevant des ressources humaines, on soutient que ces secteurs ont le potentiel de faire revenir la diaspora mauricienne. «Ce sont les secteurs dont l’apport au produit intérieur brut est conséquent qui attireront les Mauriciens vivant à l’étranger», confirme Thierry Goder, Chief Executive Officer (CEO) d’Alentaris. Concernant l’hôtellerie en particulier, il parle du rôle que pourrait jouer la diaspora par rapport à l’ambition qu’a l’industrie de renforcer sa présence sur le marché chinois et du fait qu’«un certain nombre de Mauriciens ont fait carrière dans de grands groupes hôteliers à l’étranger».

L’un des Mauriciens à avoir tenté l’expérience du retour au pays natal est Christopher Li. Ce dernier, qui occupe à Maurice le poste de Managing Director chez Albert Trading, a vécu huit ans au Canada avant de se décider à rentrer. À l’exemple du gouvernement, il estime que le développement de l’économie a besoin de personnes dotées d’une nouvelle vision. «Aujourd’hui, si nous voulons que l’économie locale progresse davantage, il faut qu’il y ait une certaine proactivité sur le marché du travail. D’où l’importance d’un retour de la diaspora», commente Christopher Li.

Abondant dans le même sens, Thierry Goder avance qu’«avec le développement que connaît l’île, nous avons besoin de nouvelles compétences». Les Mauriciens résidant à l’étranger, soutient-il, sont conscients du degré d’avancement qu’a atteint leur pays d’origine ; ils se tiennent au courant à travers divers moyens de communication modernes tels Skype, Facebook, Google.

C’est justement l’une des raisons ayant incité Shakeel Dilmahomed, Centre Manager de Bagatelle Mall of Mauritius, à faire le choix du retour, après une décennie passée à Montréal, au Canada. «Quand je suis parti pour Montréal, je suis resté en contact avec des amis à Maurice. Ils m’ont dit à quel point l’île avait évolué ces dix dernières années et m’ont informé des opportunités professionnelles existantes. Finalement, j’ai décidé de retourner au bercail pour apporter ma contribution au développement du pays», explique Shakeel Dilmahomed. Il avoue qu’il s’est aussi laissé séduire par les avantages du MDS, qui concernent non seulement les Mauriciens établis à l’étranger mais également leurs enfants et petits-enfants. Il est essentiellement question d’incitations fiscales : le candidat au retour sera exempté de l’impôt sur le revenu pour une période de dix ans, n’aura pas à s’acquitter des droits de douane sur les premiers Rs 2 millions que représente l’achat d’une voiture à Maurice ou à l’étranger, pourra rapatrier ses effets personnels sans avoir à se soucier des frais douaniers et de la taxe sur la valeur ajoutée et bénéficiera d’une exemption des frais d’enregistrement sur la première acquisition d’un bien résidentiel dans le cadre du Smart City Scheme.

Dans une newsletter du BoI publiée en janvier 2016, Gérard Sanspeur, président du conseil d’administration de l’instance, souligne que le MDS porte ses fruits et que «les premiers fils du sol, des professionnels, ont déjà reçu leurs certificats pour leur réinstallation dans leur pays natal.» Thierry Goder relève néanmoins que la diaspora n’a pas attendu la mise sur pied du MDS pour revenir vivre et travailler à Maurice. L’agence elle-même, agissant en sa qualité de recruteur, a permis à un certain nombre de nos compatriotes de rentrer et en décembre 2015, ils étaient près d’une quinzaine à envisager un retour au pays.

Christopher Li est lui aussi convaincu que la diaspora mauricienne n’est pas uniquement attirée par les incitations fiscales du MDS. «Les Mauriciens que l’État entend attirer sont dans une tranche d’âge allant de 30 à 45 ans. Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est une reconnaissance du travail accompli et des perspectives d’emploi attrayantes. Ces deux éléments, ils les trouvent déjà dans les autres pays où ils vivent», indique le MD d’Albert Trading. Afin d’étayer ses dires, il cite son propre exemple. Bien qu’ayant pris la décision de revenir à Maurice, Christopher Li rappelle qu’au Canada, il a gravi les échelons professionnels rapidement : d’Accounts Manager, il est devenu Retail Manager d’Hilti, multinationale fabriquant et commercialisant de l’outillage destiné au secteur de la construction. «Cette possibilité de grandir professionnellement n’existe pas encore ici. C’est pour cela que les Mauriciens préfèrent demeurer à l’étranger

Un deuxième motif qui pourrait décourager le retour de la diaspora est les taux d’intérêt des prêts immobiliers à Maurice, jugés trop élevés. Ceux-ci oscillent généralement entre 7 et 8 %, si bien qu’un Mauricien consacre parfois jusqu’à 40 % de son salaire au remboursement d’un emprunt immobilier. Comparativement, des pays comme le Canada proposent des taux d’intérêt bien inférieurs, allant de 1,9 à 2,25 %, sur ce type d’emprunt, avance Christopher Li. En conséquence, les Mauriciens de la diaspora y réfléchissent à deux fois avant de renoncer à de tels avantages.

Un autre argument mis en avant pour justifier l’hésitation des membres de la diaspora n’ayant pas encore atteint la cinquantaine à songer à un éventuel retour : le fait de retrouver les mêmes figures politiques au sein du gouvernement depuis des années. D’aucuns sont convaincus que Maurice a besoin de sang neuf pour redynamiser l’économie nationale. Dans les pays d’Europe ou au Canada, par exemple, les élections permettent à des politiciens relativement jeunes de faire leurs preuves. L’un d’eux, Justin Trudeau, 44 ans, en poste depuis 2015, est l’actuel Premier ministre canadien.

Pour sa part, Christopher Li est d’avis que le MDS attirera plutôt les professionnels mauriciens qui ont déjà accompli la plus grande partie de leur parcours à l’étranger et ne sont pas loin de la retraite. «Ils sont aisés et ont gravi les échelons professionnels», ajoute-t-il.

Si une poignée de Mauriciens ont saisi, à ce jour, les opportunités offertes par le MDS, au vu des différents arguments présentés, l’enjeu reste entier pour le pays. Jeunes et connectés, mais aussi soucieux de leur avenir, les membres de la diaspora âgés de 30 à 45 ans seront sans doute nombreux à suivre le grand oral du présent ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Reste à savoir si ce dernier saura se montrer plus convaincant que son prédécesseur, au point de provoquer un «brain gain» salutaire à l’économie de l’île.

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