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Miracle économique : le modèle singapourien fait débat

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Miracle économique : le modèle singapourien fait débat | business-magazine.mu

Maurice est-elle en mesure de connaître un deuxième miracle économique, comme l’a promis le gouvernement issu des urnes en décembre dernier ? La question interpelle divers observateurs, avec pour toile de fond, la réussite d’un tigre asiatique : Singapour.

Le décès de Lee Kwan Yew, fin mars, a suscité des débats sur les réseaux sociaux ainsi que dans la presse internationale sur le concept du miracle économique. Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990, Lee Kwan Yew a en effet permis à l’économie de cet État insulaire d’Asie du Sud-Est de progresser à un taux annuel de 9 % de 1960 à 1984, selon Xinhua, l’amenant ainsi à accéder au statut de pays développé.

Deuxième miracle économique?

À Maurice, c’est de «deuxième miracle économique» dont parle sir Anerood Jugnauth depuis la victoire de l’Alliance Lepep aux législatives de décembre 2014, en référence à la progression qu’a connue l’économie locale dans les années quatre-vingt. Or, quelque peu assombri par l’affaire BA Investment–Bramer Bank, l’engagement pris par le nouveau gouvernement l’est aussi par un taux de croissance qui peine à dépasser les 4 % depuis cinq ans, comme le soulignait Stéphane Henry, Chief Executive Officer d’Investment Professionals dans ces mêmes co-lonnes («Vers un second miracle économique», mars 2015).

Afin de mieux cerner les perspectives, pour Maurice, d’écrire une page de son économie qui la hissera vers de nouveaux sommets, il convient d’établir un parallèle avec Singapour, considérée comme l’un des quatre tigres asiatiques. À ce chapitre, Yash Tandon, docteur en diplomatie et professeur honoraire à l’université de Warwick en Angleterre, fait ressortir que «Maurice, comme Singapour, est un petit pays et se doit de fournir des services et marchandises au reste du monde de façon compétitive. Dans une certaine mesure, la classe économique et politique mauricienne a été intelligente et innovatrice. Ce pays a su se diversifier, passant d’une économie essentiellement basée sur le secteur sucrier à une économie où les secteurs manufacturier puis financier ont pris tour à tour plus de poids». En contrepartie, souligne le professeur, Singapour «n’a pas la capacité d’utiliser son multiculturalisme et son multilinguisme pour arriver à ses fins».

Utopique pont entre l’Afrique et l’Asie?

Si Maurice a su faire meilleur usage de sa diversité culturelle et linguistique pour conclure des partenariats commerciaux avec les nations étrangères, il n’empêche qu’en termes de croissance économique et de capacité à produire de la richesse, elle est encore loin derrière Singapour. À titre illustratif, selon les chiffres publiés par la Banque mondiale, en 2013, le produit intérieur brut (PIB) de Maurice était de $ 11,93 milliards, contre $ 297,94 milliards pour l’île-État du Sud-Est asiatique. L’écart est si grand qu’on ne peut s’empêcher de se demander si l’objectif de devenir un centre financier, un pont entre l’Afrique et l’Asie ne restera pour Maurice qu’un rêve.

Jeff Gable, Chief Economist de Barclays Africa, en visite récemment dans le cadre du Barclays Africa Roadshow, est persuadé du contraire. Reconnaissant qu’il est sans doute influencé par le fait qu’il travaille pour une banque «très active dans le secteur financier sur le sol mauricien», l’économiste a ajouté que le concept de Maurice en tant que «financial gateway to Africa» a du sens pour lui, au vu de «la force de la gouvernance et de l’environnement juridique» de l’île.

Renforcer la présence mauricienne en Afrique

Afin que le projet de transformer Maurice en centre financier assurant le lien entre l’Afrique et l’Asie se concrétise, l’île devra avant tout renforcer sa présence sur le continent africain, à travers d’importants investissements. Pour rappel, Singapour a mis en place une stratégie analogue en Asie dans les années quatre-vingt-dix. En 1995, le génie politique qu’était Lee Kwan Yew fait comprendre à son peuple que la prospérité dont il a joui depuis la séparation du pays de la Fédération des États de Malaisie ne saurait se poursuivre au-delà d’une décennie. Pour assurer le développement à long terme de l’économie, le gouvernement singapourien débute donc une politique de régionalisation, c’est-à-dire d’implantation dans les pays de la région, à travers des parcs industriels. Une stratégie visant à prendre avantage de la main-d’œuvre bon marché et des ressources manquant cruellement à Singapour tout en augmentant la capacité de production de ses entreprises.

C’est la Chine qui, la première, invite les entreprises singapouriennes à s’installer à Suzhou, ville située dans l’Est, ce qui entraînera la création du China-Singapore Suzhou Industrial Park. D’autres centres industriels suivront en Indonésie et au Vietnam. La réussite du parc industriel de Suzhou devra toutefois attendre une renégociation entre les autorités des deux pays au terme de laquelle les Chinois obtiendront 80 % des actifs.

La stratégie singapourienne  fondée sur quatre leviers

Maurice a-t-elle la capacité de reproduire en Afrique ce que Singapour a accompli en Asie ? Amédée Darga, directeur de StraConsult, cabinet de consultants spécialisé dans la conception et la mise en œuvre de projets en Afrique subsaharienne, estime, en observateur averti, qu’à la différence de l’île-État du Sud-Est asiatique, la stratégie d’expansion de Maurice n’est pas bien pensée : «Je ne crois pas que Maurice soit en mesure d’émuler la stratégie singapourienne de développement transfrontalier par le biais des Zones économiques spéciales (ZES).» Il explique, en outre, que la stratégie singapourienne était fondée sur quatre «leviers», soit «l’obtention d’un espace foncier dans les pays cibles, les négociations avec ces pays pour la création d’un cadre régulateur spécial avec de réels avantages en termes de conditions d’opération, l’injection de ressources financières publiques et privées des parties prenantes singapouriennes en vue de la mise en place de l’infrastructure des ZES et enfin, la mobilisation des opérateurs privés de Singapour pour s’implanter dans ces ZES». Amédée Darga est d’avis qu’à ce jour, le «track record» laissé par Maurice dans les pays où elle a souhaité s’implanter n’est pas bon. Pour étayer son propos, il cite l’exemple du Mozambique, où les réalisations ont été «piètres».

Et bien qu’il perçoive la possibilité de négocier avec le Ghana et le Sénégal pour la création de ZES dans ces pays, le directeur de StraConsult insiste sur le fait que les autorités mauriciennes devront d’abord apporter des réponses claires à quatre questions, notamment : quelles seront les sources de financement des travaux d’infrastructure ; quelles entreprises mauriciennes seront concernées ; dans quelle mesure seront-elles aidées par le gouvernement et quels moyens seront mis en œuvre pour rechercher des partenaires étrangers. 

Le modèle singapourien démontre que le soutien d’un gouvernement à ses entreprises dans ce type de projet est primordial. De fait, le Singapore Economic Development Board a joué un rôle déterminant dans les partenariats entre les firmes singapouriennes et étrangères. Maurice Lam, ex-Chairman du Board of Investment, aujourd’hui domicilié à Singapour, confirme que le succès de l’île-État «se trouve dans l’efficacité de sa fonction publique et de ses corps parapublics».

On peut dire que le modèle singapourien se résume à un état d’esprit

«On peut dire que le modèle singapourien se résume à un état d’esprit»,  poursuit Maurice Lam. Dans la foulée, il parle de l’obsession des fonctionnaires de cet État insulaire d’Asie du Sud-Est à contribuer à la réussite du pays et à l’amélioration du niveau de vie de leurs concitoyens. Un état d’esprit, soutient-il, provenant «du plus haut niveau de la gouvernance du pays» et inculqué au Civil Service College, où sont formés les agents de la fonction publique.

Les Mauriciens sont-ils prêts, eux aussi, à changer d’état d’esprit ? Telle est la question que se posent de nombreux opérateurs locaux, à l’instar de Ganesh Ramalingum, de la compagnie Data Communications. Il croit, pour sa part,  que le développement économique de l’île passe impérativement par l’innovation ainsi qu’un investissement considérable dans la recherche et le développement. Jugeant qu’à Maurice, ce secteur est actuellement quasi inexistant, il fait remarquer que «nous subissons la technologie, nous ne l’inventons pas», à la différence de Singapour. Ganesh Ramalingum salue néanmoins l’initiative du gouvernement d’allouer Rs 125 millions à l’innovation dans le dernier exercice budgétaire. Le Pr Yash Tandon abonde dans le même sens. Pour réussir, affirme-t-il, Maurice doit«continuer à innover et faire partie de l’Afrique continentale».