Type to search

Actualités

Agriculture bio, un pari sur l’avenir

Share
Agriculture bio

Le gouvernement en place a fait de l’agriculture bio l’une de ses priorités, en témoigne l’introduction de mesures incitatives en faveur de pratiques agricoles plus saines. Reste à savoir si les planteurs seront nombreux à se laisser convaincre…

Selon la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, l’agriculture bio est «un système de production qui maintient la santé des sols, des écosystèmes et des personnes (…) Elle allie la tradition, l’innovation et la science au bénéfice de l’environnement commun». Défini en 1920, ce type d’agriculture est organisé sur le plan international depuis 1972. À Maurice, la filière en est encore à ses balbutiements, l’agriculture dite «conventionnelle», où pesticides et engrais chimiques sont largement utilisés, s’étant graduellement imposée. Alors que l’attachement à ces pratiques demeure tenace, quelques agriculteurs et entreprises font d’ores et déjà le pari de l’agriculture biologique ou raisonnée. Seront-ils nombreux à leur emboîter le pas ? Il y va de la santé des Mauriciens, de l’autosuffisance du pays et de l’avenir de la filière agricole non-sucre.

D’un point de vue global, le secteur agricole, à Maurice, ne constitue que 4 % de l’économie nationale et est dominé par la culture de la canne à sucre. Sous le présent gouvernement, une prise de conscience semble toutefois se développer en faveur d’une agriculture plus saine. Elle découle de la nécessité de raviver un secteur agricole non-sucre qui manque de souffle et d’assurer la sécurité alimentaire de l’île tout en s’inscrivant dans une démarche durable, respectueuse de l’environnement. Plusieurs parties prenantes se mobilisent en ce sens sous l’impulsion de la Chambre d’agriculture et de l’État.

Depuis le Budget 2015-2016, l’objectif affiché du gouvernement Lepep est de permettre au pays d’atteindre une production d’environ 50 % de légumes et fruits bio à l’horizon 2020. S’inspirant de son prédécesseur aux Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, Pravind Jugnauth a, lui aussi, prôné une politique bio-friendly dans le Budget 2016-2017. L’une des mesures phares annoncées : une dotation de Rs 20 M pour la création d’une zone dédiée à la culture bio, à Britannia. Projet qui a été lancé sur 66 arpents, en février 2017 et a vu la sélection de 16 planteurs. Intervenant lors de l’inauguration, Pravind Jugnauth déclarait : «Partout dans le monde, les risques liés aux produits chimiques pour l’humain ne cessent d’augmenter. Préserver la terre agricole doit être notre priorité.» Également présent ce jour-là, le ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, a remercié la communauté des planteurs pour leur «courage et leur détermination» car, a-t-il souligné : l’obtention du label bio ne «sera pas pour tout de suite».

Il faut savoir, en effet, que faire le choix du bio, en agriculture, exige de pouvoir répondre à un cahier des charges très strict sur l’ensemble du système de production. Des inspections sur site sont menées par les auditeurs d’Ecocert, organisme international de contrôle et de certification bio, avant l’attribution de la certification qui justifie l’affichage de la mention «Issu de l’agriculture biologique». Or, trois ou quatre ans d’inspection sont parfois nécessaires avant qu’un producteur ne décroche ladite certification, ce qui peut démotiver certains planteurs. Pour preuve, à l’heure actuelle, un seul exploitant à Maurice est certifié Ecocert.

Ce même producteur estime qu’il y a un manque de cohésion total entre les secteurs public et privé quant à la direction à prendre pour faire progresser le bio. Le «faux bio» est en train de tuer l’industrie, affirme-t-il, ajoutant qu’«à force de faire pousser du goudron et du béton, on va faire disparaître ce secteur». Il n’en demeure pas moins qu’outre les efforts entrepris afin d’initier une Bio Farming Zone à Britannia, le gouvernement a introduit le concept de Zero Budget Farming, soit une technique indienne de production agricole organique élaborée par le Dr Subhash Palekar. La démocratisation de ce concept à Maurice a été confiée au Food and Agricultural Research and Extension Institute (Farei). Dans le cadre du Zero Budget Farming, les planteurs sont appelés à utiliser, par exemple, le «Jiwamrita», un concentré à base de bouse et d’urine de vache. Cet engrais naturel, assez facile à élaborer, est distribué gratuitement aux planteurs, à leur demande.

Le Zero Budget Farming est à la base de l’entreprise Down to Earth, dont les légumes prêts-à-manger ont fait il y a peu leur apparition sur les rayons. La marque comprend une gamme variée de légumes cuits à la vapeur et mis sous vide : betterave, «chouchou», manioc ou encore «arouille». Leur durée de conservation est de six mois. Ashwini Pandoo, directrice de Down to Earth, nous explique qu’elle travaille en collaboration avec différents producteurs. Le défi a été de taille, avoue-t-elle, vu qu’il fallait les convaincre de n’employer aucun pesticide, ce qui sous-entend, plus de temps, de soins et, au final, plus de dépenses. En outre, la commercialisation a été précédée d’une batterie de tests et à ce niveau, la directrice remercie la MauBank qui, à travers son SME Financing Scheme, a grandement facilité leurs démarches.

Le marché du bio, à Maurice, est certes restreint, pour l’heure, en raison du coût relativement élevé des produits, mais il n’en est pas moins porteur si l’on tient compte, entre autres, de la proximité de l’île du continent africain et des nombreux accords de libre-échange dont les entreprises locales peuvent tirer avantage. Le pays pourrait même envisager d’approvisionner, à terme, des sociétés transnationales ou d’accueillir leurs sites de production.

Bien plus que les fruits, légumes et céréales, le bio englobe aussi des produits issus de la transformation de ces denrées telles que le pain, les yaourts, les compotes et autres plats préparés. En France, les entreprises engagées dans ce créneau ont vu leur chiffre d’affaires croître de près de 15 % en 2013 par rapport à 2012, selon les données compilées par le cabinet Asterès pour la fédération Natexbio, qui regroupe 3 000 entreprises du secteur. Au total, ces ventes ont représenté 2,9 milliards d’euros, l’équivalent de 2 % du chiffre d’affaires global de l’agroalimentaire français.

À Maurice, les méthodes de production bio pourraient profiter à divers segments agricoles, à l’instar de la filière lait. Il s’avère effectivement que plus de 90 % des produits laitiers disponibles sur le marché local sont importés et la demande en lait et produits laitiers s’élève à quelque 22 000 tonnes par an. Des chiffres qui font réfléchir et donnent à penser que l’aventure du bio vaut la peine d’être tentée.