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Édito

Angel tax : la compétitivité de Maurice sur le marché indien menacée

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Pendant près de vingt-cinq ans, Maurice a été le principal pourvoyeur d’investissements directs étrangers (IDE) en Inde, apportant de la richesse et générant des milliers d’emplois grâce aux flux de capitaux provenant principalement des États-Unis et d’Europe. Mais il semble que cette parenthèse se referme. Depuis la révision de la convention fiscale en 2016 et qu’on a troqué la disposition légale donnant la possibilité aux Foreign Institutional Investors d’investir sur la bourse indienne en étant exemptés du paiement des plus-values sur la cession d’actifs contre les Rs 12 milliards qui ont permis de démarrer le projet de Metro Express, le pays perd graduellement de son influence sur l’Inde.

Il faut rappeler que c’est à la faveur d’un travail de sape orchestré par la presse indienne, accusant épisodiquement le centre financier mauricien de se livrer à des opérations de round tripping que l’on a consenti à la fameuse concession qui a eu pour conséquence que le traité indo-mauricien a été vidé de sa substance. Cela s’est traduit par un recul net des IDE structurés à partir de Maurice pour l’Inde. Ainsi, après avoir totalisé $ 13,3 milliards pour l’exercice fiscal 2016-17 et atteint un pic de $ 15,9 milliards en 2017-18 grâce au maintien des droits acquis (grandfathering) pendant deux ans, les investissements transfrontaliers vers l’Inde ont littéralement piqué du nez, dégringolant à $ 8,1 milliards (2018-19), $ 8,2 milliards (2019-20), $ 5,6 milliards (2020-21), puis remontant à $ 9,4 milliards (2021-22) avant de toucher à nouveau le fond pour l’année fiscale 2022-23, avec une estimation de $ 6,1 milliards. Ce qui nous place ex aequo avec les États-Unis. Entre-temps, Singapour a tranquillement dépassé Maurice et, pour le présent exercice financier, devrait réaliser une performance de $ 17 milliards en termes d’IDE sur le marché indien.

Les beaux jours sont définitivement derrière nous et sans le succès de notre stratégie de repositionnement sur l’Afrique, le secteur du global business serait aujourd’hui dans une bien fâcheuse posture.

Mais nos déboires sur le marché indien ne sont pas près de s’arrêter. Le mois dernier, le Central Board of Direct Taxes a publié une note annonçant que Maurice ne faisait pas partie des 21 juridictions étrangères qui sont exemptées du paiement de l’Angel tax. Introduite en 2012 pour lutter contre le blanchiment d’argent, cette taxe touche les investisseurs providentiels qui, bien souvent, sont de larges fonds de capital-investissement qui acquièrent des parts dans les start-up indiennes. Elle est prélevée sur les capitaux levés par les sociétés non cotées, à savoir les start-up auprès d’investisseurs non-résidents si le montant levé dépasse la juste valeur marchande de l’entreprise. Étant donné que quand ces investisseurs providentiels sortent du capital de ces start-up, c’est généralement moyennant une forte prime, cette Angel tax dissuade les investissements dans les jeunes pousses. D’où les critiques émanant aussi bien des investisseurs que des entrepreneurs que cet impôt dissuade l’investissement et est susceptible d’empêcher l’éclosion de start-up à fort potentiel.

Tout comme Maurice, Singapour et les îles Caïmans (qui sont également un gros pourvoyeur d’IDE en Inde) ne figurent pas sur la liste des pays exemptés. En revanche, les États-Unis font partie des 21 pays exemptés. Cette liste comprend des pays comme l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Japon, la Corée, le Royaume-Uni, la Russie, la Norvège, la Finlande et l’Allemagne, entre autres.

L’exclusion de Maurice n’a pas manqué de faire réagir le ministre des Services financiers, Mahen Seeruttun, qui a récemment fait part aux médias indiens de son incompréhension par rapport à la liste établie par le Central Board of Direct Taxes, d’autant plus que nous sommes l’un des rares pays au monde à se conformer pleinement à toutes les recommandations du Groupe d’action financière, ce qui atteste que nous sommes une juridiction fiable et que notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est efficace. Du reste, il est obligatoire pour toutes les sociétés internationales à Maurice de satisfaire à l’exigence de substance.

On ne sait pas si les autorités indiennes apporteront des clarifications aux questions du ministre Seeruttun, mais il est difficile de concevoir comment la Russie, qui est loin d’être un champion de la bonne gouvernance, n’est pas considérée comme un pays à risque pour le blanchiment d’argent.

Qu’est-ce qui pourrait motiver l’Inde à exclure quatre gros pourvoyeurs d’IDE traditionnels (Maurice, Singapour, Dubaï et les îles Caïmans) de sa liste de pays privilégiés ? N’est-ce pas un moyen d’écarter ces grosses pointures pour faire de la place à la Gujarat International Finance Tec-City (GIFT City), la nouvelle Smart city conceptualisée par nul autre que le Premier ministre indien, Narendra Modi, qui a servi comme Chief Minister de l’État de Gujarat de 2001 à 2014. Sa vision est d’aménager un centre financier à Gujarat susceptible de rivaliser avec les plus grandes juridictions dans cette partie du monde comme Singapour et Dubaï.

Quoique étant encore en pleine construction, la GIFT City est un mastodonte en devenir. Ce sera une ville ultramoderne développée sur 886 arpents de terrain avec 62 millions de pieds carrés de surface construite. Dans le milieu de la haute finance, l’on se demande si les pressions exercées par l’Inde sur Maurice pour modifier sa convention fiscale ne sont pas en fait nourries par cette volonté de rendre notre juridiction moins attrayante afin de favoriser l’émergence de la GIFT City. C’est fort possible. Selon des experts, certains fonds pourraient préférer passer directement par l’Inde pour éviter d’être assujettis à la taxe sur les investissements providentiels. Il n’est pas à écarter que la GIFT City propose à ces investisseurs des incitations fiscales pour qu’ils y implantent leurs structures.

Dans le cas de Maurice, il est clair que cette exclusion de la liste indienne devrait impacter le secteur du global business. Il est probable que des fonds de capital-investissement domiciliés sur notre territoire décident de se désenregistrer pour aller voir du côté du Gujarat. Quoi qu’il en soit, malgré l’adversité, Maurice ne doit pas abandonner le terrain et continuer à revendiquer son statut de juridiction de choix pour les transactions frontalières vers l’Inde. Dans le même temps, il s’agit d’être réaliste et de renforcer notre positionnement sur l’Afrique. Un nouveau chapitre s’ouvre.

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