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Édito

Chagos : la pression s’intensifie

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Richard Lebon

Avec le départ de Boris Johnson du 10 Downing Street, l’administration britannique avait assoupli sa position sur le dossier des Chagos. Défendant vigoureusement les intérêts militaires des États-Unis et du Royaume-Uni, l’ancien chef du gouvernement avait fait enlever le quadricolore mauricien planté sur Blenheim Reef tout en faisant fi de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice qui, en février 2019, reconnaissait la souveraineté de la République de Maurice sur les Chagos. Tout comme il avait rembarré Emmanuel Macron après la conclusion de l’accord de coopération militaire tripartite AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis), Boris Johnson a ouvertement manifesté son hostilité à l’égard du «Chagos deal», en soutenant que la base militaire de Diego Garcia joue un rôle pivot dans l’alliance britannico-américaine.

Le bons sens a commencé à prévaloir après la démission de Boris Johnson. Le passage éclair de Liz Truss au pouvoir a permis d’enclencher enfin le dialogue sur le dossier des Chagos. Son successeur, Rishi Sunak, a rapidement établi une ligne de communication avec Pravind Jugnauth. Depuis, il y a eu des progrès notables dans les pourparlers entre Londres et Port-Louis, avec la tenue de six rounds de consultations entre les deux parties. Celles-ci sont d’accord sur des points essentiels : le peuple chagossien ne peut être privé de son droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination et l’État mauricien permettra à la base de Diego Garcia de poursuivre ses opérations.

Tout allait pour le mieux jusqu’à la nomination de David Cameron au poste de Secrétaire d’État aux Affaires étrangères en novembre dernier. Depuis, il exerce un lobby intense pour faire capoter le processus en cours. La conférence de presse animée conjointement par David Cameron et Antony Blinken était révélatrice d’une volonté affirmée de l’axe Royaume-Uni-Amérique de tuer dans l’œuf toute possibilité d’une restitution des Chagos à la République de Maurice. Le secrétaire d’État américain est allé jusqu’à prendre le contre-pied de la Cour internationale de Justice, en arguant que le Royaume-Uni jouit d’une pleine souveraineté sur les Chagos.

En fin de semaine dernière, David Cameron a lancé une nouvelle salve en déclarant qu’il est «impossible» que les Chagossiens retournent dans leur patrie. Une posture vertement critiquée par Human Rights Watch qui se dit «extrêmement concernée» par la volte-face des Britanniques et Chagos Refugee Group UK qui vilipende David Cameron pour son non-respect des droits humains.

Malgré les déclarations intentionnelles de David Cameron, les négociations se poursuivent entre Londres et Port-Louis. Mais il est clair que dans les coulisses, il y a des lobbies intenses de la part des Tories pour faire plier Rishi Sunak qui fait l’objet d’attaques ces jours-ci autant pour sa politique économique que pour sa politique extérieure, avec son projet de renvoyer des migrants vers le Rwanda.

Cette opposition au «Chagos deal» émanant des Tories les plus irréductibles, avec les Américains tirant les ficelles en coulisse, est sans doute en relation directe avec la guerre entre Israël et le Hamas et la construction d’une base par l’Inde à Agalega. On le sait, la base de Diego Garcia est stratégique dans le sens qu’il permet à l’US Navy d’assurer une surveillance militaire de tous les instants dans l’océan Indien, et ce dans un rayon de 75 millions de kilomètres carrés. Pendant la guerre du Golfe, la base a servi de rampe de lancement pour les bombardiers américains. Avec l’intensification du conflit armé au Moyen-Orient, les Américains voudront certainement avoir toutes les assurances que cette base stratégique pourra opérer en toute discrétion. De même, l’inauguration prochaine des installations sur Agalega signifie que l’Inde devrait avoir une forte assise militaire dans cette partie du monde. Il y a fort à parier que le gouvernement américain n’a pas digéré le Security Maritime Agreement signé par Maurice et l’Inde.

Pour l’heure, les relations commerciales entre Maurice et le Royaume-Uni et les États-Unis sont en progression. Dans le cas du Royaume-Uni, nos exportations s’élevaient à 5,92 milliards de janvier à septembre 2023 contre Rs 7,12 milliards en 2022 et Rs 6,37 milliards en 2021. Alors que les exportations aux États-Unis totalisaient Rs 6,15 milliards (janvier à septembre 2023) contre Rs 6,68 milliards (2022) et Rs 5,86 milliards (2021). Ces deux pays figurent aux 3e et 6e rangs respectivement de nos marchés d’exportation. Si dans l’immédiat, nos intérêts économiques ne sont pas menacés par notre politique internationale, les désaccords sur les questions géopolitiques pourraient jouer contre nos intérêts dans un proche avenir. On pense notamment à l’Africa Growth and Opportunity Act qui sera renouvelé en 2025. L’un des dangers, c’est que les États-Unis ne décident de sanctionner Maurice, qui pourrait ne plus bénéficier de la dérogation de «Third country fabric» qui est à la base de la compétitivité de nos exportations sur le marché américain.

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