Type to search

Édito

Crise institutionnelle : les risques que le pays encourt

Share

Au-delà de son caractère électoraliste, gauchiste et inflationniste, le Budget 2023-24 a eu le mérite d’insuffler à nouveau la confiance aux agents économiques. En cette période de reprise, le secteur privé était relativement frugal par rapport à ses attentes. L’une des principales requêtes portait sur la nécessité de réformer le système fiscal en vue d’améliorer l’attractivité du pays et de créer un climat plus propice aux affaires. Le ministre des Finances a répondu favorablement à cet appel en proposant un régime progressif d’imposition sur l’Income tax se situant dans la fourchette de 0 à 20 % et la suppression du Solidarity levy de 10 % auquel étaient assujettis ceux touchant un salaire supérieur à Rs 3 milliards. La finalité, c’est que le taux marginal d’imposition sera ramené de 40 % à 20 %.

Une réforme fiscale bien inspirée à un moment où il faut libérer les forces productrices grâce à l’investissement privé, aux investissements directs étrangers et aux investissements transfrontaliers. Et où il s’agit de s’ouvrir aux compétences étrangères. C’est l’investissement qui va amener la croissance, accélérer la diversification de l’économie et permettre de réussir la transition vers un modèle de développement plus inclusif et plus durable. Mais, comme c’est malheureusement trop souvent le cas à Maurice, les distractions politiques ont repris le pas sur les priorités économiques et les débats constructifs. De nouveau, le pays est secoué par une grave crise institutionnelle qui, si l’on n’y fait pas attention, pourrait torpiller les affaires.

Ainsi, depuis vendredi dernier, la population est sous le choc suivant le dévoilement des «Vimen Leaks», avec en toile de fond des révélations choquantes sur une possible connexion entre le patron de la Special Striking Team, l’assistant surintendant Ashik Jagai, qui, dit-on, est l’homme de confiance du Premier ministre, et la mafia de la drogue. Bien entendu, pour l’heure, ce ne sont que des allégations. Mais les suspicions à l’égard d’une officine sulfureuse s’en retrouvent renforcées, voire sont plus fortes que lors de l’affaire de Data capture. Car les trois policiers qu’on entend sur la bande sonore, dont deux appartiendraient à la Special Striking Team selon la rédaction de Radio Plus, balancent à brûle-pourpoint, sans savoir qu’ils sont enregistrés, des confidences sur certaines pratiques qui, si elles sont avérées, sont hautement condamnables, et renforceraient la perception qu’une section de la police est gangrénée par la corruption.

À l’Assemblée nationale lundi, le Premier ministre n’aura pas réussi son exercice de communication. Pravind Jugnauth a soufflé le chaud et le froid, insistant qu’une enquête approfondie est en cours et que si les allégations sont fondées, le dossier serait alors transmis à l’Independent Police Complaints Commission. Mais, loin de tenir un discours ferme vis-à-vis des brebis galeuses, comme l’aurait certainement fait sir Anerood Jugnauth de son vivant, il a caressé la Special Striking Team dans le sens du poil, allant jusqu’à citer un entretien de Sam Lauthan, l’ancien assesseur de la Commission Lam Shang Leen, où ce dernier évoque qu’au besoin, il faudrait créer dix striking teams pour combattre la mafia. Sauf que l’on doute que l’activiste qui mène une lutte sans relâche contre les trafiquants de drogue qui pourrissent notre jeunesse, soit toujours du même avis après que des liens (supposés) ont été tissés entre la Special Striking Team et le milieu.

Aujourd’hui, Maurice se retrouve une nouvelle fois sur les radars. Avec les révélations des «Vimen Leaks», le risque politique est, sans doute, monté crescendo. Il s’agit là d’une composante majeure du risque projet ; un facteur essentiel observé scrupuleusement par les investisseurs internationaux avant de choisir leur destination d’investissement. Si l’annonce de l’assouplissement du régime fiscal constitue une incitation pour les investisseurs, en revanche, la perception qu’à Maurice, une institution clé comme la police est minée par la corruption risque d’avoir l’effet inverse. Avec pour conséquence que certains investisseurs pourraient différer leurs projets d’investissement ou, pire encore, opter pour des juridictions concurrentes où il y a moins de turbulences politiques et où les institutions inspirent une plus grande confiance.

Dans sa première déclaration après l’éclatement des «Vimen Leaks», le Premier ministre, sans doute trop légaliste, a raté l’occasion de prendre le contrôle de la situation. Quand on parle de crime organisé, on ne saurait faire preuve de mollesse. Quand il est question de trafic de drogue et d’une éventuelle collusion entre la police et le milieu, c’est avec autant plus de fougue qu’il faut agir.

On ne doit pas oublier que nous sommes constamment sous la surveillance des institutions internationales, comme Moody’s ou la Commission européenne. On se rappellera qu’il y a à peine trois ans, le pays était placé sur la liste noire de l’Union européenne. Il a fallu batailler dur, renforcer notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, améliorer le fonctionnement de nos institutions, notamment celles chargées de l’application des lois. Grâce aux efforts concertés des pouvoirs publics et du secteur privé, Maurice est aujourd’hui reconnu comme une juridiction de substance adoptant les meilleures pratiques contre le crime organisé. Ce qui nous a permis d’être pleinement conformes à toutes les recommandations du Groupe d’action financière. Il faut bien comprendre qu’il y a un lien intrinsèque entre notre capacité à attirer l’investissement et la nécessité d’avoir une politique de zéro tolérance à l’égard de la corruption.

L’autre risque qui se profile, c’est que la perception de désordre au sein d’une institution vitale comme la police puisse amener Moody’s à nous sanctionner en abaissant la note souveraine du pays, ce qui implique que Maurice perdrait son «Investment grade». C’est un scénario catastrophe qu’on ne saurait occulter. L’on se rappellera que c’est dans le sillage de l’affaire de «Data capture» que Moody’s avait abaissé notre note souveraine de Baa2 à Baa3 le 28 juillet 2022. À une époque où la dette publique montrait des signes de repli – ce qui signifiait théoriquement qu’on n’aurait pas dû faire l’objet d’un déclassement –, l’agence de notation précisait que sa décision était motivée par un affaiblissement de «la qualité et de l’efficacité des institutions et de l’action politique» et que ce facteur pourrait freiner la résilience économique du pays et sa capacité à absorber les chocs économiques futurs.

Douze mois plus tard, l’affaire des «Vimen Leaks» pourrait, tout comme en 2022, donner lieu à un retour de manivelle de la part de Moody’s. Et ce, alors qu’au vu de la baisse de la dette publique (celle-ci sera au taux de 79 % à fin juin), l’agence ne devrait pas nous sanctionner.

Si l’on veut écarter tout risque de sanction, il faut que nos gouvernants et la police fassent preuve de fermeté. La volonté politique de combattre le trafic de drogue, d’éliminer le mal à la racine, quitte à se débarrasser des officines controversées, doit se traduire par des actions concrètes.

Tags:

You Might also Like