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Dr Myriam Blin : «La diversité des genres au conseil d’administration améliore la performance de l’entreprise»

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Faire de la discrimination positive pour casser certaines mentalités patriarcales. Est-ce que le gouvernement a eu raison de franchir le Rubicon ? De l’avis de la «Gender economist», Dr Myriam Blin, la mise en place d’un système de quota pour assurer une présence féminine de 25 % sur les conseils d’administration des sociétés cotées est définitivement un premier pas dans la bonne direction pour faire céder le plafond de verre. Elle avance que les entreprises qui font progresser la parité entre les hommes et les femmes sont plus performantes. Elle évoque également l’écart salarial entre les femmes et les hommes à Maurice, insistant qu’il s’agit là d’un facteur discriminatoire.

«Gender economist», c’est un titre qu’on n’entend pas souvent. Quelle est la particularité de votre profession ?

Cela ne me surprend pas que vous n’ayez pas l’habitude d’entendre ce titre car celui-ci est assez récent dans la discipline économique. Les questions du genre, au sein de l’économie du travail et l’économie des ménages, sont abordées dans la discipline depuis les années 60-70. Mais, cela restait quand même à la marge et le terme Gender economist n’était que très peu utilisé. Les questions de genre ont commencé à être plus souvent abordées dans des sous-disciplines économiques, tel que l’économie du développement, et aujourd’hui, elles sont de plus en plus intégrées dans les manuels universitaires. Notre constat en tant que Gender economists se fonde sur l’hypothèse que les théories économiques étant Gender neutral cachent en réalité d’importants biais liés au genre dans les processus économiques. Être Gender neutral implique qu’on ignore les rapports de genre hiérarchiques et amène donc à une invisibilité de femmes, notamment leur rôle dans l’Unpaid care economy, non comptabilisé dans les comptes nationaux. De plus en plus d’économistes ont commencé à questionner les modèles économiques et à réfléchir sur comment repenser la discipline afin de mieux intégrer la réalité des femmes et les relations de genres dans la sphère économique. C’était aussi une remise en question fondamentale autour de comment est-ce qu’on comprend la discipline de l’économie et de la conceptualisation de l’agent économique. Dans les théories néo-classiques, on parle d’un agent économique rationnel qui a des préférences uniques à lui et qui ne dépend pas des autres. Parce que les normes de genre font que la femme, qui s’occupe principalement du foyer, quand elle prend une décision, le fait rarement en fonction seulement de ses préférences, mais souvent aussi en fonction des préférences des autres. C’est donc une déconstruction des théories économiques et de la manière dont on comprend l’économie, vers une discipline plus humaine et beaucoup plus axée sur le bienêtre et sur la justice sociale.

Selon le ministère des Finances, seulement 43 % des femmes âgées de 16 ans et plus font partie de la population active. Comment cela handicape-t-il l’économie mauricienne ?

C’est un manque à gagner conséquent pour une économie, cela sur plusieurs dimensions.D’abord, c’est tout un capital humain qui est non utilisé. C’est une large quantité de talents potentiels qui ne peut pas participer à l’économie active et donc contribuer à la croissance économique et créer de la richesse. Ce manque à gagner assez important mène à une perte de PIB potentielle.Cela a aussi pour conséquence de générer des inégalités de revenus. Les femmes qui ne font pas partie de la vie active du pays, n’ont pas de revenus. C’est un manque à gagner au niveau du pouvoir d’achat surtout dans une économie tirée essentiellement par la consommation. Cela pousse également à des défis démographiques. Dans une population vieillissante, on dépend de la contribution des travailleurs sur le marché du travail, pour les contributions sociales et la retraite. Donc, c’est moins d’employés qui peuvent contribuer pour remplir les fonds de retraite. Mais également au niveau de la fiscalité car les femmes non actives ne paient pas d’impôts directs puisqu’elles n’ont pas de revenus.Si on additionne tout ce manque à gagner, cela peut représenter un montant assez important de perte en tant que contribution économique. Après, bien sûr, c’est aussi une question de justice sociale. La raison pour laquelle Maurice a un taux de participation aussi bas dans la vie active des femmes, c’est parce qu’il y a de véritables barrières qui empêchent les femmes de rejoindre ou de rester sur le marché du travail.

Est-ce qu’on peut chiffrer le manque à gagner pour Maurice en termes de point de croissance résultant du fait qu’une partie de notre maind’oeuvre pourtant dûment formée est inactive ?

Il y a eu deux rapports. En 2017, la Banque mondiale a estimé que si on réduisait l’écart de genre dans la participation à la population active à Maurice, cela pourrait rajouter 1,2 milliard de dollars au PIB d’ici 2025. Une autre étude du FMI, paru en 2017 aussi, avait projeté que si on garde la même constance sans changements dans les données clés du genre à Maurice, il y aurait un manque à gagner de près de 7 % du PIB d’ici 2035, d’environ 16 % d’ici 2065 et de plus de 19 % d’ici 2100. Bien sûr, ce sont des estimations qui sont basées sur des projections, mais cela donne une idée de l’ampleur de ce qui est perdu en valeur à cause de ce taux de participation qui est relativement bas. On note une stagnation de la participation des femmes sur le marché du travail ; et qui, de plus, a diminué pendant la période Covid-19. Il faut savoir qu’on était à plus de 45 % avant la Covid-19, on est descendu à 41 % en 2020 et c’est remonté à 43 % cette année. C’est quand même 20 000 femmes qui ont quitté le marché du travail après la pandémie ; perdre autant de femmes sur le marché du travail est une tragédie pour l’économie mauricienne. Ce chiffre est énorme dans un contexte où nos secteurs économiques sont désespérément à la recherche de nouveaux talents, notamment dans le secteur financier, les TIC ou même pourdes postes plus vocationnels.

Quand on parle de l’employabilité de la femme, comment se compare Maurice avec lespays où les femmes sont plus actives professionnellement ?

Au niveau statistique, Maurice est à 43 %, la France est autour de 68 %, l’Afrique du Sud est à 53 %, Singapour à 63 % et le Royaume-Uni à 72 %. Par rapport aux pays qui sont au même niveau économique que nous, nous sommes en deçà. Selon les données de la Banque mondiale, le taux moyen de participation des femmes à la population active pour les Upper middle-income economies s’élevait à 56 % en 2022. C’est intéressant parce qu’on a quand même eu une féminisation très rapide du marché du travail à Maurice après l’implémentation des zones franches qui était «predominantely a female employer». C’est grâce à la zone franche que les femmes ont commencé à rentrer sur le marché du travail. Cela a suivi quand on a développé le secteur financier, le secteur des TIC, les centres d’appels. Cette tendance a progressé et puis tout d’un coup, elle s’est mise à stagner. Depuis 15 ans, on a eu très peu d’évolution et d’amélioration auxquelles on s’attend pour un pays comme Maurice. Je dois dire que cette stagnation est assez surprenante.

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