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Édito

Financial Crime Commission : un atout pour le centre financier si…

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Richard Lebon

Quand il s’agit de lutter contre les crimes financiers, l’on ne peut se permettre d’avoir des trous dans la raquette. Aujourd’hui, la sur-réglementation, à savoir, l’impérieuse nécessité de se conformer à des directives strictes, n’est plus vue comme un obstacle au business ou un frein à l’investissement. Bien au contraire ! Avant d’opter pour un pays d’investissement, les apporteurs de capitaux scrutent une série de paramètres : le risque politique, le risque sécuritaire ou encore la capacité de la juridiction de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les investisseurs se fondent sur les évaluations des agences de notation comme Moody’s et S&P Global Ratings ou encore de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Groupe d’action financière (GAFI) avant de porter leur choix sur une juridiction ou une autre. La mondialisation financière est définitivement entrée dans une nouvelle époque ; celle de l’ère de la suspicion. Ayant trop longtemps servi de canal pour des investisseurs véreux, les centres offshore ne sont plus ménagés. À tort ou à raison, les juridictions pratiquant une fiscalité légère attirent de facto la suspicion de la communauté internationale et sont vues avec une certaine défiance par les grandes nations du fait qu’elles sont à l’origine de l’exode de capitaux de leurs territoires. L’on en a eu la démonstration avec le forcing du président américain Joe Biden auprès de l’OCDE pour l’adoption de l’impôt minimum mondial.

Pour le petit État insulaire qu’est Maurice, il a fallu beaucoup de temps et de réformes pour convaincre la communauté internationale que nous ne sommes pas un paradis fiscal, mais bien un centre de global business. Il a fallu notamment qu’on corrige les failles dans notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Des manquements qui ont été bien souvent mis au jour par une série de leaks. Les affaires Isabelle Dos Santos et Jean-Claude Bastos doivent constamment servir de piqûre de rappel aux acteurs de la finance à l’effet qu’il est de leur devoir de resserrer les mailles du filet et que trop de laxisme est préjudiciable non seulement à la réputation du secteur financier, mais encore est susceptible d’entraîner de lourdes sanctions. Une mauvaise presse qui, on le sait, nous a acculés au bord du précipice, avec le pays se retrouvant sur la liste noire de l’Union européenne.

Ce sombre épisode est désormais derrière nous. Mieux, nous sommes sortis grandis de cette épreuve. Maurice se conforme aujourd’hui pleinement aux 40 recommandations du GAFI. Toutefois, nous sommes dans l’obligation de maintenir une vigilance de tous les instants. Depuis la semaine dernière, le pays est à nouveau cité dans une ténébreuse affaire de crime financier. Une enquête du journal espagnol El País révèle, en effet, que Camargo Correa, qui était autrefois la troisième entreprise de construction du Brésil, aurait mis en place un réseau financier complexe de sociétés fictives et de comptes cryptés dans huit pays. Et que ce réseau aurait été utilisé pour verser des commissions illégales à des cadres de Petrobras, la compagnie pétrolière publique brésilienne. Le système de corruption se serait déroulé dans les îles Caïmans, à Maurice, aux Bermudes, au Liechtenstein, au Panama, en Suisse, en Andorre et en Chine.

Tout porte à croire que cette transaction est antérieure aux réformes enclenchées par Maurice pour renforcer son mécanisme de lutte anti-AML-CFT, mais une nouvelle fois, nous sommes rattrapés par nos vieux démons.

Avec le statut de pleine conformité du pays aux recommandations du GAFI, on a l’occasion de réécrire l’histoire du centre financier mauricien sur une page blanche immaculée. Tout faux pas ne saurait être accepté. Car ce statut n’est pas un aboutissement en soi. Retomber dans certains travers, c’est encourir le risque d’être replacé sous le radar des institutions internationales.

Dans ce contexte, l’annonce de la création de la Financial Crime Commission (FCC) est la bienvenue. En passant, cette annonce intervient une semaine après celle concernant la signature d’un protocole d’accord entre la Financial Intelligence Unit (FIU) et la FIU des Émirats arabes unis pour l’échange d’informations par rapport à des transactions suspicieuses de Maurice vers les Émirats et vice versa.

Concernant la FCC, il s’agira d’une super agence qui est appelée à chapeauter l’Independent Commission against Corruption, l’Integrity Reporting Services Agency et l’Asset Recovery Investigation Division, laquelle tombe sous la tutelle de la FIU. Il semblerait que la FIU ne tombera pas sous le parapluie de la FCC. Les choses devraient évoluer rapidement. Le ministre des Services financiers, Mahen Seeruttun, a indiqué que le texte de loi devant faire provision pour la création de la FCC a déjà été finalisé au niveau du Parquet et qu’il devrait être présenté lors de la rentrée parlementaire en octobre.

La mission de la FCC sera de veiller à l’efficacité des enquêtes sur les crimes financiers, en l’occurrence ceux liés au blanchiment d’argent, au financement du terrorisme de drogue et au trafic de drogue. L’on sait que c’est l’une des recommandations du rapport Lam Shang Leen sur la drogue. La création de cette Commission s’inscrit également dans le droit fil des engagements qu’on a pris avec le GAFI selon lesquels le pays va continuer à se doter d’institutions fortes pour mener une lutte sans relâche contre toute forme de transactions illicites transitant par son centre financier. Mais, alors qu’on fait un pas dans la bonne direction, il est primordial de s’assurer que la FCC opère au mieux de ses capacités et n’est pas inféodée au pouvoir exécutif comme le craignent de nombreux opérateurs. D’où la nécessité que les nominations pour des postes clés au sein de la Commission se fassent sur la base de la méritocratie et de la probité.

Se sachant surveillés, les criminels sont de plus en plus astucieux. Le fait qu’un nombre croissant d’investisseurs internationaux utilisent les actifs virtuels pour leurs opérations transfrontalières va dans un proche avenir compliquer davantage les enquêtes sur les transactions suspicieuses. Ainsi, pour préserver la réputation de la juridiction, les institutions chargées de réguler et de faire respecter la loi doivent être pleinement fonctionnelles tout en étant dotées des meilleures compétences.

C’est dire qu’une institution comme la FCC, si elle démontre un haut degré d’efficacité, pourrait aider à mieux détecter les fraudes économiques et à projeter de Maurice l’image d’une juridiction bien régulée en matière de lutte anti-AML-CFT. À la fin de la journée, l’équation est simple. Plus il y a de fraudes, moins il y a de développement. Inversement, un recul de la fraude économique se matérialise par plus d’investissements directs étrangers et donc, plus de développement. Aux pouvoirs publics de faire preuve de discernement alors qu’ils préparent l’entrée en scène de la FCC.

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