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Édito

Industrie touristique : trois décennies de stagnation

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Après les Assises du tourisme de 2006, le curseur de la confiance était à son point zénithal. Ragaillardi par la perspective de voir le pays accueillir jusqu’à 2 millions de touristes, les principaux groupes hôteliers, à l’instar de Beachcomber, sous la férule à l’époque d’Herbert Couacaud, s’engageaient dans des investissements massifs pour rénover leurs hôtels et se positionner durablement dans le segment du haut de gamme.

Cette stratégie offensive aurait pu faire de la destination mauricienne une véritable force dans la région. Mais les hôteliers n’ont pas été récompensés pour leur audace. Car la crise économique de 2008 viendra contrecarrer leur plan. L’industrie du voyage connaît un ralentissement. Les Européens, qui constituent nos principaux clients, se serrent la ceinture et dépensent parcimonieusement lors de leur séjour dans l’île. Du coup, les lourds investissements consentis par les hôteliers lesteront leurs finances. Il en résulte alors un effet ciseaux avec, d’une part, un service de la dette qui ira croissant – la baisse des taux d’intérêt ne sera qu’un palliatif – et, d’autre part, des recettes largement insuffisantes pour donner une marge de manœuvre aux hôteliers. Cette réduction du rendement du capital (de 13 % à 4 %) s’est traduite par une décennie de rentabilité en-deçà des attentes, indique le cabinet AXYS dans son Hotel Industry Report rendu public en fin de semaine dernière.

Aujourd’hui encore, les stigmates sont là. L’économie des grands groupes hôteliers se caractérise par des dépenses d’investissement élevées et un fort effet de levier opérationnel. Ainsi, le taux de croissance annuel, qui mesure le taux de rendement d’un investissement, a été de seulement 2,6 % de 2012 à 2021. Le côté positif, c’est que le taux remplissage grimpera de 68 % à 74 %.

Alors que les signaux s’amélioraient nettement, la survenance de la pandémie sera catastrophique pour les hôteliers. Devant se résoudre à cesser toute activité pendant des mois interminables et à assister à l’effondrement de décennies d’investissement et de dur labeur, ils n’ont pas pour autant baissé les bras. Grâce à l’injection de capitaux de la Mauritius Investment Corporation (MIC), ils ont pu se maintenir à flot. Au total, 28,4 % des prêts de la MIC (ceux-ci sont payables en 2030 avec un taux d’intérêt faible de 3,5 %) ont été dirigés vers le secteur de l’hébergement et de la restauration.

Le douloureux épisode de la Covid-19 est désormais derrière nous. Après une année 2022 synonyme de reprise avec un peu moins de 1 million de touristes ayant visité le pays, 2023 est, pour l’heure, prometteuse. On est presque au niveau pré-pandémique avec les arrivées touristiques équivalant à 92 % de la performance de 2019. Les derniers chiffres de Statistics Mauritius indiquent qu’on a accueilli 750 645 visiteurs de janvier jusqu’à la mi-août contre 517 266 lors de la période correspondante l’année dernière. Soit une hausse d’environ 45,1 %. Rien que pendant la première quinzaine de ce mois, 53 760 touristes ont foulé le sol mauricien. Ce qui, en passant, dénote une bonne basse saison.

Concernant les recettes touristiques, là encore, les chiffres sont encourageants. Le derniers relevés de la Banque de Maurice font état de revenus totalisant Rs 41 milliards au premier semestre. En clair, on devrait atteindre la barre des Rs 80 milliards contre Rs 63,1 milliards en 2019. Mais ces recettes sont quelque peu gonflées par la dépréciation de la roupie. Quand on considère la moyenne du taux de change de la roupie par rapport à l’euro, les recettes touristiques tournent autour de 1,6 milliard d’euros pour 2019 et 2023.

Ainsi, on peut dire que les compteurs sont remis à zéro. À l’avenir, tout le challenge consistera à faire mieux que par le passé. Le rapport d’AXYS apporte un éclairage intéressant sur le positionnement de l’industrie touristique. Premier constat : sur ces trente dernières années, on n’a pas bougé d’un iota avec la dépense moyenne par touriste correspondant à 120 euros par jour (Rs 5 800 au taux de change actuel). On est à des lieux des Maldives et des Seychelles avec des recettes de 320 euros (Rs 15 400) et 270 euros (Rs 13 000) par jour. Pour les analystes d’AXYS, la conclusion qui s’impose, c’est qu’il est erroné de penser que Maurice est le concurrent des Maldives et des Seychelles qui attirent une clientèle touristique à plus fort pouvoir d’achat. Dans quelle catégorie est-ce qu’on boxe alors ? Selon AXYS, Maurice se compare surtout avec la Thaïlande, les Philippines, le Costa Rica, l’Indonésie, le Brésil, la Malaisie et le Mexique.

Deuxième constat : l’industrie touristique demeure euro-centrique et malgré le passage du temps, on n’évolue pas beaucoup. L’Europe reste notre principal marché, représentant 68 % du total des arrivées en 2022. L’Afrique représentait 24 % de nos arrivées, conformément à son poids avant la crise. Alors que les touristes en provenance d’Asie-Pacifique ne représentaient que 6 % de nos arrivées totales, en baisse par rapport au pic de 18 % atteint en 2015. En 2022, nos dix principaux marchés étaient dans l’ordre : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Afrique du Sud, La Réunion, l’Inde, la Suisse, l’Italie, l’Arabie saoudite et la Belgique. Un petit retour en arrière se révèle très instructif. En 2003, neuf de ces pays figuraient déjà dans notre Top 10. Le classement se déclinait alors comme suit : la France, La Réunion, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Afrique du Sud, l’Italie, l’Inde, la Suisse, Madagascar et la Belgique.

Si, à l’avenir, on veut attirer un plus grand nombre de touristes à fort pouvoir d’achat, nous devons consacrer plus d’efforts à la promotion de la destination sur les marchés porteurs. La décision des autorités de se tourner vers le marché du Moyen-Orient, notamment les Émirats arabes unis avec lesquels on est en train de consolider nos relations, et l’Arabie saoudite pourrait être bénéfique sur le long terme. Une stratégie qui pourrait s’avérer payante, car nous avons une bonne connectivité avec le Moyen-Orient, avec Emirates et Turkish Airlines amenant 19 % et 4 % de nos arrivées respectivement.

L’industrie touristique, c’est notre poule aux œufs d’or. Elle contribue directement et indirectement à environ 23 % du PIB. De plus, elle employait 77 400 personnes (13,3 % du nombre total d’emplois) en 2019, selon les Tourism Satellite Accounts. Mais avec les destructions d’emplois dans le sillage de la pandémie, il est fort probable que l’employabilité dans ce secteur soit en recul, D’où la demande des hôteliers pour qu’on recrute 2 000 travailleurs étrangers en réponse à la problématique de pénurie de main-d’œuvre.

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