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Édito

Inflation vs croissance : un choix cornélien

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Richard Le Bon

«Il y a urgence pour la Banque centrale de changer son fusil d’épaule et de
reconsidérer sa stratégie de politique monétaire»

Le temps presse : on aurait tort de se laisser engourdir l’esprit par la ritournelle de la reprise économique et de faire la sourde oreille aux appels des Cassandre que sont le Fonds monétaire international (FMI) et la Réserve fédérale américaine (FED), qui craignent que le fort taux d’inflation persiste plus longtemps que prévu et ne constitue un frein majeur au redémarrage de l’économie mondiale.

Paradoxalement, la problématique inflationniste est la résultante de la reprise économique, mais aussi de la politique monétaire accommodante prônée par les banques centrales et des mesures exceptionnelles déployées pour soutenir l’économie réelle. Les principaux facteurs sont : primo, les perturbations aux chaînes d’approvisionnement qui mettent à nu les profonds déséquilibres entre l’offre et la demande et qui sont à l’origine de la flambée des coûts de fret ; secundo, l’emballement des prix de l’énergie et, tertio, les pressions salariales.

Fortement dépendant de l’importation autant pour ses besoins en denrées alimentaires, en produits de base et en énergies fossiles, Maurice est dans une position particulièrement inconfortable. D’où l’urgence pour la Banque centrale de changer son fusil d’épaule et de reconsidérer sa stratégie de politique monétaire. Lors de sa dernière réunion, le 15 décembre dernier, le comité de politique monétaire (CPM) optait pour le statut quo en maintenant le taux repo à 1,85 %. Face au ralentissement provoqué par l’apparition du variant Omicron, le CPM a repoussé – avec raison sans doute – sine die toute stratégie de normalisation des taux d’intérêt, en priorisant l’économie aux dépens de l’inflation. Mais la politique de détente monétaire privilégiée par la Banque de Maurice avec l’abaissement du taux repo à 1,85 %, de même que les Rs 140 milliards mobilisées par l’institution en guise de réponse à la crise ont parallèlement fait lourdement se déprécier la roupie. Ainsi, selon les derniers chiffres de la Banque de Maurice, la monnaie locale a perdu 5,5 % de sa valeur face au dollar entre décembre 2020 et décembre 2021. Durant la même période, elle s’est dépréciée de l’ordre de 11,9 % vis-à-vis de la livre sterling et de 8,7 % face à l’euro.

Il convient de souligner que la dégringolade de la roupie n’est pas le seul fait de la politique monétaire. Elle est également la conséquence de la quasi-paralysie dans le tourisme pendant près de 20 mois et qui a occasionné un manque à gagner de plus de Rs 90 milliards en termes de devises étrangères ; de la reculade de 20,4 % des investissements directs étrangers pour les trois premiers trimestres de 2021, avec une performance famélique de Rs 8,4 milliards dont 65 % étaient concentrés dans l’immobilier ; et du ralentissement dans le secteur du global business dans le sillage de l’épisode de la liste noire de l’Union européenne.

Il est clair que conformément à son mandat statutaire, la Banque de Maurice devra tôt ou tard intervenir pour stabiliser les prix et défendre la roupie. Clairement, il faudra stopper l’hémorragie. Pour ce faire, elle dispose d’un instrument efficace : le resserrement monétaire. Or, une telle stratégie dans un contexte toujours incertain impactera l’activité économique. Quoi faire ? Faut-il franchir le Rubicon ? Le dilemme est cornélien. La prochaine réunion du CPM est programmée courant mars.

Aux États-Unis, on est beaucoup plus radical. Pour l’administration Biden, la lutte contre l’inflation constitue un enjeu économique majeur. À fin décembre 2021, le taux d’inflation aux States était calculé à 7 %, soit le niveau le plus élevé en 40 ans. Mercredi dernier, le président de la FED, Jerome Powell, a annoncé la mise en branle de la politique du tapering avec la fin des achats d’actifs début mars. Ce sera la première étape avant le processus de normalisation des taux directeurs. Celui-ci démarrera dès la mi-mars avec la prochaine réunion de la FED.

Décidée à ne pas faire les choses à moitié, la FED procédera jusqu’à sept hausses de ses taux directeurs cette année. À terme, l’objectif est de créer une situation de plein-emploi et de stabiliser les prix. Cette annonce n’a pas manqué de provoquer une certaine inquiétude sur les marchés financiers qui ne s’attendaient pas à une stratégie de resserrement monétaire aussi agressive. Dès le lendemain, les marchés asiatiques ont montré des signes de fébrilité avec le Kospi (Séoul) perdant 3,5 %, le Nikkei 225 (Tokyo) chutant de 3,11 % et le Hang Seng Index (Hong Kong) cédant 1,99 %.

Si la FED confirme sa volonté de lutter contre l’inflation, par contre, la Banque centrale européenne n’a pas prévu de hausses des taux d’intérêt à moyen terme. Mais qu’on se le dise : la décision de la FED de prendre la posture du faucon va bouleverser les marchés dans les mois à venir. Elle aura pour principale conséquence un raffermissement du dollar. Pour Maurice, c’est bien évidemment une très mauvaise nouvelle d’autant plus que la roupie s’est dépréciée d’environ 22 % face au billet vert depuis mars 2020. Quoiqu’étant avantageux pour le secteur de l’exportation, un nouveau plongeon de la roupie aura des conséquences néfastes sur la vie socio-économique. Elle signifiera une paupérisation de la population. De même, elle mettra une pression folle sur notre balance des paiements, laquelle affichait un déficit de 0,8 % du PIB en 2021.

 

Richard LE BON

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