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Édito

La rivalité entre l’Inde et la Chine sur fond d’équilibrage économique mondial

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Richard Lebon

L’HUMANITÉ est à une période charnière. L’on assiste ces joursci à l’esquisse d’un nouvel ordre économique mondial et un équilibrage des forces entre les puissances occidentales et les pays de l’hémisphère Sud. Après l’annonce de l’élargissement du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) auquel se joindront l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Argentine en janvier 2024, ce sont les pays africains qui se sont exprimés sans détour lors du sommet de Nairobi sur le climat.

Tout en rappelant qu’ils contribuent marginalement aux émissions de gaz à émission de serre, les chefs d’État africains avec en première ligne William Ruto, le président du Kenya, ont placé les pays développés devant leurs responsabilités leur enjoignant notamment d’augmenter la capacité de production d’énergies renouvelables de l’Afrique de 56 gigawatts en 2022 à 300 gigawatts d’ici à 2030. Les Émirats arabes unis, sans doute par calcul d’image étant l’hôte de la COP 28 en novembre prochain, ont été prompts à répondre à l’appel des dirigeants africains, s’engageant à investir 4,5 milliards de dollars pour lancer un pipeline de projets rentables d’énergie propre.

Se sachant courtisée et ayant compris qu’elle constitue un pion incontournable sur l’échiquier géopolitique, l’Afrique ne veut plus être ce partenaire docile. À l’avenir, elle veut dicter les règles du jeu et attirer plus d’investissements greenfield surtout dans le secteur énergétique. Dans le même temps, elle entend peser de tout son poids lors des forums internationaux. D’ailleurs, le sommet du G20, qui s’est tenu en Inde et auquel Maurice a pu participer en sa capacité de pays invité, s’est inscrit dans la continuité de cette équation d’équilibrage économique mondial. Un forum auquel le président de la Chine, Xi Jinping, quelque peu en froid avec Narendra Modi, et le président russe, Vladimir Poutine, n’ont pas participé.

Ayant fait peu de cas de l’Afrique quand il s’est lancé dans sa croisade folle de resserrement monétaire et de l’impact de cette stratégie sur la dette des pays africains avec des États comme la Zambie et Malawi qui doivent consacrer 51 % et 43 % respectivement de leurs revenus fiscaux pour le remboursement de leurs prêts, le président américain, Joe Biden, a profité du sommet du G20 pour se reconnecter avec l’Afrique et promettre un soutien plus appuyé au développement sur le continent à la faveur d’une modernisation des banques de développement multilatérales que sont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. L’objectif, c’est clairement de débloquer plus de fonds en faveur des pays pauvres et ceux en voie de développement. Joe Biden a également fait un plaidoyer en faveur d’un projet de couloir maritime reliant l’Inde et l’Europe au Moyen-Orient qui est appelée à concurrencer les nouvelles routes de la soie.

L’autre développement intervenu lors du G20, c’est l’adhésion des 54 pays de l’Union africaine au G20. Il s’agit là d’une reconnaissance des pays développés qui invitent l’Afrique à la table des discussions sur les grands enjeux socio-économiques et environnementaux. Il y a aujourd’hui unanimité sur le fait que l’Afrique est appelée à jouer un rôle pivot dans la lutte contre le changement climatique. Car, valeur du jour, elle abrite 40 % des réserves mondiales de cobalt, manganèse et platine. Il s’agit de minérais qui sont essentiels pour fabriquer des piles électriques et à hydrogène.

Dans ce rééquilibrage sur l’échiquier géopolitique, hormis l’Afrique, l’Inde marque également des points. Alors que la Chine laisse en ce moment des plumes et perd de son influence. Habile, l’Inde a réussi le tour de force d’occuper une position privilégiée dans le groupe des pays émergents revendiquant une plus grande influence dans le système multilatéral mondial. L’administration Modi a systématiquement adopté une position de neutralité par rapport à la guerre en Ukraine et a soutenu le régime de Poutine en achetant pétrole russe à un prix plus élevé. Cela a fait grincer des dents à la Maison-Blanche, mais malgré tout, les relations entre Washington et New Delhi sont restées relativement cordiales. En juin dernier, Narendra Modi a même eu le privilège de s’adresser au Congrès américain lors de sa visite officielle aux États-Unis.

Entre la Chine et l’Inde, la relation a toujours été ambiguë. Les deux pays se soutiennent mutuellement. Mais, à tout moment, il peut y avoir de l’eau dans le gaz d’abord pour des questions frontalières (la récente décision de Pékin de publier sa carte géographique où elle revendique l’État indien d’Arunachal Pradesh a réveillé de vieux démons) et pour des questions géostratégiques. Dans l’océan Indien, la Chine et l’Inde demeurent des rivales. Pour Narendra Modi, l’océan Indien, c’est avant tout «The Ocean of India». Alors que Xi Jinping voient l’océan Indien comme un moyen de se connecter à l’Afrique ; un corridor commercial sur les nouvelles routes de la soie. Un accord commercial et de connectivité que l’Inde a refusé de signer.

Dans le cadre de leur positionnement stratégique dans l’océan Indien, les deux pays ont ciblé Maurice et les Maldives comme leurs alliés. Mais, l’Inde garde une avance sur la Chine à ce niveau. Dans le cas de Maurice, on a signé des accords de libre-échange avec les deux pays en 2021. Au premier semestre, nos exportations vers l’Inde et la Chine totalisaient Rs 1,2 milliard et Rs 437 millions respectivement. Avec 723 produits qui seront exemptés de droits de douane à l’entrée sur le marché chinois pour les cinq à sept prochaines années, nos échanges avec l’Empire du milieu devraient croître significativement sur le long terme.

Dans le cas des Maldives, la Chine était considérée comme une alliée de taille pour l’archipel. Elle a notamment investi notamment dans la construction d’un pont de 2 kilomètres de long dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Or, ces dernières années, l’influence de la Chine a diminué au profit de l’Inde. Aujourd’hui, dans l’archipel, la classe politique est divisée entre les pro-Chine et les pro-Inde. Une victoire du président en exercice Ibu Solih, partisan de la politique «India First», lors de l’élection présidentielle, devrait consolider les assises de l’Inde dans la région. Mais Ibrahim Solih est en mauvaise posture ayant perdu le premier tour, battu par Mohamed Muizzu, un partisan du pro-Chine.

Si l’Inde s’est engagée à porter ses investissements dans l’État maldivien jusqu’au montant pharaonique de 2 milliards de dollars, d’aucuns y voient un effritement de la souveraineté des Maldives.

La situation aux Maldives devrait nous interpeller. Il est primordial que Maurice renforce sa coopération avec les grandes puissances de ce monde et, que tout en préservant ses intérêts avec ses marchés traditionnels, il se positionne dans le contexte d’un développement Sud-Sud. De même, il est tout aussi vital qu’on ne brade pas notre souveraineté. Ce qui se passe sur Agalega est inquiétant. Malgré les dénégations du Premier ministre, l’India Defence Research Wing, le portail d’informations de la défense indienne, a confirmé que ce sont bien des infrastructures militaires qui sont construites sur Agalega. À un moment où le gouvernement mauricien affirme sa volonté de compléter le processus de décolonisation et négocie activement avec le Royaume-Uni pour le retour des Chagos à la République, il serait très mal vu par la communauté internationale qu’on puisse être inféodé à une puissance internationale.

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