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Édito

Nos vieux démons

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Décidément, la perception de paradis fiscal nous colle à la peau. Pourtant, ces deux dernières années, Maurice a fait un pas de géant dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AML-CFT). Grâce aux efforts concertés des pouvoirs publics et des acteurs du global business, nous avons pu mettre en œuvre en un temps record le plan d’action du Groupe d’action financière (GAFI) et sortir de la liste noire de l’Union européenne. Mieux encore, la succession de réformes réglementaires et l’adoption de lois avant-gardistes comme le Virtual Assets and Initial Token Offerings Act pour encadrer les transactions transfrontalières via les cryptomonnaies nous ont permis d’intégrer le cercle fermé des pays qui sont pleinement conformes aux 40 Recommandations du GAFI.

Aujourd’hui, la Jordanie recherche l’expertise technique de Maurice dans ses efforts pour quitter la liste des juridictions à hauts risques du GAFI. Récemment, la secrétaire générale de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), Banata Tchale Sow, n’a pas manqué de faire les éloges de Maurice en soutenant que les centres offshore faisant partie de l’OEACP connus pour être des juridictions fiscales peu coopératives ont tout à gagner en prenant exemple sur le cas mauricien.

Si notre mécanisme de lutte anti-AML-CFT est théoriquement très solide avec le renforcement des procédures de due diligence qui rend les mailles difficilement franchissables pour les investisseurs mal intentionnés, alors que la Financial Services Commission (FSC) se montre ces jours-ci très scrupuleuse concernant les inspections dans les management companies, il n’empêche qu’on est sans cesse rattrapé par nos vieux démons et qu’à chaque scandale financier déterré, la presse internationale ne nous fait pas de cadeau, nous citant allègrement comme un paradis fiscal au mépris des progrès réalisés jusqu’ici sur le front de la lutte contre les crimes financiers. C’est sans doute de bonne guerre et cela doit nous rappeler que la moindre incartade ne nous sera pas épargnée.

Les deux derniers scandales auxquels le centre financier mauricien est associé sont : l’affaire Adani et les allégations de transferts de fonds via des supposées sociétés écrans créées à partir de notre juridiction, et l’affaire Mancini et les honoraires professionnels perçus par l’ancien entraîneur de Manchester City – ceux-ci ont été facturés par deux sociétés basées à Maurice (Sparkleglow et IIS) – relativement à un emploi fictif au sein du club de football Al Jazeera. Dans le cas de l’affaire Adani, mise au jour par la société américaine Hindenburg Research, il n’y a jusqu’ici aucune preuve concrète attestant de transactions illégales. Pour le moment, on évoque des opérations entre apparentés (related party transactions) avec des transactions suspectes dont celle d’un montant de $692,5 millions impliquant Gardenia Trade and Investment, une société constituée à Maurice et suspectée d’être une coquille vide, et Subir Mittra, le Head d’Adani Private Family Office. Les ramifications de l’affaire Adani sont sans doute plus larges et tentaculaires. C’est maintenant au tour du Securities and Exchange Board of India (SEBI) d’annoncer qu’elle a diligenté une enquête sur les relations entre le Groupe Adani et deux sociétés implantées sur le sol mauricien, à savoir, Great International Tusker Fund et Ayushmat Limited.

Tout porte à croire que le SEBI soupçonne Gautam Adani de se servir du régime de Foreign Portfolio Investment auquel les investisseurs institutionnels utilisant le centre financier mauricien ont droit pour investir sur la Bourse indienne par le truchement des Participatory notes et réaliser des gains importants sur le court terme (hot money). Mais, pour le moment, on n’est qu’au stade d’enquête.

Idem pour l’affaire Mancini. Épinglée par la Premier League qui, sur la base d’une enquête de quatre ans, a décrété qu’elle a commis plus d’une centaine d’infractions aux règlements du fair-play financier, Manchester City estime qu’elle n’a rien à se reprocher. Avec son armada d’avocats, elle devra s’expliquer devant une commission spéciale. Si celle-ci reconnaît les entorses au règlement du fair-play financier, les sanctions pleuvront sur Manchester City, détenue à 78 % par l’Abu Dhabi United Group. L’équipe risque une déduction de points et, au pire, la relégation avec des pertes de plusieurs milliards de livres sterling sur sa valorisation. Une onde de choc qui atteindra certainement nos côtes. Il faudra alors faire notre mea culpa et reconnaître qu’il y a eu de vraies carences de la part des opérateurs lors des processus de due diligence. Certes, le centre financier mauricien n’est associé qu’à une partie de l’affaire, soit la facturation des émoluments de Roberto Mancini pour la période 2009 à 2013, mais l’on se serait bien fait l’économie d’un tel scandale en faisant preuve de plus de vigilance.

À l’avenir, si l’on veut éviter d’avoir mauvaise presse et d’être mêlé à des scandales financiers, le maître mot doit être la conformité. Être pleinement conforme à toutes les recommandations du GAFI n’est pas une fin en soi. Il s’agira désormais de démontrer l’efficacité de notre mécanisme anti-AML-CFT. Pour cela, il faudra mobiliser toute notre énergie et exercer un contrôle rigoureux en particulier à chaque fois qu’un drapeau rouge s’agitera devant nos yeux. Il ne faut pas, non plus, oublier que les criminels sont très inventifs et ont toujours une longueur d’avance quand il s’agit de trouver des moyens pour tirer profit des failles inhérentes à une juridiction. En cela, la collaboration entre les autorités et le secteur privé sera primordiale. Finalement, c’est grâce à des informations fiables qu’on pourra maintenir notre réputation comme une juridiction de substance. L’initiative de la FSC de développer une plateforme de due diligence alimentée par l’intelligence artificielle est à saluer. C’est une avancée majeure qui permettra sans doute d’améliorer les procédures de Know your customer et de restreindre un peu plus le champ d’activité des criminels pour qu’ils ne passent pas à travers les mailles du filet.

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