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Édito

Ouverture de l’économie : sortir de la procrastination

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Richard Lebon

Quand on parle d’ouverture du pays, on se met vite sur la défensive. C’est un réflexe insulaire. La peur de l’étranger et l’angoisse de voir apparaître une nouvelle forme de colonisation font qu’on se barricade et qu’on peut se montrer hostile vis-à-vis de l’autre. L’étranger est parfois perçu comme celui qui est susceptible de nous priver de notre gagne-pain et non comme un agent du développement.

Aujourd’hui, alors que l’on évoque la nécessité d’accélérer l’ouverture que ce soit pour répondre à la problématique de pénurie de main-d’œuvre, pour développer de nouveaux secteurs ou encore pour désamorcer une bombe démographique qui tôt ou tard nous explosera à la figure, il est important de dépassionner le débat et de se rappeler que sans une dose d’ouverture, le petit État insulaire qu’est Maurice ne serait jamais devenu un hub financier et commercial dans cette partie du monde. C’est cette capacité à pratiquer l’ouverture qui nous a permis de déjouer les pronostics de l’ancien prix Nobel d’économie, James Meade, qui pensait que, dépourvu de ressources naturelles, hormis la canne à sucre, le pays était voué au tiers-mondisme.

Depuis l’indépendance, l’économie mauricienne est passée par plusieurs phases de transformation. On a toujours su grimper à temps dans le bon wagon car nos décideurs économiques, journalistiques et finalement politiques étaient tournés vers l’avenir et s’étaient fermement engagés à diversifier l’économie et à fournir davantage d’emplois bien rémunérés à la population. Visionnaires et pragmatiques, ils avaient compris qu’en tant que jeune nation ayant des compétences limitées, nous avions besoin de l’expertise étrangère pour créer de nouveaux piliers économiques.

Au début des années 70, l’idée première, c’était de développer une industrie de substitution à l’importation. Mais on a très vite compris que ce modèle d’industrialisation était trop réducteur et qu’il fallait voir plus grand. C’est ainsi qu’on s’est lancé dans la création de la zone franche. Pour cette première transformation de l’économie, on a bénéficié de l’apport de capitaux et de l’expertise de Hong Kong, de Taïwan et de l’Europe.

Ce fut une stratégie de diversification qui allait fortement accélérer le développement économique et humain. Ainsi, les chiffres du Central Statistics Office montrent qu’entre 1970 et 1977, le produit intérieur brut était passé de Rs 1 milliard à Rs 4,7 milliards, soit une croissance d’environ 370 %, alors que 64 000 emplois étaient créés. Dans le même temps, le revenu par habitant augmentait de Rs 1 446 à Rs 5 910.

La deuxième vague de diversification est intervenue dans les années 90 avec la création de l’offshore. C’était également une étape marquante de notre évolution, cette fois là vers une économie de services. Une fois de plus, les ressortissants étrangers ont joué un rôle pivot dans le succès du secteur financier qui, soit dit en passant, a été une véritable poule aux œufs d’or. Pendant des années, Maurice aura été, en passant, le principal pourvoyeur d’investissements directs étrangers à destination de l’Inde, soit jusqu’à 20 milliards de dollars par an.

Un autre élément clé de l’ouverture de l’économie a été l’introduction de l’Integrated Resort Scheme en 2002. Fortement décrié par les opposants politiques et la société civile à l’époque, ce dispositif de résidence par investissement a permis d’envoyer le bon signal aux professionnels du monde entier, en leur disant qu’ils pouvaient vivre et travailler à Maurice. Bien que l’investissement dans le secteur de l’immobilier de luxe soit considéré comme étant peu productif, il n’en demeure pas moins essentiel à l’économie et son effet multiplicateur s’étend à tous les secteurs.

Donc, l’histoire post-indépendance de l’économie mauricienne a toujours été associée à l’ouverture. Aujourd’hui, une plus grande ouverture est devenue souhaitable. Certes, il ne s’agit pas de répliquer le modèle de Singapour qui comptait environ 2 millions de résidents et non-résidents sur une population de 5,6 millions d’habitants en 2022 ou encore des Émirats arabes unis où seulement 10 % de la population était composée d’Émiratis, mais on doit avoir l’humilité de reconnaître que sans une politique d’ouverture aux talents étrangers, nous ne serons pas en mesure de maintenir des niveaux de croissance élevés et de développer de nouvelles industries, à l’instar de la biotechnologie et de l’industrie pharmaceutique, de l’économie bleue et de la silver economy.

À ce jour, Maurice compte pas moins de 12 000 expatriés. Il s’agit de professionnels, personnes fortunées et retraités, et de leurs proches. La décision du gouvernement de réformer le régime fiscal en abolissant notamment le Solidarity levy devrait constituer une incitation additionnelle pour attirer plus de professionnels et de personnes fortunées sur notre territoire. Parallèlement, l’on constate que le Premium Visa, qui permet aux non-citoyens de séjourner à Maurice pour une période allant de six mois à un an, connaît un certain succès. Les derniers chiffres de l’Economic Development Board en date du 21 avril indiquent que 3 803 demandes de Premium Visa ont été approuvées. Celles-ci provenaient principalement de la France (25 %), de l’Afrique du Sud (15 %), de la Russie (11 %), de la Grande-Bretagne (8 %), de l’Allemagne (5 %), de l’Inde (5 %), des États-Unis (3 %), de la Chine (3 %), de la Suisse (2 %) et du Canada (2 %).

Par ailleurs, il convient de saluer la volonté du gouvernement de lâcher du lest par rapport à sa politique concernant le recrutement de travailleurs étrangers sous le régime du Work permit. Ainsi, le ratio travailleurs mauriciens/étrangers, qui était de 3:1, est aboli dans la construction, l’agriculture, le secteur manufacturier, et pour certaines PME, incluant les boulangeries. De même, le Private Recruitment Agencies Bill a été présenté en première lecture à l’Assemblée nationale cette semaine. Un texte qui, aussitôt après sa promulgation, viendra remplacer le Recruitment of Workers Act, avec pour objectif de consolider et de renforcer la loi concernant le recrutement de ressortissants étrangers. Il faut savoir que la demande pour les travailleurs étrangers est croissante. Ainsi, l’on avait enregistré 40 759 demandes d’importation de travailleurs étrangers en 2022, contre 33 702 l’année précédente.

Dans ce débat sur la politique migratoire, l’on ne peut se permettre de procrastiner. S’il est vrai qu’accueillir plus d’étrangers accroît le risque de voir des gens à la moralité douteuse débarquer chez nous – il s’agira d’être encore plus rigoureux dans nos exercices de diligence raisonnable –, ne pas sortir de l’enclavement, c’est se placer dans une position d’extrême vulnérabilité. Surtout qu’une crise démographique nous attend au tournant. Avec le taux de natalité reculant à 1,4 enfant contre 2,1 enfants par couple – une tendance devant se maintenir –, la population mauricienne pourrait chuter à 1 million d’âmes d’ici à 2057 contre 1,26 million actuellement, comme le prévoient les analystes de MCB Focus dans un rapport publié en 2019. Cela signifie également que les personnes en âge de travailler vont se réduire comme une peau de chagrin et qu’elles devront être nettement plus productives pour soutenir la croissance et… les prestations de notre population vieillissante. L’une des solutions pour désamorcer cette bombe à retardement, c’est de tabler sur une politique d’ouverture.

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