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Édito

Pas sorti de l’auberge

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Philippe A. Forget

«2022 sera une année d’ajustement cruciale si l’on espère renouer avec le niveau d’activité touristique de 2019… en 2023 !»

Le gros des difficultés économiques générées à Maurice depuis le 1er lockdown de mars 2020 provient du fait que nous avons volontairement fermé nos frontières pendant 18 mois, asséchant le pays, de l’aveu même du ministre des Finances, de plus de Rs 100 milliards d’entrées de devises lourdes, causant des pertes d’emplois et fragilisant des bilans un peu partout, y compris des bilans individuels. On pense ici surtout aux plus petites opérations entourant le secteur de l’hôtellerie, malgré les facilités, principalement et malheureusement d’emprunts, imaginées par la Banque centrale, la SIC, la DBM. Pensez restaurants, plaisanciers, location de campements ou d’appartements, taxis, bazars et foires, hôtels à peu d’étoiles, Airbnb, vendeurs de pull-overs et autres. Les gros groupes hôteliers systémiquement importants auront, quant à eux, ‘bénéficié’ de la «bonté» du prince initialement responsable de la fermeture, grâce à la MIC, même si cette «bonté» aurait pu avoir été largement économisée si nous avions été aussi futés que nos concurrents directs qui ouvraient déjà leurs frontières depuis… août / septembre 2020. En effet, les Maldives, la Jamaïque, Cuba, les Bahamas, la Barbade, Bali, les Bermudes, Costa Rica, la République dominicaine, l’Égypte, Tahiti, la Guadeloupe, le Kenya, le Mexique, Sainte-Lucie, les Seychelles, St Maarten |St Vincent, la Tunisie, Turks & Caicos, Dubaï, les Îles Vierges et quasiment toute l’Europe s’affichaient alors déjà (*). Les conditions d’entrée variaient bien évidemment d’un pays à un autre (les Seychelles n’ouvrant véritablement leurs pays qu’en février 2021), mais ces gouvernements-là étaient déjà conscients qu’il y avait un prix à ne pas dépasser pour «mourir de tout mais pas de Covid»

D’ailleurs, le grand sacrifice économique ne nous menait pas, finalement, à éviter des mortalités Covid, qui commençaient à décoller en août 2021, soit deux mois pleins avant l’ouverture des frontières aux touristes (**). Imaginez seulement si ces mortalités avaient commencé après l’ouverture des frontières !

L’importance du secteur touristique était enfin reconnue pour pouvoir rebondir économiquement, le 1er octobre dernier. Le ministre des Finances tablait sur 325 000 touristes à décembre 2021 et 650 000 à juin 2022. Or, nous n’avons reçu que 170 320 touristes pour le dernier trimestre de 2021 (52 % de l’objectif) et pour janvier, nous n’étions qu’à 40 028, soit environ 30 % du mois correspondant ‘normal’ de 2019 ! Ce sont des chiffres plutôt désastreux ! En décembre 2021, mois économiquement crucial s’il en est un, nous recevions 49 964 touristes seulement, soit moins que les 65 922 de novembre. Nous devons cela à la liste rouge écarlate française, à notre propre stupidité de fermer nos frontières à l’Omicron d’Afrique du Sud et au robinet fermé, on ne sait pourquoi, jusqu’en février par La Réunion…

Jocelyn Kwok, CEO de l’AHRIM, ne dit rien de différent qui pourrait rassurer dans l’express du 16 février dernier. Il évoque les difficultés de ‘reconnecter’ avec nos marchés passés, souligne la situation ‘nettement moins favorable’ des hôtels 3-étoiles par rapport à ceux qui en portent une ou deux de plus, et se réfère à une situation ‘pire’ pour le millier d’autres structures d’hébergement enregistrées à la Tourism Authority, tout en réclamant 500 000 sièges aériens de plus ! Il ne précise pas sur quelle période, mais la demande existerait-elle, artificiellement brimée par les droits d’atterrissage ?

L’express du 18 février rapporte le point de vue de Megh Pillay, ancien CEO de MK, qui explique peut-être en partie le manque de sièges aériens en soulignant que la mise en administration de MK a transformé une compagnie opérant sur 22 destinations avec 15 avions en une autre, amoindrie, avec 9 avions pour desservir des destinations réduites de moitié…

Si certains groupes hôteliers comme LUX et Beachcomber renouent, en roupies dépréciées, avec la profitabilité au dernier (meilleur !) trimestre de l’année, la partie n’est pas encore totalement gagnée puisqu’il faudra d’abord éponger les pertes considérables accumulées depuis mars 2020, pour ensuite générer suffisamment pour rembourser les dettes, anciennes et nouvelles, et éventuellement payer des dividendes ! Au niveau du pays, les arrivées touristiques plus faibles ne vont faciliter ni les recettes fiscales du gouvernement, ni la balance des comptes courants. 2022 sera une année d’ajustement cruciale si l’on espère renouer avec le niveau d’activité touristique de 2019… en 2023 !

On n’est pas sorti de cette auberge-là !

Arrêtons-nous à une deuxième auberge, celle des prix !

L’équation est simple : les disruptions causées, entre autres, par la pandémie font que les commodités en général augmentent ! Index Mundi (***) nous rappelle ainsi que l’indice des prix pour la nourriture a augmenté de 21,48 % ces douze derniers mois. En dollars évidemment ! Et avant le fret ! En parallèle, quand on discutera encore de l’augmentation du prix de l’essence, soulignons que l’indice des prix pour le pétrole et l’essence a augmenté de 61,69 % en 12 mois, que la STC ne peut revoir ses prix à la hausse que par 10 % à la fois (et qu’il puise de ses fonds de réserve pour combler son déficit…) et qu’une baisse des taxes du gouvernement ne peut avoir qu’une seule conséquence : un autre trou à boucher, ce qui implique soit une dette, soit une taxe puisque le one off de la Banque centrale a déjà été utilisé par deux fois déjà ! La spirale ukrainienne ne va pas aider. L’indice des prix du charbon sud-africain qui alimente les chaudières PPP quand la bagasse ne suffit plus n’est pas en reste : ça coûte + 94,01 % plus cher en une année !

Prenons aussi l’exemple du prix du lait en poudre. Il a tellement progressé en 2021 et son prix étant contrôlé, que le gouvernement se voyait d’abord, l’an dernier, forcé d’aligner des subventions de Rs 500 millions sur 7 produits en juillet 2021, pour ensuite essayer d’importer à travers la STC. Comme prévu, cette dernière ne semble pas être en mesure de faire mieux que le privé, du moins à qualité égale et on ne sait trop à quelle marge de profit…

Sur le marché mondial, ayant oscillé aux environ de 3 000 $ la tonne métrique jusqu’en décembre 2020, le lait en poudre flambait à 4 364 $ en mars 2021, puis à 4 503 $ en février 2022, n’étant jamais retombé plus bas que 3 552 $ en août 2021. Le prix de février 2022 est de 50 % supérieur à celui de 2020.

 

De plus, depuis décembre 2020, le dollar a progressé de Rs 39,40 à Rs 43,15 (+ 9,5 %), auquel il faut rajouter un fret bien plus cher. L’importateur fait face à quelques frais logistiques et veut évidemment importer avec un profit. Le gouvernement va être devant un choix difficile. Il peut soit autoriser une augmentation des prix soit tenter d’échapper aux coûts réels – ce qui n’est jamais sans conséquence – et augmenter les subventions. Ce qu’il faudra aussi financer, bien sûr ! Or, nous ne serions plus à l’ère du «Whatever it takes !», paraît-il. Les ‘futures’ de cette commodité n’augurent, non plus, rien de bon à l’horizon : 4 650 $ en mars, 4 675 $ en avril, 4 710 $ en mai et juin avant un lent repli vers 3 950 $ en décembre prochain.

On attend un peu pour le lait dans le thé ?

Attardons-nous sur le prix de l’huile, peut-être ? L’huile de soja coûte 33,4 % plus cher qu’il y a 12 mois. Pour l’huile de palme, c’est 35,8 %. Pour l’huile de tournesol, c’est plus digeste : +1,9 %.

Le triple superphosphate coûte 100,3 % plus cher et l’urée 219,4 % de plus pour ceux qui voudront planter non-bio. L’aluminium coûte +50 %, le poulet +59,1 %, le bœuf +33,9 %, le blé +20,1 %, le maïs +18,0 %. Cela n’est évidemment pas la faute du gouvernement, mais il aura à composer avec, pour tenter de sauvegarder le pouvoir d’achat. Par contre, l’érosion de la roupie de 20 % en moyenne sur deux ans relève de la responsabilité directe de nos gouvernants et ils auront à endosser et à justifier…

Seules notes douces à l’horizon, le riz (-21,7 %),… la pistache (-21,8 %) et… l’argent (- 10,5 %). 

On n’est pas près de sortir de cette auberge-là non plus !

 

Philippe A. FORGET

(*) https://www.lexpress.mu/idee/380500/tourisme-attend-quoi-pour-avancer

(**) https://www.lexpress.mu/idee/402177/vous-fait-un-dessin-

(***) https://www.indexmundi.com/commodities/

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